Mise en Seine
absolu
Elle enchante leurs nuits, au bord des lits, leur raconte des histoires d’Ô, sans mouiller son âme. Ils s‘amarrent à son corps, s’ancrent à sa chair, et font naufrage, sans qu’elle chavire, jamais.
Elle efface ces nuits, entre deux cafés. Accoudée au comptoir, elle lit les gros titres du journal, avant de rentrer.
Elle ôte ses talons, ses bas résille, leurs vies ratées qui traînent sur sa peau, qu’elle oublie, une fois sous l’eau. Puis elle se glisse sous les draps, les siens cette fois, à l’heure où le soleil se glisse sous les nuages. Elle s’endort, bercée par la vie qui s’agite, là-bas.
Elle se lève, vers midi, se prépare un café, ouvre les volets, ramasse son courrier. Elle regarde les petites annonces, emplois à mi-temps, intérim ; trop vieille, pour un CAE, un « vingt heures par semaine ». Elle note quelques numéros, à tout hasard, se ressert un café, se poste à la fenêtre.
Elle appelle ses « voyageurs » pour leur dire qu’il n’y aura pas d’escale, cette nuit. Elle a pris un soir de repos, un soir sans histoire. Personne ne voguera en elle, ce soir. Non, ce soir, il est à elle. Ce soir, c’est elle qui part en croisière.
Elle s’habille, prend les deux verres à pied, sur la petite étagère au-dessus de l’évier, une boîte d’allumettes, part faire quelques courses. Elle achète une bouteille de Champagne, des bougies, et un gâteau, chez le pâtissier. Poires-chocolat, son préféré. Elle a quelque chose à célébrer, aujourd’hui.
C’est une belle soirée qui s’annonce, d’une douceur presque surnaturelle.
Elle se dirige vers Saint-Michel, emprunte les petites rues du quartier latin. Il aimait l’emmener ici, la prendre par la taille, la serrer contre lui. Elle pensait qu’il l’aimait.
Elle arrive face à Notre-Dame, mais ne s’arrête pas. Elle descend les marches, longe les quais, et s’assoit, sur un banc.
*
Tout a commencé sur ce banc, il y a cinq ans. Elle avait à peine dix-huit ans. Elle rêvait d’y faire sa vie. Un homme était venu s’asseoir, à côté d’elle, lui raconta son tour du monde, lui proposa de faire le tour de son cœur. Ses mots l’avaient effleurée, les corps s’étaient effeuillés, les lèvres entr’ouvertes exhalaient la liberté.
Elle s’éveillait enfin, le printemps entre ses mains, dans son ventre le soleil s’invita assez rapidement. Elle était deux, ils ne faisaient plus qu’un.
Il avait trouvé le bonheur dans ses yeux couleur des prés, il en était persuadé. Elle l’avait cru.
Il lui avait dit qu’il s’occuperait d’elle, qu’elle pourrait compter sur lui. Elle aurait dû se méfier. Une promesse faite le jour révèle sa part d’obscurité, le soir venu.
C’est lui qui s’est mis à compter sur elle, quand son ardoise devint trop lourde. Il ne voyait plus le bonheur, dans ses yeux, d’ailleurs, l’a-t-il jamais aperçu ? Il fit l’inventaire de ses atours, devint son corsaire, et fit d’elle une hôtesse de nuit. « Le tour du lit », pour quatre-vingt euros.
Elle a refusé, évidemment. Le masque est tombé, les coups se sont mis à pleuvoir. C’était l’automne, qui commençait.
Elle n’eut pas le temps de se protéger des intempéries, l’hiver s’est précipité, et gela ses entrailles. Elle n’avait plus rien à perdre. Alors elle se donna.
Il trouva d’autres ports, dans lesquels jeter l’ancre, d’autres pores, à embarquer. Parvenu à la tête d’une flotte, il disparut, une dette non remboursée, a-t-elle supposé…
**
Elle regarde s’installer la nuit, assise sur un banc, le long du quai. La Seine reflète quelques étoiles. Paris s’étale, devant ses yeux. Sourit-elle ? Je ne sais pas.
Elle ouvre la bouteille, remplit les coupes. Elle dispose quatre bougies sur le gâteau, les allume. Elle prend son verre et porte un toast à sa comète, à cette petite lumière qui éclaira son ventre, avant de s’y éteindre, quelques semaines plus tard.
La nuit s’infiltre, la nuit se glisse et délimite son territoire.
La surface de l’eau ondule à peine.
Sur le banc, deux coupes, l’une pleine, l’autre aux trois-quarts vide. La cire des bougies commence à couler, sur le gâteau.
La Seine, redevenue immobile, reflète quelques étoiles, auxquelles je m’adresse, entre deux gorgées. Paris s’étale, devant mes yeux.
A-t-elle souri ? Personne ne saura jamais.
C’était juste l’histoire d’une âme anonyme, en quête d’éternité, et qui l’a trouvée, entre deux rives.
C'est comme la cuisine, il y a tellement d'accords, de saveurs, de variations possibles... Merci :)
· Il y a plus de 11 ans ·absolu
oui c'est vrai entre poesie et prose ! mais que c'est bon !!!!
· Il y a plus de 11 ans ·destructor-le
C'est bien là mon "souci" ! Je ne sais pas dans quelle "catégorie" ranger ce genre d'écrits..
· Il y a plus de 11 ans ·absolu
Toute la narration est poétique !
· Il y a plus de 11 ans ·psycose