Métro, bout l’eau, déborde

absolu

Je suis arrivée sur Paris mi-novembre 2005, ne voyant aucune perspective d’évolution dans ma ville natale de Picardie ; le marché de l’emploi n’y est vraiment pas prolifique..

C’était aussi l’occasion de venir vivre une histoire d’amour, alors j’ai tout laissé là haut, un 3 pièces spacieux avec parquet, ainsi qu’une dernière année d’emploi jeune, bien au chaud.

J’ai donc trouvé un emploi dans la même branche, dans un autre arbre, en banlieue, moins verdoyant. Un rythme soutenu, deux heures de transport en commun aller-retour, métro, train de banlieue, le terrible dodo dans le métro. Et dire que Paris devait rester ma roue de secours pour le travail…

Après le métro, le train de banlieue, boulot à mille lieues de mon plumard et de mes rêves en plaqué or, rêves trop vite éraflés par les griffes des gens toujours pressés. Même schéma, même scénario haché, deux stations ponctuent le trajet, et encore 10 mn à pied.

Le soir on inverse l’histoire, retour à la case départ, j’ai pas touché 3 000 €, mais j’suis dans les bras de mon héros.

Il rêvait d’Himalaya, des plus hauts sommets ; je rêvais d’hymnes à la joie, d’élans passionnés.. on avait ça en commun, vouloir s’élever.. jusqu’à ce que la terre se mette à trembler, et nous aussi…

Il n’a pas pu stopper l’hémorragie, le jour où le couperet est tombé. Mon sang s’est mis à couler sur notre intimité, engluant nos soupirs. Les corps se sont durcis, écorchant nos doigts devenus maladroits.

Quel crime avais-je commis pour intégrer le défilé menant à la guillotine ? Quel délit m’avait conduite sur le billot ? Seul le bourreau pourrait vous répondre, assis bien confortablement derrière son bureau. Je doute qu’il ne vous confie ses raisons, il préfère me voir perdre la mienne. L’immunité du fric, ça cloue le bec à plus d’un charognard, occupé à déchiqueter la vie de ceux qui ne se rangent pas à son avis. Le prestige du costard.

Fin juin, « il » est enclin à négocier : « démission ou faute grave ? » . Y a longtemps qu’on est préparé au déclin, dans le pays de la betterave. Je n’entends plus rien... les voix des Muses sont recouvertes par le brouhaha du métro.

J’ai refusé, et les éléments se sont déchaînés. Impossible d’en réchapper, la machine infernale était lancée. Ma sécurité ne pouvait être assurée tant que les formulaires n’étaient pas corrigés. La banque, à la diète pendant des mois, est sur les dents, me montre les crocs.

La roue de l’infortune m’a lapidée… 

On s’est usés dans nos costumes, on s’est tuméfié le visage à coups de larmes, et puis on s’est tu. Paralysés dans le silence, l’angoisse nous a pris à la gorge de ne plus avoir de projets. On a tenté la greffe, mais elle a été rejetée.

Humain en quête de sérénité, humant l’air en quête d’un doux parfum, on n’a pas senti l’orage éclater, on n’a pas voulu voir les ravages qu’il allait engendrer. Une fois près du rivage la tornade a tout balayé, flamme de ménage inextinguible. Même le guide s’était fait la malle, loin de cet univers maléfique, je le pensais familier, pourtant il a fui, on devait avoir l’air trop famélique. Tous les barrages avaient cédé, le paysage avait changé, on ne pouvait plus s’aider.

Le bateau a chaviré, nous a jetés par-dessus bord. On a vu le bout de l’histoire arriver par vagues, on a vu l’eau tout rafler sur son passage, sans rien pouvoir faire. O a vu l’amour dériver, on a vu nos cœurs se noyer, sans pouvoir jeter une bouée, sans rien pouvoir sauver… nos organes emplis d’écume, l’orgueil consumé, l’humeur a pris le mauvais chemin.

On s’est cognés à ces mots qui collaient jusqu’alors au palais, ces mots qu’on croyait trop laids et qu’on a fini par expulser. Pulsion, répulsion, on cherchait à libérer la haine qu’on avait de soi sur l’autre. Finis les draps de soie dans lesquels on batifolait. Adieu les feux follets dans ses yeux. Finis les cieux qu’on regardait tous les deux, au-delà des immeubles entassés, oubliant le Paris encrassé. On ne caressera plus les étoiles de la cathédrale, on ne déambulera plus dans les ruelles du Quartier latin et ses fumets qui chatouillent les narines, ses baklavas dégoulinant sur les doigts. Les mains se desserrent, palpent le vide qui s’est invité, et puis retombent, c’est la gravité. C’est grave, quand on n’a plus la moindre idée…

Il nous faut aller, en dehors de nous-mêmes, au-delà du poème. C’est beau quand on aime, c’est chouette la vie de bohème, mais c’est laid le bonheur quand on ne sème pas, on gangrène de tout garder, on s’égare, on lâche les rênes. On a perdu notre horizon, notre or, reste la raison. On chante notre oraison, sans les accords.

Il ne me jette pas dehors, mais je dois quitter la maison, faire mes cartons et changer de décor. La prochaine saison me réserve peut-être un meilleur sort.

  • Merci pour le compliment et le conseil, que je suivrai, évidemment :)

    · Il y a presque 11 ans ·
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    absolu

  • J'aime beaucoup l'écriture des quelques textes que j'ai lus, mais un petit conseil : essayez de diffuser moins de textes simultanément, ils se noient dans le flux. Bienvenue ici en tout cas !

    · Il y a presque 11 ans ·
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    Mathieu Jaegert

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