Mourir à petit feu
Jean Claude Blanc
Mourir à petit feu
Allongé sur mon pieu, je dompte mes douleurs
De souvenirs heureux, j'en ai plus qu'à revendre
Dans ma chambre stérile, défilent belles heures
Où je courais les bois, à me rompre les membres
Putain de goutte à goutte, à lui suis asservi
Me distille lentement, un supplément de vie
L'infirmière généreuse, me sert quelques mots
Mais, hélas, impuissante, à apaiser mes maux
Sur ma table roulante, sont posées mes reliques
Photos de mes enfants, chapelet et gris-gris
J'anime comme je peux, mon opéra tragique
Que ne ferais-je pas, pour me vider l'esprit
Ma litière est posée, sur un haut présentoir
Dernière étape sans doute, précédant le mouroir
On vient me visiter, sans évoquer le crabe
Me saluant de loin, comme si j'avais la gale
Je sais que je suis cuit, mais encore en sursis
A quoi ça sert, bon sang, de prolonger la vie
De cesser de lutter, j'en ai plus qu'envie
Accroche-toi mon pote, me soufflent les amis
Depuis des mois, chez moi, j'en ai vu le martyr
Lentement crabe sournois, se taille son empire
J'ai dû abandonner, mon intime foyer
Car je suis plus rassuré, d'être hospitalisé
A force de souffrir, tout seul en secret
On devient égoïste, du monde étranger
Ne voulant voir personne, son mal, on l'endure
Plus jamais, ne supporte, qu'on parle au futur
La bête me fout la paix, vais pas la réveiller
Je profite de l'instant, pour faire testament
Longtemps que j'ai compris, que je vais y passer
M'empresse de tout régler, tant que je suis conscient
Parait que j'ai maigri, ne peux plus me lever
Moi qui étais un mâle, un sportif musclé
Même pour faire pipi, on tient mon robinet
A voir plateau repas, j'ai envie de gerber
Un jour qui se lève, c'est comme du pain béni
Toujours ça de gagné, de pris sur l'agonie
Un simple roitelet, sur son arbre perché
Suffit à mon bonheur, encore l'extasier
« Comment va aujourd'hui », me lance le toubib
Classique ritournelle, qu'on chante aux condamnés
Ne sachant que répondre et pour pas le vexer
M'efforce de sourire, et même déconner
Me porte comme un charme, et costaud comme un turc
Bien sûr c'est du flan, ma propre méthode Coué
Injecté de morphine, on invente de ces trucs
Paradis avant l'heure, on se fait à l'idée
Doucement soir descend, à fenêtre guillotine
Déteste ce moment, où rôde la vermine
Avec la maladie, on fait ami intime
On se regarde mourir, en signant le registre
Quand t'es à bout de forces, ton corps, t'abandonne
Prêté aux expériences, comme bête de somme
On le bourre de pilules, et de rayons magiques
Chaque jour un peu plus, guerroient produits chimiques
Me prête sans illusions, à tous ces simulacres
Peut-être grâce à moi, va avancer la science
Si d'autres sont sauvés, qu'importe le massacre
Vais m'endormir tranquille, est en paix ma conscience
Cauchemars et insomnies, agitent toutes mes nuits
Presser sur le bouton, j'hésite à alarmer
Voulant pas déranger, les veilleuses débordées
N'ont pas que ça à faire, me tenir la mimine
Une énième piquouze, et le tour est joué
Retombe dans le coltard, le néant assuré
C'est une petite mort, qu'on dose en pointillés
La vraie, ne la connaît, qu'est-ce qui m'attend après…
C'est ainsi qu'on s'éteint, sans larmes et sans bruit
En toute dignité, fidèle à son destin
Serrant une dernière fois, la main de ses copains
Hantés de se colleter, identique supplice
J'ai fait parler mes morts, aux chairs martyrisées
Dans leur peau torturée, j'ai voulu me glisser
A plus ou moins long terme, on est tous condamnés
Je m'entraîne à souffrir, la mort mystifier
« Parmi c'est 3 mots, y'a un intrus :
Chimiothérapie, espoir, avenir
Cherchez l'erreur…. »
JC Blanc mars 2022 (Hommage à Desproges, qui a gardé jusqu'au bout, sens de la dérision)
Aucune rancœur dans les pensées du condamné. "Ne veut pas déranger", un texte magnifique.
· Il y a plus de 2 ans ·Christophe Hulé