Mince, j'ai oublié ma brosse à dents

divina-bonitas

Chronique - objets perdus- restitution- transports ferroviaires- droit

L'histoire semble anodine. Hier un de mes enfants oublie son cartable dans le TER reliant en 10mn notre village à celui où se trouve son lycée. Sorti du DS de Physique-Chimie un peu chaud sous des hallebardes de pluie, un moment d'étourderie et hop, le sac à dos servant de contenant à la calculatrice scientifique, au carnet de correspondance, à l'abonnement de train, à la trousse et au trieur contenant toutes les fiches de révision du Bac de Français, a été laissé sous un strapontin. Au moment où il s'en aperçoit, le TER redémarre sous son nez. Allo, Maman, bobo!

Maman téléphone...cherche à le faire. Impossible par le 3635 - rien ne correspond dans la boîte vocale, la dame des objets perdus de la gare de départ annonce qu'elle ne s'occupe pas des TER, celle qui répond à Allo TER dit que toutes les gares de la ligne sont fermées en raison d'une énième grève avant de raccrocher brusquement, énervée de mon exclamation: "Encore une grève!" Il est 15 heures. Direction la gare du village. Le bureau est en mode sieste et il faut insister. Un brave homme promet d'appeler son homologue dirigeant la gare de terminus, s'engage à récupérer et rapatrier la sacoche si elle est retrouvée. Parallèlement, quelqu'un répond enfin dans cette fameuse gare de terminus. L'homme annonce que si le cartable est retrouvé, il va falloir aller le chercher dans leur gare, celle du terminus, à une heure de Ter de chez nous, payer 10 euros lors de la restitution de l'objet en plus du billet A/R, le tout selon leurs horaires d'ouverture, soit 2 heures au milieu de la matinée et 4 l'après-midi, en semaine bien sûr, la gare étant fermée le W.E. C'est le nouveau règlement. Il traite son collègue de la gare locale d'idiot, lequel n'aurait jamais dû nous faire une promesse contraire aux nouvelles directives. La moutarde commence à me monter au nez.


Une heure plus tard, le même monsieur a la gentillesse de rappeler pour dire qu'il est en possession du cartable, mais que le règlement lui interdit de le remettre dans un train afin que nous allions le chercher au plus près de chez nous. Il me faudra 15 minutes de hurlements, cris déchirants et larmes brûlantes pour que le monsieur concède à faire une entorse au fameux règlement et confie le précieux colis à un contrôleur débonnaire, lequel me le donnera sur le quai une heure plus tard en échange de 10 euros en espèces et sans reçu.


Voilà que je cherche la réglementation en vigueur, laquelle semble d'une rare opacité. Les objets trouvés sauf les matières dangereuses et périssables sont gardés en gare pendant un mois et restitués à leurs propriétaires dûment identifiés contre une taxe allant de 5 à 10 euros selon la valeur de l'objet, conformément à un barème consultable dans les services des objets trouvés, dixit le site en ligne.


Devant m'informer parallèlement d'une perte de care d'abonnement tombée sur un quai parisien, je téléphone au service des objets trouvés de la gare en question. Le serveur vocal sur répondeur pendant 30 minutes, annonce un prix de 9 euros. La dame répondant enfin, dit qu'en fait le prix est de 10 euros, puis qu'en réalité il faut payer entre 5 et 10 euros selon une réglementation interne au transporteur qu'elle ne connait pas vraiment. Donc elle le connait pas le barème précédemment énoncé censé se trouver dans ses bureaux. Les cartes et abonnements de ce type ne sont pas considérés comme des objets trouvés, sont donc renvoyés par courrier s'ils sont récupérés.


Premier souci juridique: la notion d'objet.


Quid maintenant de l'obligation de récupérer l'objet perdu dans la gare correspondant au terminus de la ligne, de la base légale et du règlement? Par curiosité et au prix de 0.34 centimes la minute, je pose la question au 3635- en me faisant passer pour une acheteuse potentielle de billet - à une opératrice du transporteur national qui ne sait pas, me suggère d'écrire au service clients à Arras, dont elle me précise qu'il ne faut pas que je m'attende à une réponse positive de leur part. Entendons que je ne reverrai pas mes 10 euros de frais de gestion et de gardiennage. Quand je lui demande de me confirmer qu'un gars qui perdrait sa brosse à dents à Lyon sur une ligne desservant la Bretagne, devrait aller la chercher au pays des galettes, elle me répond oui. M'étonnant de l'absence de procédure prévoyant de pouvoir réexpédier le précieux objet moyennant finances, elle répond que si l'objet était perdu ou détérioré pendant le transport de retour, le voyageur pourrait mettre en cause la responsabilité des dits services. J'insiste sur l'endroit réel ou virtuel où il est possible pour un voyageur quidam de trouver le règlement correspondant à cette vérité. J'apprends que ça aurait sans doute été indiqué sur un nouveau serveur en ligne dont la mise en service a été retardée.


