Mille grammes et six degrés de baraka

    Connaissez-vous la théorie des six poignées de main ? Il s'agit d'une théorie définie en 1929 par le hongrois Frigyes Karinthy. Nous ne serions éloignés au maximum que par cinq degrés de séparation de n'importe quel individu sur cette terre. J'y ai réfléchi et c'est fou mais ça marche ! Par exemple, un cousin de ma femme qui n'a jamais bougé de Taroc, son village natal, n'est séparé d'Obama que de quatre niveaux !

    Je pourrais décliner sur le fait que nous sommes tous frères, à quoi je répondrais par un « Et ta sœur ? ». Regardons par exemple le degré de haine entre Israéliens et Palestiniens. Ils ne sont pourtant à l'origine que des tribus bédouines similaires. Plutôt que de se tendre la main, ils préfèrent rester fidèles aux bonnes vieilles traditions. Œil pour œil, prends ça dans les dents.

    Mais ce n'est pas du tout ce que j'ai envie de traiter aujourd'hui. À vrai dire, ça me gonfle et je laisse les extrémistes de tous poils se déchirer par la barbichette. J'ai plus envie d'écrire sur un point qui a attiré toute mon imagination en découvrant le profil d'un auteur qui publie sur Welovewords, Oscar Arensberg. Oui, Oscar, je te l'avoue : ta biographie me fait fantasmer. Par le biais de tes quelques lignes de présentation, tu m'entraînes dans une quête onirico-modianesque.

    Que m'importe que tu sois ou non véritablement de la famille de Louise et Walter Arensberg, protecteurs de Marcel Duchamp. Tu sais, je m'éloigne de plus en plus de la réalité. Non pas que je perde pied. C'est simplement l'écriture qui, jour après jour, après avoir fait tomber les fortifications qui endiguaient mon passé en mon for intérieur, me pousse à construire de nouveaux châteaux. Je suis devenu le Krak d'un onirisme devenu moins cauchemardesque. J'éponge ainsi les quelques lignes de ta biographie pour me l'approprier et te créer à l'image de mes désirs.

    Comme de bien entendu, je n'ai pu trouver aucune photo de toi sur le net. C'est bien. J'ai supposé que tu cherchais dès lors à entretenir le mythe. Moi, je t'imagine en fin de race. Un Taedium vitae à la Des Esseintes te cloître dans un appartement du 16e où tu t'adonnes avec passion à l'étude des coléoptères qui te sont envoyés par tes nombreux correspondants. D'autres lubies te hantent, tels que ton refus d'ouvrir les lourds rideaux damassés à l'avenant de ta robe de chambre élimée.

    La seule concession à la modernité est l'ordinateur qui n'est que le médium pour rester connecté à un monde qui t'insuffle et alimente ta haine de l'extérieur. Avec le temps, tu l'as adopté pour t'en faire un allié. Ces quelques centimètres carrés sont un sésame pour observer la vie dans ton salon anaérobique où tu t'époumones à poser ta prose.

   Il y à peine plus d'une décennie, nous serions restés sur des orbites parallèles. Nous ne sommes pas du même monde. Encore que, qu'à défaut de pouvoir le fréquenter, j'aurais pu par le biais de me lectures appréhender le tien. Mais si je remonte à nos bisaïeuls ? Il eut été alors tout aussi improbable que mon grand-père Alfred ait pu rencontrer Walter que de s'imaginer un jour envoyer des hommes sur la lune.

   J'en serai presque mal à l'aise d'imaginer mon grand-père, torche-cul dans un sanatorium, invité à Los Angeles aux côtés de Charles Sheeler, Walter Pach ou Beatrice Wood. Lui qui se liquéfiait dès qu'il s'agissait de prendre la moindre initiative qui sortait de son ordinaire.

   Depuis, Hitler est passé par là, déclenchant par ricochet les V2, Van Braun, le programme Apollo et l'Internet. Comme quoi de la fange peut toujours sortir des pépites. Les photos se sont jaunies. Il y a bien longtemps qu'un nu descendant un escalier ne choque plus personne. Oui, il serait facile de nous rencontrer. Sauf que je n'en ai aucune envie.

Je ne mélange pas les torchons et les serviettes.

PetiSaintLeu