MON PÈRE

Julie Ormancey

Je n'aurai connu mon père qu'à travers des placards ouverts et découverts. Je ne l'aurai approché qu'en l'observant, dissimulée derrière cette solitude tiède accompagnant ces rares instants découpés de lui, éloignés de sa voix et du manque qu'il sème derrière lui.


Ma seule activité chez lui est, depuis toujours, cette main baladeuse et fouilleuse, guidée par cette envie de le lire, de le deviner, m'amenant à investir ses armoires, retourner ses placards. Je ne sais pas son odeur, j'oublie parfois jusqu'au son de sa voix, mais me revient toujours cette intimité d'exploration que je ne partage pas.


Mon père n'est pas de ceux qui savent aimer, peut être ne l'a t'il pas lui même tout simplement été. Et si cela n'excuse rien, ce qu'il m'a pris ne me sera jamais rendu. Le temps perdu ne sera pas rattrapé. Ses euphories, a l'instar de ses sourires, sont aussi brèves que provoquées de départs et de fuites en arrière.


Son amour est ingrat, entiché de ceux qui ne le lui rendent pas, écœuré par ceux qui l'aiment un peu trop, il bat la mesure de l'ignorance et de la dévotion comme on choisi dans l'urgence de se servir un verre ou de rester a l'eau.

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