Mon cygne

morgane68

Mon cygne m’a longtemps guidé. Immaculé, je l’ai suivi les yeux fermés, une confiance aveugle.
Il m’a mené loin, m’a protégé, murmuré tant de beaux mots.
Puis un jour, il a accéléré, si vite qu’il m’a été difficile de le suivre. Mais ce n’était pas fait exprès. Le vent le poussait loin de moi.
J’ai tout fait pour le rattraper, je me suis battue, à contre-courant. Je l’ai atteint ; mon beau cygne s’était transformé. Il n’avait plus cette belle lueur dans le regard qui m’aveuglait. Son visage s’était noirci. Je n’avais pas avancé assez vite, me dit-il.
Il se retourna  et continua d’avancer, toujours plus vite. J’étais perdue, apeurée. Qu’allais-je devenir sans lui ? Il devait se tromper. Il ne pouvait que se tromper, c’était inéluctable.
Je me fis plus belle encore, autant qu’il était possible, je fus aux petits soins, je le suivais sans faillir, sans faiblir. Mais mes forces m’abandonnaient. Fragile.
Soudain, il m’attaqua. Encore et encore. Ses mots, comme des lames, m’atteignaient et me détruisaient. Le rêve s’effondrait. C’était impossible, impensable. Ce n’était pas lui.
Le courant nous éloignait si fort l’un de l’autre. Les liens se rompaient. Il n’en avait cure. Aucune douleur ne fut si forte qu’à ce moment-ci. Aucune larme ne fut plus sincère que celles ayant coulé à cette période.
Je voulais lâcher prise, repartir en arrière, m’éloigner de mon idéal détruit ; mais il me retenait. Me tenait prisonnière avec ses mots, sa faible présence.
Etrangère au monde, seule dans cet univers incompréhensible, douloureux. Je me perdais, ne pensais plus de façon cohérente.
LUI emplissait mon espace vital. Plus il me vidait de ma substance, plus je me raccrochais à lui. Et il continuait d’avancer, toujours plus vite et toujours plus loin.


Puis le temps fit son effet. Le cœur se durcissait, les larmes séchaient. Il devenait impossible de souffrir davantage. Un retour en arrière paraissait envisageable.
Je soutenais son regard, espérant qu’il reviendrait. Mais son visage, son cœur me fuyaient, inlassablement. Torture délicate, imprévisible.
Je n’ai rien vu venir. Mon cygne paraissait si tendre, doux ; il est devenu brutal, incohérent.
Les roseaux m’avaient pourtant averti : fuis-le avant qu’il ne soit trop tard. J’étais la seule aveuglée, j’aurai pu éviter cette souffrance et le laisser avancer seul. Il ne m’aurait, de toute façon, jamais attendue.
Cette douleur fait à présent partie de moi, quoique je puisse faire. Mon cygne est parti en laissant des traces indélébiles.

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