Mon chien s'appelle Lucide

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Mon chien s'appelle Lucide


« T'es un cocasse ! », dit-il en regardant son chien dont les oreilles baillèrent la surprise.

 

« Tu dors, tu t'en fous, toi, de la marche du monde et de mes angoisses pour tes graines. T'sais que ça coûte, tes graines ? Plus c'est petit, plus c'est cher et toi, tu bouffes que des petites graines pour les petits chiens. Ouais, c'est ça, look at me genre mais qu'est-ce qu'i'dit, l'agité ? I veut jouer ? I veut pas ? J'me bouge ? J'attends un peu ? Mais j't'aime, le chien : t'es un vrai simple, toi, un vrai Atma ! ».

 

Allongé sur ma veste, je regardais ce type parler au chien de Schopenhauer et je me revoyais disputant quelque manquement à un amour du moment. Pour aucune femme, je n'avais éprouvé cette affection charnelle : elle traçait un fil invisible entre la truffe du chien et le nez de cet homme qui riait de bonheur. Eux d'eux ne pourraient jamais s'en vouloir vraiment. Ils joueraient toujours à se mordre en rigolant chacun à sa façon. L'un avec la bouche plein de sons habillées de mots, l'autre avec sa queue en panache frétillant son attente d'enfant. Dans mes amours, on s'était toujours mordus au sang. L'envie n'était pas à rire mais à détruire.

 

Le désir engrosse l'amour et l'amour enfante le désir. Et les deux niquent la mort. Le vide ? Le néant ? Le « pauvres de nous » ? Même pas. L'absurde. L'absurde seulement, posé sur le crâne de l'humanité et sur ce trône, le profane souffle gaiement des bulles rondes… Comme Baudelaire, on finit souvent par sembler avoir manqué de pot quand on a trop longtemps tourné autour.

 

L'actualité, c'est de l'absurde à jet continu : y a toujours un bec ouvert pour avaler la soupe. Du World Trade Center en poussière à DSK en prison, c'est impossible de compter les moutons qui sautent les jours de notre worldwide activité. Ce regard d'égorgés, rond et bête d'acceptance et de peine, c'est nous qui le prenons ou la télé qui nous le donne ? Moutons du Christ, pigeons des puissants, nous sommes le pathétique qui, toujours, ensevelit les souvenirs. C'est notre croix. Mais, sur la carte vitale, elle n'indique aucun trésor.

 

Dura dire sed dire : DSK a déshonoré le libertinage comme Hitler a déshonoré l'antisémitisme. T'as peur, hein, de ma formule à la Drieu ? Pas bien ! Pavlov, réflexe, senteur qu'on t'a apprise « nauséabonde », automatique association. Et tellement « légitime ». Nauséabond : j'adore ce mot, toujours collé façon vomi séché à la peur chérie du retour de la « barbarie ». Ah, les enfumeurs, rien ne les arrête. C'est même à ça qu'on les reconnaît, comme disait l'Autre. La peur du fascisme V1.0 ? Un épouvantail pour dissimuler la version 2.0 ! Plus de bugs, plus de guide : c'est intégré sur la carte mère, c'est en nous et gare à celui qui n'accomplit pas religieusement, la bouche en queue de poule, son « devoir de mémoire ». Mais c'est pas la mémoire du passé qui fera notre futur, c'est la conscience du présent. Et le présent, pour le coup, il est vraiment nauséeux.

 

Faut dire qu'à part bouffer, bouffer et bouffer encore, on ne fait pas grand-chose sinon attendre. On s'écoeure du relatif jusqu'à le rendre pour pouvoir en reprendre un peu. Ca donne aussi le sport, dernière fabrique d'éclats d'absolu : toi, moi, les autres et une loi qui met de l'ordre dans tout ça et nous rassure comme papa. Le sport, meilleur moyen de produire des générations entières d'imbéciles, écrivait Léon Bloy. Il voyait bien. Et on a tous vu, en 36 : Hitler adorait le sport, surtout celui qui agglutinait les masses. Bien sûr, Adolphe laissait le sport aux autres comme les prêtres ont toujours laissé la guerre aux soldats, avec ce mépris rentré qu'impose la nécessité.

 

Ca a changé, tu trouves ? Un ballon au bout d'un pied, ça attire les élus de la foule bien plus qu'un cerveau mathématique ou un philosophe défricheur. C'est « porteur », ils disent. Oui, mais de quoi ? De popularité ? Une suggestion : rétablissez la peine de mort pour les assassins d'enfants et vous passez directo au dessus des 50 % d'opinions favorables. Alors, on continue à jouer au foot ? Moi, je m'en fous, quand on me connaît, je tombe toujours à 20 % d'opinions favorables et j'ai bien du mal à me faire réélire longtemps.

 

Un mec hier qui lâche : « A la télé, les noirs, ils sont tellement beaux qu'on dirait des blancs ! ».

 

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