Nagoya

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« La seule  raison d’être d’un texte érotique est d’exciter son lecteur ! Avec cependant le souci de faire modestement œuvre littéraire pour atténuer chez ce même lecteur tout éventuel sentiment de culpabilité. » A.B.

 Nagoya

 

 

            Dans la position du Bouddha, le charme en plus, quatre femmes étaient assises à même le sol autour d’un de ces services à thé de porcelaine, mince et translucide comme un filigrane et dont l’Asie a le secret. Le petit doigt tendu, elles aspiraient à petites gorgées le liquide parfumé tout en devisant à voix douce dans leur langue musicale. De temps à autre, de petits rires fusaient et les tasses tremblaient dans les mains soigneusement manucurées. Elles étaient maquillées à l’européenne mais s’étaient vêtues et coiffées de façon traditionnelle. Sous le contraste de leurs larges pantalons de soie noire, leurs pieds et leurs chevilles nus laissaient pudiquement présager de l’ivoire poli de leur totale nudité. Sous les coiffures à étages, traversées de longues aiguilles, les vestes de leurs kimonos étaient jonchées de fleurs mêlées.

            Chez lui, Amadeo s’ennuyait. Il ne se ferait jamais à ces maisons de papier où l’on vivait à ras de terre, à ces maisons de poupées où les tapis, les nattes et les coussins tenaient lieu de seuls meubles. Le meilleur moyen cependant de se prémunir contre les tremblements de terre, à moins que l’on ait choisi de vivre   dans  un  de  ces   buildings  montés  sur  pilotis hydrauliques. Mais les loyers y étaient beaucoup plus chers. Amadeo avait donc choisi, pour son stage à Nagoya, un petit studio de la  périphérie qui avait en contrepartie l’énorme avantage d’ouvrir son unique fenêtre sur la splendide baie d’Isé. Il était étudiant en première année de langues orientales à l’Université de Bergame  et dans son cursus figuraient obligatoirement les deux mois de son séjour au pays du Soleil Levant, deux longs mois qui s’étiraient à n’en plus finir. Pourtant, Dieu sait s’il en avait rêvé de ce Japon mythique, paradis des jardins fleuris, des poissons crus marinés dans des préparations raffinées et surtout des Geishas, dispensatrices très médiatisées de toute la sensualité de l’Orient. L’ennui, c’est que pour profiter pleinement de tout cela, il fallait de l’argent. Et Amadeo n’en avait guère. D’autre part, il maîtrisait encore très mal la langue de son pays d’accueil. Mais, ce soir-là, la chance allait lui sourire.

Tout en savourant leur thé, Naomi, Meïka, Aoï et Kiyami paraissaient attendre et guetter les bruits de la rue. Aoï était la propriétaire des lieux, un restaurant ce jour-là fermé à la clientèle. Son mari, comme chaque mois, s’était absenté pour retrouver dans la capitale ses amis du Rotary Club, institution éminemment sexiste qui sévit aussi en Orient. Les quatre femmes s’étaient installées dans la grande salle que l’on n’utilisait habituellement que pour les repas de cérémonie, mariages, séminaires ou autres. Une petite  scène   semi-circulaire s’y trouvait,   légèrement surélevée, et dont le fond s’ouvrait sur les plis d’un lourd rideau de velours. Cette minuscule rotonde servait habituellement à accueillir un orateur ou quelques musiciens. L’enseigne extérieure du restaurant avait été éteinte, la porte d’entrée condamnée, les fenêtres aveuglées, les trois grandes tables poussées contre les murs et le personnel était en congé. On y avait donc l’assurance de la clandestinité et de la confidentialité la plus absolue.

            Amadeo décida de sortir et se dirigea vers la plage. L’air de cette fin septembre était moite et, comme les autochtones à cette heure du soir, il s’était vêtu d’un ample short qui descendait jusqu’aux genoux et d’une chemisette fleurie à manches courtes. Un muret bordait la plage. Il s’y assit. Au cas où l’envie l’aurait pris de jeter un oeil sur l’ouvrage qu’il avait emporté avec lui, il s’était installé sous un lampadaire qui diffusait une lumière orange. Mais, cigarette au bec, il préféra se laisser bercer par le bruit des vagues qui léchaient le sable blanc et regarder au large les lumières des yachts qui roulaient paresseusement autour de leur ancre. Le spleen l’envahissait, mais pas trop désagréable, proche d’une délectation morose où il trouvait son compte.

            La vie monotone des femmes japonaises, confinées dans leurs foyers et la plupart du temps délaissées par leurs maris qui leur préféraient les charmes du Saké,  n’était  pas  une  légende. Celles qui dégustaient convivialement leur thé faisaient partie de ces laissées pour compte. Aussi avaient-elles imaginé d’organiser chaque mois, entre amies intimes, une petite fête non moins intime qui constituait pour elles un agréable dérivatif. Auparavant, à l’insu de leurs époux, elles se réunissaient en société secrète dans quelque club féminin, déposaient leurs fantasmes dans l’escarcelle commune et décidaient, à la majorité, de celui que l’on vivrait le jour venu. L’imagination était au pouvoir mais se pliait aux exigences de la démocratie. Un homme seul devait toujours en être l’objet, c’était une de leurs règles. Une autre règle voulait que rien de ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à ces ternes copulations que leur proposaient ou leur imposaient parfois leurs partenaires institutionnels ne pouvait être retenu. S’il leur arrivait de fixer leur choix sur un de leurs compatriotes, elles préféraient, la plupart du temps, faire appel à des occidentaux. L’exotisme d’un corps différent et, pourquoi le cacher, les proportions plus avantageuses d’un certain organe motivaient sans doute leur choix.

