Mes retrouvailles avec NIN à Londres.
Sandra Cillo
L'annonce de l'évènement sonne comme un miracle à mes oreilles.
En effet, il y a 5 ans de ça, le 28 Juillet 2009, j'assistais, les yeux remplis d'étoiles, à ce qui devait être l'un des concerts de la dernière tournée du groupe Nine Inch Nails (nommée pour l'occasion, d'après les paroles de leur titre With Teeth : «Wave Goodbye») aux Arènes de Nîmes.
Mais comme nous le savons tous, beaucoup d'artistes ont une définition bien personnelle des mots «Dernier» et «Adieu». Regret immense d'avoir quitté la scène, nostalgie des foules transcendées par leur présence, productivité soudaine, ou simple stratégie marketing un tantinet fourbe, toutes les raisons sont bonnes pour revenir des morts, artistiquement parlant.
Ce qui était à des années lumières de me déranger. Moi, petite Frenchy dans la capitale anglaise, patientant courageusement dans cette file d'attente qui n'en finit plus. File d'attente presque entièrement vêtue de cuir noir, en adéquation avec l'univers dark et sexy de Trent Reznor.
Les heures défilent lentement. La foule et l'immensité du lieu me donnent l'impression de faire du surplace. Je discute avec quelques fans anglais aussi heureux et impatients que moi. "Comment avez-vous découvert le groupe? Avec quelle chanson?", "Vous les avez déjà vus sur scène?", "Est-ce qu'il vont jouer des morceaux de leur album culte The Downward Spiral"?
Beaucoup d'anecdotes, d'impressions, de ressentiments, et de critiques même parfois. Il est vrai que leurs derniers efforts, de Year Zero jusqu'à Hesitation Marks n'ont pas nécessairement reçu un accueil chaleureux. Mais peu importe, nous étions tous réunis ici pour la même raison et l'heure du Live approchait à grand pas. Une fois arrivée dans la salle, je réussis à me faufiler jusqu'au quatrième rang pour continuer à subir le supplice de l'attente. La fosse et les balcons se remplissent lentement mais sûrement, et l'excitation du public est palpable.
Soudain, nous y sommes: Les lumières s'éteignent. Et même si ce n'est pas encore pour entendre ce que nous voulons, la bonne volonté de Cold Cave nous fait comprendre que nous n'en avons plus pour longtemps. Le pauvre duo peine à trouver des oreilles attentives à leurs sonorités synthpop et gothiques. Malheureusement en vain. Ce qui me rappelle à quel point j'ai toujours été compatissante envers les premières parties de monstres sacrés. Se jetant dans la gueule du loup , ils essayent toujours d'instaurer une ambiance face à des visages indifférents voire moqueurs. Une tentative qui équivaut plus ou moins à s'investir à fond dans des préliminaires avec un partenaire qui ne veut rien d'autre que passer à l'acte tout de suite. Une tâche dont la difficulté est, je l'espère, éclipsée par la joie de se produire sur la même scène qu'un groupe légendaire.
Leur dernier morceau terminé, nous nous réfugions tous à nouveau dans notre état intial et nos automatismes étranges. Une fois de plus nos bras se croisent, certains d'entre nous se remettent à battre du pied, d'autres s'assoient carrément sur le sol, le nez dans leur smartphone. Et puis finalement, la gigantesque arène londonienne se retrouve plongée dans l'obscurité. L'intro de "Me, I'm Not" retentit et mon cœur bat la chamade.
Enfin! L'ultime soulagement! Les cris de la foule résument bien ce qu'il se passe dans ma tête. Des rayons de lumières bleus et violets mettent en valeur la silhouette de Mr Reznor avant de laisser progressivement apparaître le reste du groupe. Ce moment magique où tout prend forme. Où plus rien n'existe autour de moi. Me revoilà face à la formation de Cleveland. L'une de celles qui m'a accompagné durant toute mon adolescence et que je n'osais pas espérer voir une seconde fois. C'est le début d'une nuit que je ne suis pas prête d'oublier.
Les titres qui suivent sont aussi récents (Copy Of A et 1000000) et c'est pour cette raison que l'auditoire ne semble pas aussi réceptif que moi. Mais ce n'est ici rien d'autre que le calme avant la tempête. Avant que les percussions de March Of The Pigs se fassent entendre pour laisser place à l'hystérie collective et aux pogos frénétiques qui perdureront quasiment tout le reste de la soirée.
Initialement en plein milieu, me voici malgré moi à l'extrémité droite de la scène. Alors que beaucoup le vivraient mal, je trouve cela absolument jouissif. Quand la musique parvient à me transporter au sens figuré, la foule le fait au sens propre. C'est donc ainsi que mes sensations à l'écoute de ces cris et de ces guitares furieuses prennent vie. Et des sensations, il y en aura durant tout le concert. Grâce au génie des compositions de Trent, qui accompagnent des paroles souvent brutales en parvenant pourtant à les teinter de poésie et de sensualité. Je me souviens alors pourquoi Il a déjà travaillé avec le grand David Lynch.
Je suis tellement impressionnée par cette setlist irréprochable, où les classiques côtoient les nouveautés, où quelques riffs et mélodies se mêlent même à des pistes totalement différentes. Comme par exemple avec "l'apparition"de Sunspots en plein milieu d'un Sanctified lascif en diable ou encore l'intrusion des notes espiègles de The Only Time qui réussissent quand même à se fondre au milieu d'un Closer toujours aussi primitif.
Que dire également du visuel? De ce light-show absolument époustouflant, de ces diffusions d'images saturées ponctuant à merveille l'intensité de The Great Destroyer?
Absolument rien.
Je ne saurais décrire convenablement ma joie d'avoir pu assister à ce come back manifestement réussi. Le groupe nous a plus que jamais conquis, et cela grâce à un éventail de morceaux pourtant sélectionnés dans l'ensemble de leur discographie et donc forcément parmi certains albums jugés à la base décevants. Ceci dit, aucune personne venue ici comme moi célébrer leur retour ne m'a semblé exprimer quelconque regret ou désenchantement.
De leur arrivée lumineuse à leur interprétation déchirante de Hurt en guise de rappel, Nine Inch Nails ont une fois de plus justifié cette place si importante qu'ils prennent dans ma vie depuis toutes ces années.
Je me remets encore difficilement de ce rêve éveillé, totalement envoûtant malgré ses légères allures de cauchemar. Je ne sais pas si cela m'a semblé être un paradis ou un enfer.
La seule chose que je pourrais vous garantir est qu'ils m'ont, encore une fois, rapproché de Dieu.