Mots pour maux

Sabine Dormond

Je suis née cabossée, venue au monde avec des cicatrices striant mon âme toute lisse et des casseroles aux pieds.

J’ai tôt deviné que les bobos se soignent avec des mots et me suis mise à gazouiller.

Vers cinq ans, j’ai appris que mes jours étaient comptés, que le soleil viendrait à décliner, que l’aube resterait endormie.

J’ai pressenti tôt que les bobos se soignent avec des mots et me suis mise à gribouiller.

J’ai collectionné des joies si menues qu’elles tenaient dans la paume d’une main, entassé mes terreurs sous le lit, serré mes peines dans la boîte à chagrin

Vierge de toute notion, j’ai cheminé les yeux bandés, croisé bien des désillusions, esquivé de gros dangers.

J’ai cru aussitôt que les bobos se soignent avec des mots et me suis mise à fabuler.

J’ai séjourné sur la lune, m’y suis sentie trop étrangère ; j’ai regretté ses dunes sitôt rentrée sur Terre.

Plus j’essuyais de quolibets, de moqueries et d’injures, plus de louanges je quémandais pour panser ces meurtrissures.

J’ai oublié que les bobos se soignent avec des mots et n’ai rien trouvé à rétorquer.

Je me suis fourvoyée dans des amours à sens unique ; j’ai usé ma crédulité sur des promesses ironiques.

Puis je me suis rappelée que les maux se soignent au stylo et me suis mise à rédiger.

J’ai griffé des pages et vidé des cartouches, traqué l’expression qui touche, la formule qui fait mouche, l’être au détour d’une phrase ou le fragment d’universel qu’on frôle sans emphase, caressé des idées, accouché des nouvelles, débridé mes pensées, nourri un rêve à portée de clavier, aimé l’odeur de l’encre et le rythme des mots qui bercent les bobos.

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