Mystérieux Caravan

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Au commencement étaient les Wilde Flowers, formation britannique séparée en 1967 après divers changements de line up (les membres de ce qui deviendra Caravan mais aussi Kevin Ayers et Robert Wyatt en firent, entre autres, partie). Son éclatement donnera naissance à l’un des courants musicaux les plus importants de la scène anglaise de la fin des années soixante : l’école de Canterbury. Une appellation d’origine contrôlée caractérisée par un son particulier des claviers, un penchant pour le jazz et un certain humour. Deux groupes illustrent parfaitement cette scène : Soft Machine et Caravan. Si les premiers sont connus pour avoir exploré un univers mêlant psychédélisme et jazz rock, les seconds constituent la face la plus accessible du mouvement et la plus talentueuse, mélodiquement parlant.

Le premier album de Caravan, qui doit son nom à un morceau de Duke Ellington, voit le jour en octobre 1968. Ce qui frappe dès la première écoute, c’est le talent d’écriture du quatuor. Tantôt pop ("Place of my own", "Policeman"), psyché ("Cecil Rons") ou progressif ("Where but for Caravan would I ?"), le répertoire décliné par Pye Hastings, Richard Coughlan et les cousins Sinclair (Richard et David) possède le charme à la fois naïf d’un premier opus et désuet pour n’avoir pas connu la même mise en lumière que certains de ces contemporains. Pourtant, "Caravan" mérite les mêmes lettres de noblesse que le "Piper at the gates of dawn" de Pink Floyd (même si l’ambiance d’un morceau comme "Ride" est plus proche d’une pièce comme "Set the controls for the heart of the sun"), "Mr Fantasy" de Traffic ou même les deux premiers Doors ("Grandma’s lawn" aurait pu se retrouver coincé quelque part dans l’un de ces deux derniers disques sans susciter l’étonnement).
En huit titres savamment orchestrés, Caravan séduit son auditoire. Les climats sont éthérés ("Magic man", "Ride"), parfois cauchemardesques ("Cecil Rons" avec une mention spéciale pour Coughlan) et à l’image du Floyd pré "Dark side", le groupe prend le soin de tirer avantage de la moindre improvisation comme en témoigne l’excellente suite "Where but for Caravan would I ?", premier d’une longue série de morceaux à tiroirs qui deviendra l’une des caractéristiques du combo. Neuf minutes de pure extase qui justifient à elles seules l’acquisition de la galette.

La discographie du groupe montre que celui-ci reste encore sur sa réserve (notamment Richard Sinclair, néanmoins auteur du magistral "Policeman", tout en humour). Les longues pièces à fortes consonances jazz ne feront leur apparition que dès le deuxième exercice. Pour l’heure, le groupe se veut accessible et le choix de "Place of my own" comme premier extrait est révélateur. La compo de Pye Hastings est une merveille pop, parfaitement calibrée pour le format radio. C’est d’ailleurs grâce à ce titre que le groupe signera son premier contrat (à l’arrière d’une voiture, pour l’anecdote).
Une réserve qui transparaît jusque sur la pochette où l’on voit quatre jeunes gens perchés chacun sur sa colonne, propulsés ainsi dans la cour des grands et fermant timidement les yeux. Une photo au teint jaunâtre comme pour rappeler les influences de l’Orient sur leur musique, mais aussi pour accentuer les marques du temps qui est passé et celles de l’oubli qui s’est un peu trop confortablement installé sur un excellent premier effort plein de promesses, que les quatre Anglais vont tenir dès l’exercice suivant.

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