Mosaïque

Christian Lemoine

Ton cœur. Certains t’en chanteraient la joie des diversités, la multiplicité des rencontres. Cet amalgame hétéroclite dont on prétend qu’il nous enrichit. Oh ! oui. Éclatement joyeux ou fracas démantelé. Corne d’abondance à mesure emplie que les visages et les voix s’y jettent, s’y croisent, s’y perdent, mais s’accumulent en trésor d’émotions. Tonneau des Danaïdes toujours plus vide de ses richesses, toujours plus plein des écoulements, comme des humeurs noires qui dragueraient au cœur du cœur ses plus belles effigies pour y substituer des sables renversés. Mais quelle promesse sédative ? Ces chansons qui bercent les mélancolies, laissant accroire que le baume existe, après l’âpreté des blessures. Ne t’en a-t-on pas assuré, du lever d’une aurore enfin dégagée, après tous les ciels tourmentés, et les nuées glaçantes, et les fausses tempêtes ; et les aubes trompeuses, les embellies trahies ? Ne t’en a-t-on pas convaincu, du sens métaphysique des deuils, comme autant de pavés brûlants construisant une chaussée qui devait mener à ton épiphanie ? Ton cœur. Il s’étrique et s’abîme. Car dans son asthénie étranglée, la prochaine cassure de mosaïque qui le traverse ne sera pas un nouveau tesson pour ajouter son éclat à la fresque de tes ruptures. La prochaine cassure, celle déjà collée à la surface de ta chair, sera une nouvelle écharde, emportant avec elle en te fuyant un lambeau ensanglanté. Avec la prétention ultime d’être la dernière plaie, celle qui t’épuisera enfin. Et cependant, en tes valves et tes ventricules, la malédiction des cellules toujours parvient à reconstituer le muscle obstiné, toujours prêt à s’ouvrir à cette promesse retorse.
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