métempsycose

Olivier Memling

Tous les matins en me rasant

je regarde le savon mousser dans l’écuelle

comme le faisait monter le blaireau de l’un de mes grand-pères

Mais je n’ai pas la vigueur de mes aïeux

on disait de l'un  qu’il tuait

un boeuf d’un coup de poing

que d’un envol de pélerine plombée

il égayait quelques manifestants

I1 avait été garçon boucher et sergent de ville

quand il était arrivé de sa Bourgogne natale

et qu’il s'était logé rue de l'Échiquier

chez une concierge fatale

près des Boulevards

petite nièce par les courtisanes

du maréchal tonnelier

dont j'ai conservé, puis vendu

de jolies caves et écritoires

en bois noir et incrusté

que ce grand traître Ney a caressées

Au musée Grévin et au Vaudeville

ma grand mère m'emmenait

qui adorait Pauline Carton

ainsi que les bonbons

c'était une forte femme

avec un doux visage et un gros bagout

qui gourmandait les locataires

et se louait de sa gourmandise

avec la cour, la loge, la cave, le cordon, les voisins

les poubelles, la porte cochère, le facteur et la tsf

elle avait inspiré Siménon

Sur les photos dix neuf cent

elle a un très beau chignon

une taille de majesté

et sur son épaule ronde

vers laquelle il porte un oeil ardent et broussailleux

le brigadier moustachu pose un poing à assommer des boeufs

J'aurais bien aimé grand père

avoir ta carrure de grand gueux

et savoir tricher comme tu trichais

lorsqu'on jouait au jacquet

Bien souvent, en regardant mon compagnon chien au fond des yeux, toute la tendresse immergée dedans et, devant les gibiers, la rage de sa race, je crois bien qu’il a récolté ton âme, ce très fou chien dont je fourrage et je respire les durs poils bruns et blancs, ce très fou chien avec qui je converse en sachant bien que son odeur et sa chaleur font mes liens avec la terre, avec l’éternel insécable univers.

Oui, pour l’animal que ie suis

il y a mes chiens aussi et leur forte senteur

je renifle et perds mon grand nez

dans l'odorante blondeur des mèches drues

ces poils cajolés de mots

c'est ensemble que j'embrasse l'enfant et le griffon

mêlant le blé à la chataigne brune

qui font une aurore sur un automne

secoué de touffes blanches, de cascades rieuses et de parler

de parler chien

Moi je sens le krish‑krok

quand le matin ne m'a pas encore lavé

de mes crampes, de mes sueurs , de mes miasmes

et je suis "barbé" dit mon fils

comme un fil de fer barbu sans doute

mais les plus grandes moustaches

pareilles – oui - à celles du grand père

sont celles des bêtes chaleureuses

Je ne fume qu'après le café

qui sent bon lui aussi

les senteurs dilatent le jour

Bambi, binou, binette

rabinou, bambinette

rablé, bosselé, musclé

quand tu es passé sous la charette

elle a eu la direction faussée

et toi tu clopinais un peu

comme après, lorsque tu voulais te faire plaindre

On se jetait l'un contre l'autre

je te portais comme une carpe énorme

par ta laisse entre nos dents

- dont deux depuis me manquent -

et tu tournais en gémissant

Tu connaissais mon chagrin

et nous fumions ensemble

tu mangeais aussi des raisins

or il bien connu que les chiens ne mangent pas de raisin

c'était à peine un chien

d'ailleurs

quand il était trop sur mes talons

je lui disais

- ne me suis pas comme un chien -

 et il s'en allait fumer tout seul

Quand tu étais petit tu étais grand

comme ta tête aujourd'hui

tu avais les yeux bleus

qui sont devenus miel lavé quand tu souris

et silex d'acier quand tu es faché

tu pissais alors sur le gazon toujours à la même place

ce qui faisait un trou tout rond

Vers ta fin

quand ta jambe que l’on soignait en vain

n'était plus qu'une potiche

enflammée de purulences et métastases

la force de tes nerfs

te conduisait encore sur trois pattes

à courir les odeurs sur les sentes de ta terre

bataillant en retraite contre tes congénères

Lola, ma loute, ma toute belle

je t’ai aimé ma folle

ma main dans ta gueule et dans tes poils soyeux

je sens tes babines

ta langue et tes canines emmêlées à mes doigts

tu sautes à mes tempes blanchies

comme celles du griffon marron glacé

qui s'appuie contre moi de tout son poids

comme il s'est appuyé après la douce injection fatale

Un chien qui attend ça pleure

l'homme qui attend a peur de ne rien voir venir

que l'abus du couchant miraculant la boue

opère‑t-on de l’angoisse comme de l’appendice ?

Toi tu es un très fou chien

qui me prends et mord la main

et me tires par tes chemins

  • Grande tendresse, ça fait du bien, un texte avec des belles moustaches !!! je vais de ce pas fourrer mon nez dans la fourrure de mon chow chow, dont je déguste chaque moment de vie sachant qu'elle partira trop tôt... vous allez me tirer des larmes...

    · Il y a environ 14 ans ·
    Camelia top orig

    Edwige Devillebichot

Signaler ce texte