Mr. Auto

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Ou les tribulations d’un journaliste automobile.

C'est un couche-tard mais aussi un lève-tôt. A la maison, ses gosses et sa femme se lèvent aux aurores. Bien obligé de suivre la cadence familiale. Au boulot, même service. Le taxi l'attend devant la porte avant que le soleil se soit pointé. Argh! Heureusement, le trajet direction l'aéroport CDG permet de pioncer, finir la nuit, ou la commencer. Car oui, le journaliste automobile ne dort pas beaucoup.

Arrivé au terminal, faut préparer la note. "On va arrondir à cinquante euros." Parce que le chauffeur a eu la délicatesse de pas l'ouvrir, de laisser la radio en mute sans même un coup de klaxon. "Ne me remerciez pas, c'est la boîte qui paie".  Car oui, le journaliste auto aime être grand seigneur avec chauffeurs, livreurs et tartempions, aux frais de son patron.

Enregistrement des bagages en un rien de temps. On coupe la file. "Héhé, j ai cumulé tellement de Miles l'année dernière, qu'un beau matin ma Flying Blue est passée d'ivoire à l'or". Alors que Madame cumule ses dizaines de points annuels pour gagner attention, une carte cadeau de vingt euros au Géant Casino, Monsieur se gargarise de détenir le Graal du grand voyageur. Car oui, le journaliste auto adore se donner de l'importance.

 "Café serré SVP". Le journaliste auto se pointe au lieu de rendez-vous. Tandis qu'à la même heure, son fils rejoint les potes en cour de récré, le père s'apprête à retrouver la joyeuse bande des gais journaleux. Vieux timides, jeunes pédants, quarantenaires grandes gueules et trentenaires belles gueules, tous répondent présents à l'appel des constructeurs automobiles français, chinois, allemands et autres nationalités, pour commencer une folle journée de travail. Ils ont laissé leur famille, leur chien ou leur chat, vaquer à leurs occupations des plus futiles pour exercer un métier de dur labeur. Car oui, le journaliste auto travaille dur, très dur. Il vous dira qu'il est vraiment loin d'être aux trente cinq heures.

 Une fois la cérémonie des hugs passée, le gars de la com Subaru, Citroën, Toyota et tralala, gentil organisateur du moment, convie l'équipe à fort taux de testostérone, à découvrir leur destination. Car oui, le journaliste auto ne cesse de voyager. Pour écrire son papier, sa rubrique dans un canard LifeStyle, ou remplir ses deux mille signets, il a besoin d'essayer des bagnoles aux quatre coins du monde.

Sous le soleil de Côte d'Azur, il peut descendre au Carlton. Beau cadre pour shooter la voiture mais les piaules se font vieillissantes. Au fin fond de la Laponie, il teste la tenue de route sur glace du dernier 4x4, avec en pause apéro, œufs de béluga sous fond d'aurores boréales. Ok, mais qu'est-ce qu'on se les gèle ici! Une virée à Barcelone avec la nouvelle citadine du moment devient coutume. Accompagné de guapas, il finira par danser toute la nuit au ZanziBar. Le ZanziBar, Boring!! Fait, refait, surfait. D'un ennui mortel! Car oui, le journaliste auto se plait à râler et s'emmerde très vite.

Les constructeurs automobiles le savent et misent le paquet sur chacun des voyages presse. Destinations de rêve, hôtels de luxe, restos étoilés, activités et spectacles à la clé. Le programme doit être alléchant, du divertissement à gogo, jusqu'à écœurement. Le but étant de plaire, satisfaire ces messieurs qui vanteront le nouveau modèle de Jaguar, BMW ou Peugeot. Car oui, le journaliste auto est avant tout une personne qu'il faut acheter.

Reconnaissant son pouvoir suprême sans la moindre culpabilité, le journaliste auto se régale à jouer les divas d'un jour. « Pourrais-je avoir un Coca supplémentaire dans mon minibar ? », « Pourriez-vous me prévoir une parka dans la voiture ? », « J'avais demandé ma viande bleue. Celle-là est plutôt marron-cramée ! ». A la maison, Madame a prévu un poulet, acheté à LIDL, au mieux à Picard. Mais ici, il est tout autre, il est le roi tout puissant. Arrogance et décadence vont bon train. Car oui, le journaliste auto adore se mettre dans la peau de son personnage. Une vraie leçon d'Actors studio.

L'heure d'essayer le véhicule, but officiel du voyage arrive enfin. Il veut le toutes options : tableau de bord en cuir, guidage automatique du volant, GPS ultra High-Tech, palettes au volant et repose gobelet pour son Coca. Les moindres détails sont passés au crible : l'assise des sièges testée et retestée, la largeur du coffre, le capot ouvert, les mille et un gadgets mis à mal. Il s'amuse à trouver tous les défauts du modèle. Car oui, le journaliste auto est une fouine, une fouine plutôt pointilleuse.

Passons à la conduite. Un jeu d'enfant. Un pur shoot d'adrénaline. On appuie sur le champignon pour connaître la vitesse max. On déglingue les pneus tout neufs en driftant sur les parkings. On se réjouit de chaque flaque d'eau vérifiant inlassablement l'aquaplaning. Tout est bon à prendre pour l'inspiration du prochain papelard : « Une V. max d'enfer pour la nouvelle Mercedes Classe C », « Des pneus du tonnerre chez Michelin », « La petite Jeep des grands espaces ». Car oui, le journaliste auto est un sale gosse, parfois même irresponsable, qui a de l'idée à revendre.

Au terme du voyage, ou de la colonie de vacances, appelez ça comme bon vous semble, le journaliste auto se rendort entre deux wagons, une correspondance, sur un siège d'aéroport. L'attend alors le dur retour à la réalité : les devoirs de son mouflet, les engueulades avec son ado, les règlements de compte avec sa femme ou tout simplement son chat. Car oui, le journaliste auto est un peu schizo. Entre bon père de famille middle class et grand enfant jouant avec les belles voitures qu'on lui prête, il souffre de profonds troubles de la personnalité.

En bonus, il lui faudra finir son article. Car oui, le journaliste auto a quand même un patron !  

Qu'il carbure au whisky, au diesel, à l'électrique, à l'arrogance, à la vitesse, à la luxure ou à l'insolence, il se persuadera toujours d'écrire une page dans l'histoire de l'automobile. Car oui, le journaliste auto a tout d'un vantard ringard.

A vous d'en juger!


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