Moi, Ivo Taillefer

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« Moi, Ivo Taillefer, chevalier et héraut heureux de Godefroy de Canhard, duc anglais, bronzant actuellement sur l’île d'Ibiza, ai l’immense chance d’avoir à mon service un écuyer en or, fils d’un grand financier du royaume, dénommé Laurent Stock.

Cet aimable garçon très instruit, a la faculté de peu dormir.

Ainsi le matin il me sert au lit un déjeuner de rêve me rendant le lever aisé.

Mes habits blanchis la nuit, m’assurent l’admiration de toutes les damoiselles.

En forgeron futé, il affûte tels des rasoirs mes armes à lames, sans omettre de graisser mon armure afin qu’elle ne grince jamais.

Quant à mon cheval soigneusement bouchonné et ferré, il sait lui chuchoter les mots qui le mettent en forme.

Aujourd’hui, je suis l’invité d’honneur de la noblesse locale, à l’occasion d’un banquet donné par un baron germain en villégiature.

Avant de rejoindre l’enceinte aux soixante-dix-huit tours de sire Von o’Graff, je devais m’entraîner afin de garder ma sinistre dextérité.

Mais sous ce soleil, mon brave écuyer ayant ma stature, se dévoua et enfila mon survêtement en tôle.

Avec mon écu, mes cubitières et mon bassinet il alla à la selle exécuter mes exercices quotidiens.

Tout en suant à en rouiller la cotte de mailles, il embrocha quelques pastèques du bout de ma lance aiguisée alternant avec autant de manants réquisitionnés, formant une brochette locale sucrée salée ; tandis qu’au bord d’un bar rond en sirotant un kir royal, à l’ombre d’un cocotier digne des Marquises, je rédigeai un conte triste narrant les hauts faits d’armes de mon saigneur de duc lors de la guerre de cent ans, mais à l’honneur terni, quand un moineau blesse son blason, d’une terrifiante fiente, maculant devant sa suite son heaume ciré.

Ensuite, le sain Laurent me carrossa de ma magnifique armure de soirée en alliage léger, lubrifiée à l’huile de lavande, garnie de gemmes ovoïdes, gagnées au cours des tournois des six royaumes.

Là-bas, je croisai sous les ogives du grand salon, assises en bas sur un sofa ton tabac, la duchesse Terfield à la volute tueuse conversant avec la grasse duchesse Burger, et endormi à leur côté le baron Fleur du Lys.

Je saluai ensuite le mini chevalier de Saint-Martin qui semblait ailleurs, reluquant la tentante fille du maître des lieux.

En guise de mise en bouche dans cette vaste salle, je rendis hommage à un verre de Suze, reine des liqueurs amères, qui adouba mes entrailles.

Les saquebutes résonnèrent, les gardes nous arraisonnèrent et nous amenèrent à la table ronde où trônait un festin, fruit de la chasse à courre du jour : chevreuil à la lie de sancerre, marcassin de lait au sang lié, autruche au miel, faisans sans blanc, le tout arrosé de vins des Huns de Troyes, Foix, Sète.

Les desserts desservis, l’orchestre du duc d’Ellington nous invita à danser, tandis que nos hôtes trouvèrent des amateurs désirant se mesurer au troubadour fanfaron, invaincu à ce jour aux joutes oratoires.

De mon côté, j’ouvrai le bal à la main de la baronne Anne Nisme, d’un branle hardi collé serré, j’enchaînai avec la virevoltante comtesse Tadéhaine, une kyrielle de tarentelles à double hélice, rondement menée qui se termina sous un baldaquin de l’étage.

Concurremment dans la cour ceinte de coursives, le concours entre écuyers tourna court, couronnant sans besoin de secours le courage et la courtoisie de Laurent, ce dernier surclassant sans recours  l’ancien champion Couhard, écuyer du chevalier de Saint Martin, courroucé jugé courtisan, et coureur courbatu de courtine.

Laurent cœur sur la main tel un curé aztèque, Laurent fort sans aides de Zorro, devint numéro un, mais Laurent floué quand le baron teuton, ivre décréta Couhard serviabillissime de l’île, et donna en sus à son maître aussi rond que lui la main de sa fille si courue.

L’alcool aidant, Saint Martin au sang chaud pensa, et trancha son don, ce qui choqua de Roissy à Nantes mais fit rire son servant estimé, rendant sa dulcinée manchote et abandonnée tel un moulin d’avant.

La fête finie, je regagnai ma couche, alors Laurent versa dans mon bol doré, une courte tisane digestive et massa mes membres raides, gage d’une nuit reconstituante. »

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