Mustapha

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 Ravissant  chaque coin du large quai, des garçons  et des  adolescents appelés les « oulads », se présentent, seuls ou par   petits groupes proposant leurs services moyennant quelques pièces de monnaie et un petit sourire de remerciement, mais la jeune femme ne peut  se permettre ce service.

Trainant difficilement  sa  lourde valise elle s’éloigne quelque peu du tumulte et ajuste, bien claire, la  rose  qui devrait servir   de signe de reconnaissance   à la personne qui doit en principe l’accueillir.

Les minutes s’égrènent lentement et elle  semble plutôt désemparée alors que sa crainte de ne trouver personne à l’attendre se dessine de plus en plus.

 En effet, le doute l’envahit peu à peu au fur et mesure que le  quai progressivement se vide au moment où les « oulads », sals et mal-habillés, continuent à tournoyer autour d’elle.

Mais elle est  décidée à aller jusqu’au bout, et cela se voit dans la lueur des ses yeux bleus au reflet de ce beau ciel, où le soleil règne en maitre absolu, combien même le col-montant de son  pull en laine l’étouffe au point de l’asphyxier.

Ajustant encore plus apparente sa rose, elle ne bouge pas de sa place, mais après une heure d’attente, le doute  se transforme en certitude et la crainte en peur.

Elle ne sait  même pas où aller et résignée elle met sa main sur sa valise lorsqu’un  petit gringalet, propose, dans un français plutôt tordu, de la lui porter.

Vu ses  moyens limités, elle allait refuser,  mais    les yeux  tout noirs et presque suppléants du porteur la font renoncer.

Heureusement d’ailleurs car le  parcours jusqu’aux services des Douanes est très long sans compter le  soleil de plomb qui inonde chaque mètre de ce gigantesque port très encombré.

Elle doit encore subir une très longue file avant de se présenter devant un  douanier en zèle qui, sous l’œil attentif de son  chef, vérifie pièce par pièce tout le contenu de sa grande valise.

Deux livres d’Aimé Césaire « Cahier d’un retour au pays natal » et  « Discours sur le colonialisme »  semblent attirer son attention et il les remet aussitôt à son supérieur.

Ce dernier en  feuillette calmement les préfaces avant de demander gentiment à la jeune dame de l’accompagner dans son bureau:

« Désolé mademoiselle, je suis obligé de vous  confisquer ces deux livres !

« Puis-je savoir pourquoi ?

« Ils  sont interdit d’accès.

« Mais  les livres de Césaire sont vendus  librement partout en France !

 

«« En France  Oui, seulement nous ne sommes pas dans la métropole, mais  dans l’une de ses colonies et les temps ne sont pas favorables aux idées développées par cet auteur.

«  Je suis journaliste et pour moi c’est un outil de travail,

« De toute façon  vous gardez le droit d’introduire une requête auprès des autorités policières compétentes!

« C’est ce que je ferais surement car il n’est pas question qu’on limite les libertés des gens sans raison !

« Dans ce cas, je ferais mon rapport et je vous soumets avec les objets saisis aux services  de la sécurité du territoire et à eux de décider, alors qu’en dites vous ?

Blême Mireille ne sait que répondre et préfère se cacher derrière un mutisme qui en dit long sur la peur qui l’envahi à l’entente de la sécurité territoriale !

« Décidez-vous mademoiselle, je n’ai pas que ça à faire,

« C’est ma première visite dans ce pays et je ne voudrais pas l’entamer par des problèmes !

« Bon ! Vu votre statut de journaliste  et la gentillesse de vos propos, je préfère me limiter à confisquer l’un des deux livres et à vous laisser le second ! N’est ce pas que c’est mieux pour tout le monde ?

Même si la jeune journaliste se doute de la destination finale du bien saisi cette dernière proposition lui trouve effectivement une porte de sortie car  elle doit d’abords sauver sa peau.

Une fois  les autres formalités terminées, Mireille  traine tant bien que mal sa valise pour retrouver le jeune porteur qui l’attend de l’autre coté de la barrière.

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