Monde foireux d'un artiste raté

cat-tomate

Encore un autre soir, pensa Ben.
Il lui semblait désormais impossible qu'il en soit autrement, son quotidien s'était tout simplement mué en une version plus chaotique de sa vie en laquelle il lui était toujours ardu de croire.
Il fit teinter une fois de plus les glaçons de son verre de scotch avant de le vider d'une traite, ne manquant pas de réprimer cette vilaine grimace tellement typique du commun des mortels. Le scotch avait toujours eu le don de lui décaper la gorge, mais tant pis, c'était sa routine obligatoire avant d'entrer en scène, le genre de chose qui s'installe inévitablement au fil du temps comme les rides soutenus d'un visage trompé par les années.
Un instant, il lui sembla souhaiter que le feu amer de la boisson insistant dans sa bouche s'étende et se répande jusqu'à le consumer aux os, ne laissant derrière qu'un sale petit tas de cendre en guise de révérence.
Ce serait bien fait pour eux, songea Ben.
Il se resservit un verre en honneur à toutes ses années perdues et ses sacrifices injustifiés, uniquement pour revivre la sensation euphorique de disparaître et d'abandonner ces petits connards dans leur propre bourbier.
Sa gorge était maintenant douloureuse comme si des centaines de débris de verre s'y étaient logés, mais la légère ivresse qui le gagnait l'enveloppait d'un voile interférant le temps, l'espace et les sensations. Tout devenait lent, trop lent, comme un vague effet stroboscopique de mauvais goût.
Ben s'assit par terre, comme pour se prouver que chaque élément du monde tel qu'il le connaissait demeurait bien à sa place dans son environnement mélangé. Il enfonça ses doigts dans la moquette et la tritura jusqu'à en arracher de longs filaments d'une couleur cramoisie, tentant de réprimer la nausée qui s'était emparée de son système.
Toucher lui faisait du bien, manipuler jusqu'à ce que les couleurs se délavent et que les matériaux se décomposent.
Toucher, toucher, toucher… toucher… encore toucher, toujours toucher…

« -Hé, tout va bien là-dedans?  L'interrompit une voix nasillarde derrière la porte, suivie de quelques coups insistants.
-Et merde, souffla Ben, se réveillant tout juste de sa transe.
-Est-ce que tout va bien de votre côté M. Palkins? J'ai cru entendre du bruit, mais je n'en suis pas certaine…
-Ouais, ça va, ça va, mais ça irait sans doute mieux si les foutus emmerdeurs de votre genre n'existaient pas, Mme Wington.
-Comme vous voudrez M. Palkins, mais j'étais seulement venue vous avertir que c'est à vous dans 5 petites minutes, alors quoi que vous faisiez, et je ne veux pas le savoir, arrangez-vous pour être prêt, nom de dieu!
-C'est ça, c'est ça! Allez donc plutôt déverser votre flot de conneries ailleurs!, explosa Ben.
-Comme vous voudrez, M Palkins, mais ne soyez pas en retard. 
-Ouais. Bien sur. »
Ben se releva difficilement, puis alla se resservir un verre de scotch, faisant de son mieux pour amplifier les bruits sources du calvaire de cette foutue petite dame; réagir face à un alcoolique flemmard de premier ordre.

« Emmerdeur toi-même » cracha Pattie Wington entre ses dents, avant de tourner les talons. 

                                                          ***

À suivre.


  • J'ai bien aimé ce petit texte, un style qui fait que l'on se sent assez proche du personnage ( et en passant je trouve que sa psychologie est plutôt bien faite ). Au plaisir de lire la suite !

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Imageldd1

    ------

Signaler ce texte