Murmures au vent
hel
Je suis de deux pays, l'un est silence, l'autre est fuite.
***
Dans l'évier, de la vaisselle sale. Des poussières sur les étagères, des miettes sur le sol. L'intérieur est comme mort, il flotte abandonné. Il a le parfum du renoncement, des choses qui s'empilent.
Le soleil perce trois minutes, il montre, pointe du doigt, renvoie au regard, les fleurs mortes abandonnées à l'eau croupie du vase, les pétales tombés et la poussière, elle encore, au-dessus, en dessous, la poussière un peu partout.
Des fleurs de quand, des fleurs de qui, on ne sait même plus, même la mémoire peine à se faire un chemin. Amas et dépôts, des mégots en cathédrales, des cendres qui se trainent lasses.
Le regard voudrait fuir mais il ne peut que subir le constat, et les images frappent une à une, et la lumière qui perce blanche, rend tout plus sale, plus visible. L'œil endormi se réveille, prend les coups et l'empire du rien parait immense.
On sonne à la porte.
Silence et fuite, encore. Toujours.
La porte reste close et les pas s'éloignent.
On peut ouvrir la fenêtre, ouvrir toutes les fenêtres, le vent qui brasse n'emporte rien, il se contente de soulever, et tout retombe mollement.
On se dit demain, on repousse.
Le soleil disparait. Le gris reprend la place du gris.
On oublie. Le regard reprend son voile commode.
L'attente ça vous rend les bras ballants, quand il faudrait s'agiter, s'user la pensée en donnant corps au mouvement. Mais le corps on le regarde comme un vieux déchet, puis lui aussi on l'oublie, on le voile, on superpose dessus, puisqu'il fait gris et froid de toute façon à quoi bon ?
On se dit qu'il faudrait dormir cent ans, retrouver l'entrain, le courage de prendre les choses à la racine, au cœur du cœur d'où tout découle, et l'on fait mine d'ignorer que l'on dort déjà depuis trop longtemps.
***
Où me suis-je endormie exactement, à quel endroit, quel moment ?
Il est peut-être des gens, qui traversent la vie comme cela, toute la vie entière en dormant.
Et tisser des fables, et y laisser chanter le vent.
***
Dans le jardin de Madame Simone, il y a de ces quantités d'arbres dont on a perdu le nom.
Ils ont l'écorce comme déchirée par endroits, des zones blanches, de grands silences peints sur les branches. Eux aussi, la ville les épuisent. Eux aussi, la vie grise les ronge. Il leur faudrait des champs et des rivières, en lieu et place des grandes tours. Il leur faudrait d'autres terres, d'autres soleils. Ils peinent, ils sont las, comme des cancers des racines jusqu'au tronc. Quelque chose les bouffe de l'intérieur.
Au-dessus des arbres, où les branches se faufilent, la toile grise du ciel et nos yeux qui y chahutent le temps. Ils s'y envolent, chercher des blancheurs, des silences moins lourds, et peut-être bien un peu de bleu, comme une certaine nuance où se perdre.
Quelques secondes, certains jours, Antoine est cette nuance.
Quelques secondes de certains jours seulement.
Du trop et trop peu à la fois.
Alors je le chasse, m'aère. Mes pensées en voyage dans le grand jardin, au presque bon air. Ni saletés, ni choses entassées. Le regard se lave. Le cœur oublie un peu.
À bien y regarder les arbres du jardin de Madame Simone sont gris. Les branches nues de tout vert, justes des myriades de boules de gomme, boules de rien, fruits morts d'un vieil été que l'hiver leur a laissé accrochés on ne sait trop pourquoi. Où l'on ne voit pas, quelque part sur la hauteur des branches, des promesses en bourgeons.
Tout meurt, tout renait, cycles et recycles. Les arbres tristes, nous font comme des miroirs, et l'on murmure les mains jointes : printemps !
Un peu comme l'espoir, un peu comme la chimère des chimères. Comme si le vert avait ce pouvoir là, d'un grand coup de langue, d'un gros appétit, d'avaler toutes nos névroses, de nous refleurir le dedans, de nous agiter enfin.
Madame Simone dit que bientôt ça ira, qu'on n'est ni de ces geignardes ni de ces chialeuses, à s'appesantir trop longtemps. Ça nous passera comme c'est venu, on peut encore serrer les dents en attendant, serrer fort à s'en faire péter les mâchoires, et bientôt on ne se rappellera même plus, on oubliera sous le soleil, on tassera dans les coins, d'un coup de pied les merdes sous le paillasson, et puis on repeindra les murs, on plantera des capucines, des œillets, et d'autres couleurs. On fera des trous partout, oublier ceux du ventre, oublier on ne sait même plus quoi mais qui quand même pèse vachement lourd.
On a qu'à dire que c'est juste l'hiver, oui, c'est bien commode bien pratique. Tiens l'hiver prend tout sur ton dos et puis emporte jusqu'à l'année prochaine. Oublie-nous, cinq minutes, quelques jours, quelques mois. Tu peux bien faire ça. Vas-y dégage. On se dit à bientôt.
***
Antoine ne passe plus trop dans le quartier, qu'en courant d'air, en échappées.
On se frôle à peine.
Deux hypothèses : j'en guéris ou j'en crève.
Vite, vite, j'implore au vent.
Pour me soigner, à moins qu'il ne s'agisse d'un testament, sait-on jamais, je remonte le cours de mes deux pays. Les deux sont bien gris, pour ne pas dire noir.
Sur mon père, sur ma mère, je repose le couvercle.
On verra demain. Demain c'est bien. Demain c'est loin.
On dirait que tout ce petit monde est en état de léthargie.. I' hiver joli prétexte .. !! Tout ça est très bien rendu .. Et ce chassé croisé de ces personnages en souffrance .. Tu as l'art et la manière ... Allez, il va falloir que cela évolue dans le bon sens .. Bravo en tous cas Mama'Hel !!
· Il y a presque 9 ans ·marielesmots
Bah ça a bien évolué (même si j'ai arrêté de posté un peu, aussi j'écris beaucoup cette fois, et après ça fait torrent donc) dans le bon sens, hum, dans des sens fluctuants dirons nous, comme ça ça fait un écrit qui me ressemble bien ! aha.
· Il y a presque 9 ans ·Et merci beaucoup, tous ces petits mots m'ont donnés beaucoup d'élan !
hel