Mon enfant
Uneasy
Elle est sombre. Il fait jour, un soleil caché sous une masse de nuages gris, trop gris pour un après-midi d'été. La chaleur étouffe, ses pommettes sont rouges. Ses baskets martèlent le sol à coup de talon, les cailloux frottés contre ce béton hideux, mal fait, moche. Le trottoir est sale, il pue. Il pue le caoutchouc et la merde de chien. Pourquoi les propriétaires ne ramassent pas ces excréments comme de bons citoyens le feraient ?
Ne boude pas mon enfant.
Il marche sur son pantalon. Son papa lui avait fait un ourlet avant de partir, il avait remonté ce dernier au dessus des chaussettes. L'enfant n'aime pas cela, il a préféré descendre le bout de tissu plus bas, peu l'importe de marcher dessus, maman rattrapera les défauts. Il marche seul. Il marche toujours seul quand sa sœur est là. Un jour, il s'est pris un poteau, une bosse a érodé son beau front.
Ne pleure pas mon enfant.
« Je connais cette rue ! » promet-il toujours à ses parents. Il veut l'arpenter seul comme un grand. Peu de voitures passent par ici. Les routes sont désertes et ces idiots de poteaux le protégeront lorsqu'il marchera seul sur ce foutu trottoir. L'eau est conduite par les canalisations sous ce béton armé qui a arraché tant de morceau de chair, des bouts de peau éparpillés sur la route. Il s'est écrasé sur cette route un jour, le sang coulé le long de son genou entamé.
Montre-moi mon enfant.
Ces poils, au menton de son papa, il rêve de les avoir et sa voiture aussi. Il veut conduire une jolie voiture, arpenter les routes, les roues contre sur le sol de cette route, celle qu'il connaît si bien. Elle a été rénovée depuis, du moins la mairie a fait des efforts. La voie est séparée par une bande blanche, froide comme sa coupe au bol. Il déteste cette coupe et cette ligne qui défigure sa route. Il va se venger plus tard, il va cracher dessus, des mollards épais et écumeux. Il les regardera, il crachera de nouveau.
Fais attention mon enfant.
Les voitures roulent vite, elles ne font pas attention au chat de la voisine, une vieille dame qui vit seule à ses côtés. Elle le caresse, le câline de ses bras menus, des brindilles ridées, les os pointus qui percent l'épiderme, qui se tordent. Le chat écrasé, le sang étendu sur la plaque d'égout, le crime d'un automobiliste peint sur le cercle de métal. Le sang circule. La queue pend. Le conducteur roule toujours.
Ne le touche pas mon enfant.
Les chewing-gums sont collés sur le sol, des tâches blanches indiscrètes, des points blêmes sur un fond immaculé. Sa petite sœur a des tâches de rousseur sur le bout de son nez, elles sont marron et rondes comme celles de leur maman. Il les admire, ces petits pois, lorsqu'il la regarde. Il pensait que c'étaient des petits boutons noirs qui poussaient. Il les méprise, ces chewing-gums qui sortent de la bouche pour atterrir sur un bout de trottoir.
N'en mange pas mon enfant.
Sa sœur, sa séraphine sœur… elle a le don de l'attendrir. Ses petites dents cachées sous ses lèvres, blanches et immaculées même lorsqu'elles mâchent un bout de viande animale coupée au couteau. Il l'aime. Il aime cette rue aussi. C'est une partie de lui, cette route sale qui pue le caoutchouc, déformée par un trait qui la scie en deux, cette route boutonneuse, ces animaux morts écrasés devant chez lui, ces poteaux de sécurité,… C'est chez lui.
Tu as raison mon enfant.
Joli style et belle ambiance!
· Il y a plus de 10 ans ·Cela ferait un beau début de nouvelle.
Frédéric Clément
Merci beaucoup, c'est très gentil. Pourquoi pas réécrire ce texte en nouvelle, c'est vrai... je tenterai.
· Il y a plus de 10 ans ·Uneasy