Second problème juridique:

Qui m'assure que le billet de 10 euros donné hier entre deux portes de TER sans reçu n'a pas fini direct dans une poche personnelle plutôt que dans la comptabilité du transporteur? Comment prouver qu'un bagage nécessairement ouvert par des agents devant s'assurer du contenu des contenants afin de vérifier les dires des voyageurs distraits, n'est pas l'occasion de quelques barbotages discrets?


Une réflexion de droit s'impose. Les bagages sont sous la responsabilité de leurs propriétaires, y compris s'ils sont égarés. Une fois retrouvés, ils appartiennent juridiquement à "l'inventeur", soit celui qui a trouvé le paquet, en l'occurrence des  agents assermentés dont personne ne soupçonnerait la malveillance. Mais qui peut garantir que l'objet oublié ne soit pas ouvert et en partie dérobé ou abimé durant le laps de temps où il traîne sous un siège, au milieu d'une allée ou dans une casier prévu à cet effet? Quelles sont les voies de recours dont disposerait un distrait en constatant qu'il manque une partie de ses effets après la restitution de son bagage en gare de Perpètes les Oies pour une somme X? A mon avis aucune. Le problème de la preuve ou de l'absence de preuve se pose et s'impose. Personne ne pourrait établir avec certitude la malveillance d'un autre voyageur plutôt que celle d'un employé, encore moins celle d'une bête innocente ayant reniflé un Camembert ou un string et l'ayant boulotté mine de rien couché sous une banquette. Ce qui revient à dire que la notion d'engagement putatif de la responsabilité des transporteurs en cas de réexpédition de l'objet n'a pas beaucoup de sens commun et sans doute pas plus de réalité juridique, qu'il s'agit plus certainement d'une question matérielle et de management. S'il fallait renvoyer tous les objets perdus trouvés sur les lignes à leurs propriétaires, ce serait du temps passé et beaucoup "d'emmierdements" pour les transporteurs. Et manifestement le fait que ce même transporteur transporte les lettres et colis  dans de magnifiques wagons pour le compte d'une autre société nationale ne facilite pas la manœuvre.


Je laisse aux brillants étudiants en droit le soin de répondre à toutes les autres questions posées dans ce cas d'espèce: Comment s'applique un/des règlement(s) imposé(s) par une entreprise privée à laquelle l'Etat délègue une mission de service public, dès lors que ce/ces règlement(s) n'est/ne sont pas à la disposition claire des publics concernés, que même les personnels censés les appliquer ne les connaissent pas ou mal et sont incapables d'en identifier la source? Existe-t-il une obligation d'information à ce sujet? Cette règlementation interne est-elle considérée comme un document administratif public? Sinon, quel est la nature juridique de ces documents et quelles sont les voies de recours? Peut-on considérer qu'un barème se trouvant dans un nombre d'endroits limités non accessible aux usagers dont des mineurs, des handicapés, des illettrés et des étrangers, manifestement mal connus des agents censés les faire respecter,  respecte un droit d'accès normalement équitable à un service réputé public? La garde d'un mois des objets trouvés est-elle compatible avec le droit légal de réclamation de trois ans des propriétaires auprès des "inventeurs/trouveurs"? Plancher aussi sur la notion de vide juridique, délégation de service public...


Enfin, voilà sans doute comment trouver une partie des millions nécessaires à l'élargissement des voies trop étroites pour recevoir les nouveaux trains. Le billet de 10 va sans doute s'avérer très vite plus rentable que les pièces jaunes.

  • j'ai trouvé un texte égaré qui parle de brosse à dents, je suis donc donc l'inventeur et je te demande 10 € pour retrouver la propriété, cette somme étant bien entendu demandée pour frais de garde, cela s'entend bien ainsi...!

    · Il y a presque 10 ans ·
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    Pawel Reklewski

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