Mystère de vers
dada
Un matin, je découvris sur le canapé du salon deux petits asticots blancs. Ils étaient du genre de ceux qu’on trouve quelquefois dans les pommes. Mais personne n’y avait récemment mangé de pommes.
Au début je n’osai en parler à personne. C’était gênant d’en parler même s’ils étaient minuscules et semblaient tout à fait inoffensifs. D’ailleurs, je ne les ai pas écrabouillés, mais récupérés sur une feuille de papier et déposés dans la jardinière du balcon. Ma première supposition fut que les vers vivaient dans les coussins du canapé acheté sur e-bay d’occasion quelques années auparavant. Il m’avait coûté cent vingt euros, plus cent euros de location de camionnette. Deux amis m’avaient aidé à le monter et à l’installer.
Je cherchai longtemps sur Google un produit pour se débarrasser de vers des canapés, mais ne trouva rien sur le thème. Ça pullulait de publicités, articles, conseils et forums sur les vermicides, vermifuges pour chiens et chats, destruction de vermine de literie (les arachnéens, punaises, araignées, mites, fourmis) mais rien d’explicite pour se débarrasser de vers habitants sur ou à l’intérieur des canapés.
Je démontai mon canapé, enlevai les housses et mis tous les coussins dans la machine à laver. Je passai l’aspirateur dans les moindres recoins de l’ossature de bois recouverte d’une mince couche de mousse.
« On dit bien « vermoulu » pour le bois attaqué par les vers, me disais-je.
L’encadrement qui servait de support à des coussins était enveloppé d’un tissu vert bien attaqué par les griffes de mon chat Ben. Je passai l’aspirateur partout sur le tissu et dans tous les trous et accrocs. Il y avait en tout dix grands coussins amovibles et une espèce de coussin en forme de crêpe attachée à l’accoudoir à l’aide d’un velcros. Le coussin du bout du canapé n’était pas amovible. J’augmentai au maximum la puissance de l’aspirateur et l’aspirai soigneusement milimètre par milimètre.
Tout en travaillant, je pensais à toutes les personnes qui avaient déjà passé la nuit sur ce canapé, mon frère, neveu, mes amis et des amis de ma fille. Je me demandai s’il avait déjà été infesté de vers à l’époque où ils y avaient dormi.
Au pied du canapé se trouvaient deux paniers remplis de noix. On les cassait pendant les séances télé à l’aide de deux galets rapportés d’une plage bretonne. Le plus petit des paniers avait été acheté sur un marché en Finlande. Là-bas on l’utilisait pour y transporter les objets de toilette nécessaires à une visite au sauna : savon, shampoing, gants, vasta (le bouquet de branches de bouleau pour se fouetter etc.) L’autre panier du style traditionnel dans lequel on transporte les œufs, fruits et légumes, avait été acheté dans un supermarché de Zagreb.
Le soir, quand mon ami arriva, je lui racontai l’histoire des vers.
‘C’est probablement pour ça que ce canapé a été si bon marché ! Les gens qui te l’ont vendu voulaient tout simplement s’en débarrasser.’
Ça semblait plausible. Pourtant le couple de vendeurs de banlieue semblait honnête et propre, leur accueil chaleureux et maison spacieuse. La dame ne voulait pas de chèque et m’avait accompagnée à un distributeur d’argent. Pendant le trajet, elle m’avait raconté des anecdotes sur ses deux filles.
Comme c’est agréable et plaisant d’acheter les choses sur e-bay, faire connaissance des gens, échanger ! Par la suite j’essayais de convaincre tous ceux de mes amis réticents à acheter sur Internet.
Mon ami me dit qu’il fallait peut-être injecter un vermicide avec une seringue dans chacun des coussins, puis attendre que les vers se dessèchent. Ça sonnait barbare. Je cherchai sur Google des produits naturels pour éloigner les vers, mais ne trouvai rien qui semblait se rapporter à ce problème en particulier.