            Dans le groupe des femmes, Naomi était la seule à n’être pas mariée. Elle était même vierge malgré ses vingt ans et sa beauté de porcelaine. Non seulement vierge mais même encore à la veille d’avoir eu l’occasion de voir un mâle dans le plus simple appareil. Si elle était présente ce soir-là pour la première fois c’était par faveur exceptionnelle car elle était la soeur de Katsué, Katsué à qui revenaient l’idée et l’organisation de ces soirées. C’est elle qu’on attendait,  mais, pour l’heure, elle était « en chasse ». Il lui incombait le rôle de rabattre vers la meute en rupture de chenil une proie consentante. C’était la plus charmeuse d’entre elles, la plus séduisante aussi sinon la plus jolie. Lorsqu’elle souriait à un homme et posait sa main légère sur son bras, ce dernier se sentait comme menotté et n’avait d’autre issue que de la suivre. Elle avait aussi l’avantage de pouvoir s’exprimer en plusieurs langues, même si c’était parfois de façon rudimentaire. Personne ne craignait, cela ne s’était jamais produit, qu’elle ne revienne les mains vides.

            Amadeo sentit d’abord son parfum. Un parfum qu’il pensait connaître pour l’avoir déjà respiré sans pouvoir pour autant le nommer. Une japonaise vêtue de façon traditionnelle venait de s’asseoir à son côté, dos inversé, comme dans ces « causeuses » aujourd’hui disparues mais qui faisaient fureur dans les salons du XVIIIème siècle. En un geste réflexe de défense, il croisa les bras. Elle se présenta: -«Katsué»- Elle lui demanda  quel  était   son  pays d’origine. Dans un italien approximatif, elle lui fit une proposition très directe  qui  le   surprit  par  son  incongruité, le mit mal à l’aise et au bord du refus.  Puis, penchant légèrement la tête en signe   discret d’invite, elle   lui sourit et posa sa main  magique   sur son avant-bras. Le charme   de   l’émissaire,   sa   liberté   de ton, l’attirance de l’insolite et bien sûr le bénéfice substantiel qu’il allait en tirer - car il fut question d’argent - firent qu’il finit par accepter. Il la suivit.   

            Un bruit de clef dans la porte, une voix masculine répondant à celle de Katsué derrière le rideau de la petite scène eurent tôt fait de mettre en ébullition le quatuor qui espérait. Naomi, Kiyami, Aoï et Meïka posèrent leurs tasses, déplacèrent le plateau et, après s’être débarrassées de leurs pantalons - c’était une idée de Kiyami - , s’assirent en tailleur au bord de la scène en laissant une place libre pour Katsué.

            Amadeo était maintenant à pied d’oeuvre et ne pouvait plus reculer. Katsué l’avait quitté pour rejoindre les autres. Entièrement nu, il écarta le rideau et se retrouva face aux cinq femmes. Dans un réflexe classique de pudeur, il avait croisé les mains devant son sexe. Les femmes étaient dans la pénombre alors qu’un projecteur diffusait sur ses frissons une lumière laiteuse. Il devinait leurs visages maquillés, les longues aiguilles qui traversaient leurs chignons à étage et le chatoiement fleuri de leurs vestes de kimonos dont le drapé venait mourir sur les cuisses nues.

            On l’a vu, il comprenait avec difficulté leur langue mais il devina au ton flatteur de leurs commentaires que son physique plaisait. Il eut conscience qu’il n’aurait pas supporté le moindre de ces petits rires dont on ne sait s’ils sont de gêne ou de dérision et dont les femmes ont le secret. Cela atténua la panique qui l’avait envahi, lorsque, derrière le rideau, Katsué l’avait fait se dénuder devant elle sans détourner les yeux. Lorsqu’elle l’avait vu hésiter au moment d’ôter son dernier vêtement, elle s’était agenouillée à ses pieds et l’avait elle-même fait glisser le long des jambes. Il ne sut alors interpréter le sourire qu’elle lui avait adressé après l’avoir à loisir détaillé. Il craignait de n’être pas à la hauteur pour assurer son contrat. Il ignorait encore les talents de séduction et d’inventivité dont feraient preuve les cinq femmes perverses qui lui faisaient face. Cela l’aurait rassuré.

