Mon jardin des plantes

le-teton-lunaire

Mon jardin des plantes

Je n’ai jamais connu Hiroshima. Sur les photos ce n’est pas moi.

J’aurais aimé pourtant, devenir survivant.

Olga s’installe à mes côtés. Elle m’accompagne partout. Une illusion. Au moment du crash, elle était derrière. La voiture est intacte mais Olga s’est dissoute sous la violence du choc.

Seul.

Huit heures du matin.

Je marche à travers la ville.

Paris se fait bouche, langue,

mes sens s’affolent.

Pont d’Austerlitz, à gauche la façade de la morgue appelle l’imaginaire.

Femme/autopsie/l’assassin court toujours.

Les péniches habitées stagnent, immobiles, sur la Seine.

L’eau apaise et prolonge l’instant.

Devant moi, le portail grand ouvert.

Mon jardin se détache du paysage, m’isole du Paris que je ne reconnais pas,

celui que j’ai fui.

Ma grand-mère avait un oiseau dans la bouche.

Elle vivait de l’autre côté, rue Geoffroy st Hilaire,

Pendant la guerre elle jouait là.

Sa vie, couleur sépia, habite encore les lieux.

Je fouille.

Animal disparu.

Les souvenirs se frottent aux ailes du papillon.

Mon jardin colle à la cervelle.

J’y retourne chaque fois, prendre une feuille de mon arbre.

Ses branches tombent au sol.

Il faut s’y glisser, grimper dans l’enchevêtrement.

Les souvenirs s’ajoutent aux souvenirs plus lointains encore.

Dans les allées, j’apprends par coeur le nom des plantes, fièvre latine, les promeneurs brisent la solitude de l’expérience.

Et dans l’air frais du matin je chasse de la main, façon mouche, ces hommes qui viennent envahir mon terrain.

Les bocaux de formol, les arbres centenaires, les statues légendaires,

je me nourris de l’inconnu, de ce que j’imagine derrière les murs, derrière l’histoire, derrière ces gens que j’observe sans qu’ils n’en sachent rien.

Les cris des bêtes donnent corps aux arbres dénudés. 

L’odeur animale se répand.

Mon  jardin varie, de saison en saison.

Nouveau et renouveau.

Pareil à l’ être familier que le désir façonne,

j’y viens et j’y retourne,

princesse nostalgia.

Je regarde le jardin d’aujourd’hui, y cherche mes repères d’hier.

Joueur de trompette, phoque, volière, bacs à sables, joueurs d’échec, vélo orange, bonnet en laine, éléphant, serres, labyrinthe.

Ici je me laisse envahir.

Ici je suis ce nouveau-né que l’on pèse et mesure, et que, bientôt, l’on rendra à sa mère.

En hiver les familles ne s’attardent pas.

Le contraire des bords de mers assaillis en été.

Je voudrais voir ces hommes/femmes/enfants engloutis par les larmes, contre-feux à ces visages radieux, sentir le végétal et l’animal broyer le monde autour.

Instinct de propriété, mon jardin est le type même de lieu que l’on garde pour soi, que l’on croit être à soi, avec l’espoir de ne pas contaminer les autres, écho à ces musiques intimes qui une fois livrées au vaste monde prennent des allures vulgaires

Je vais, persuadée que sans ces images qui fermentent au cœur de ma cervelle,

ce jardin redeviendrait jardin.

Les jours de pluie les femmes font des offrandes à la mer pour qu’elle épargne leurs maris. Les fleurs émergent des flots, partent rejoindre l’horizon. Engloutis en chemin, on en voit revenir sur la plage. J’imagine mon jardin en océan lointain. Pour croire il suffit de croire.

Animal de compagnie, bouée de sauvetage, recours gracieux

J’y ai posé un livre.

J’y ai vu des oiseaux se jeter sur les pages.

J’y ai pleuré, aimé, et suivi l’œil du passant.

Paris s’éveille.

Les corneilles se dispersent 

Et le monde s’écroule.

Hiroshima,  là-bas les plantes ont disparu.

Mon jardin, mon nid,

une bête sauvage aux contours dociles,

Je pourrais fuir, méta-muer le lieu, y construire une cabane,

Je préférerais qu’il soit laissé à l’abandon,

offert aux poètes et livré aux oiseaux

J’en sors. L’entrée est derrière moi.

Alors je redeviens élément du décor,

l’intrus du paysage.

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