Quelques jours plus tard, j’aperçus derrière le canapé quatre nouveaux vers rampant le long des rideaux. Ça commençait un peu à ressembler à l’ambiance dans cette nouvelle de Kafka sauf qu’on ne savait pas qui était métamorphosé en vers.
Mes parents, mon frère et moi ???
Trois des coussins étaient rembourrés d’une espèce de duvet d’oie et les autres avec de la mousse. Je commençai à soupçonner les vers de se cacher dans les coussins rembourrés de duvet et de s’en nourrir car c’était de la matière organique. Les vers mangent-ils également de la mousse ?
Je n’en savais rien. Les chèvres mangent du papier journal, mais c’est de la cellulose, donc une matière organique.
Je fonçai au BHV. C’était l’époque des vacances de Noël, le magasin était bondé. Je me décourageai et le quittai rapidement. Puis, dans un Monoprix, je passai en revue le rayon des insecticides, mais je ne trouvai rien explicitement contre les vers des canapés. Fatiguée et dégoûtée, j’achetai une bombe d’insecticide « classique » qui servait à exterminer les araignées, cafards et fourmis.
Je démontai encore une fois le canapé. Après avoir mis sur le visage un masque, j’aspergeai soigneusement le cadre, les cousins, l’accoudoir et imbibai bien celui du bout. Deux vers sortirent du coussin central, rampèrent sur une distance d’un centimètre. Leurs mouvements et vitesse ralentissaient au fil de leur trajectoire. Ensuite, ils s’immobilisèrent, raides et apparemment morts.
Je reçus sur Facebook un message de ma cousine américaine qui est fanatique de ménage et de propreté. Elle me posait la question suivante au sujet d’une de mes photos où on apercevait un bout du canapé. « Est-il recouvert de ce tapis qui m’avait été offert par mes parents ? Je lui répondis que je l’avais acheté sur e-bay et que les motifs indiens du canapé ressemblaient effectivement à ceux du kilim de mes parents décédés.
Le lendemain du grand ménage et du traitement insecticide, deux autres vers rampaient sur le sol à quelques centimètres du canapé.
C’est Ben! Ça doit être le chat. Il passait la plupart de son temps à somnoler sur le canapé et grimpait quelquefois aux rideaux. C’est lui qui a les vers et les sème partout!
Je fonçai à la pharmacie pour acheter un vermicide pour chats et chiens. Il fallait que Ben prenne un comprimé une première fois et une seconde fois dans six mois. J’écrasai le comprimé qui était assez grand et le mélangea à la nourriture du chat. Celui-ci s’en méfiait et ne voulut pas y toucher.
Le soir quand mon ami revint, je lui fis part de ma nouvelle hypothèse sur l’origine des vers. Il prétendit qu’il fallait faire comme avec des enfants et ne donnait au chat rien d’autre à manger jusqu’à ce qu’il finisse son médicament. C’est ce qui se passa. Résigné, il finit par manger environ trois quarts de sa portion. Sur les forums d’amateurs de chats, un internaute conseillait de mettre de la cendre de bois dans la caisse de chat. Je versai à tout hasard un peu de cendres d’encens dans sa litière alors que je n’y avais jamais aperçu de vers. Le lendemain matin, tout près du panier de Zagreb, je trouvai de nouveau deux autres vers blancs rampants sur le sol. Agacée, j’attrapai le panier et le renversai. Les noix s’éparpillèrent sur le sol. Celles du fond, très légères étaient toutes noircies. Une poignée de minuscules vers blancs en sortirent.
Réveillée par un camion poubelle
Entre 5 et 6
Que puis-je faire ?
Ecouter les chants d’oiseaux
Ecouter le silence
Comme faisait mon père
Faire un peu de repassage
De souvenirs
Comme faisait ma mère
Me lever ? Nan.
La télé ? Nan.
Prendre une douche ? Nan.
Compter les mouches ? Ouaaaaais !
Et penser un peu au jour où aucun camion
Ne pourra me réveiller
Aux vers (asticots)
Aux vers de mon prochain poème
Vert abricot