            Leur fantasme du mois était de voir un mâle se caresser devant elles. Tout simplement. Le voir se caresser jusqu’à l’éjaculation, le voir se donner du plaisir sous leurs yeux, guetter ses attitudes, observer sans retenue son geste, suivre le cheminement de son excitation, en déchiffrer tous les signes, le voir plier les genoux, mettre son ventre en avant, étrangler son sexe, voir les testicules danser puis se contracter, voir le gland se congestionner et attendre le cri, juste avant que le sperme ne s’échappe. C’est en ces termes, plus crus peut-être, qu’elles avaient énoncé leur fantasme lors de leur dernière conspiration. Curieuses de l’animalité masculine, elles avaient postulé qu’un mâle n’est vraiment lui-même que pendant les quelques secondes qui précèdent et suivent ses orgasmes. Si l’on excepte Naomi, elles avaient bien entendu toutes fait jouir un homme entre leurs cuisses, dans leur  main ou leur bouche mais, soit aveuglées par leurs propres orgasmes, soit pressées d’en finir, elles étaient restées sur leur soif de voir et de savoir. D’autre part, si elles acceptaient parfois de se livrer, à la demande de leurs amants et sous leurs yeux, à des caresses précises, ces derniers s’y refusaient souvent de leur côté ou n’allaient pas jusqu’au terme, trop désireux d’utiliser leur sexe ou leur bouche pour parvenir à l’orgasme. Dans la célébration perverse qu’elles s’offraient elles voulaient jouir en curieuses de cette distance du regard qui transforme le mâle, dominateur de par sa nature, en objet passif de désir. Elles le voulaient debout, comme un mannequin dans une vitrine, livré sans faux fuyants à leur indiscrétion. Il n’y avait aucun désir d’humilier, simplement le désir d’être maîtresses du jeu et d’en tirer une excitation sexuelle d’autant plus délicieuse qu’elle puiserait ses racines dans l’insolite. Elles auraient été frustrées que l’homme choisi fut un exhibitionniste. Elles le voulaient pudique comme le sont malgré leurs fanfaronnades verbales la plupart des hommes, toujours inquiets du jugement de valeur que portera leur partenaire sur la morphologie de leur organe sexuel.

            Et Amadeo avait accepté. Pour l’heure, elles se délectaient de l’émotion dont il était visiblement le siège. Elles imaginaient leur propre émoi si elles avaient dû elles aussi s’exposer nues devant un groupe d’inconnus. Cherchant à percer l’obscurité, le regard de l’homme allait   de   l’une   à  l’autre.   Elles avaient toutes ce sourire indéchiffrable des orientales, lisse et froid comme du verre. L’une d’elle lui fit signe de se retourner. Il en fut presqu’heureux tant il se sentait ridicule avec les mains croisées sur son bas ventre. D’autres murmures flatteurs fusèrent dans son dos. Il devinait qu’elles dissertaient sur le galbe de ses fesses dont à vrai dire il était assez fier, peut-être aussi sur sa musculature dont il prenait grand soin. Un réflexe de prestance le fit se redresser et les femmes s’en amusèrent. Mais leurs rires n’avaient rien de cruel. Un objet vint s’insérer entre ses chevilles. Penchant la tête en avant, il vit qu’il s’agissait d’un éventail. De petits coups donnés de part et d’autre lui firent comprendre ce que l’on attendait de lui. Il écarta ses pieds jusqu’à ce que cessent les sollicitations. Ses jambes étant maintenant ouvertes à quarante-cinq degrés, une main fraîche mais résolue vint appuyer sur sa nuque. Il se courba sous la pression. Pour ne pas perdre l’équilibre, il lâcha son sexe et ses mains vinrent se poser en appui sur ses genoux. C’était l’effet attendu. Dans l’angle que formaient ses cuisses, il vit les femmes se déplacer une à une à quatre pattes, s’agenouiller et venir de très près contempler dans son dos le spectacle libertin qu’il leur offrait. Des mains douces lui saisirent les testicules plus pour en jouer que pour les caresser, d’autres lui pelotèrent les fesses, d’autres écartèrent le haut de son entrejambe pour mieux voir. Lui, se laissait faire et le jeu commençait à lui plaire. Le sang lui montait au visage, en raison de sa position sans doute, mais pas seulement. Il   commençait   aussi  à   affluer   vers   un organe plus intime.

            Lorsqu’elles eurent à tour de rôle assouvi leur curiosité, les femmes le firent se redresser et regagnèrent leurs places. Les petites seins de Naomi se soulevaient à un rythme inhabituel sous la soie du kimono. C’était la dernière à avoir disposé du corps d’Amadeo. Sa soeur s’aperçut de son trouble et pensait en connaître la raison, celle de la première fois. Elle se trompait. Les autres, qui ignoraient tout de sa virginité, furent étonnées que les manipulations timides qu’elle avait osées aient pu la mettre dans un tel état. Elles n’en furent pas moins surprises lorsqu’elle se raconta car, si l’on en jugeait par sa réserve naturelle, Naomi paraissait être la plus douce d’entre elles. - « Il n’y a pas si longtemps j’ai vu dans un film de Pasolini une scène qui m’a plutôt choquée à ce moment-là. Mais lorsque j’ai vu les testicules du garçon pendre dans l’intervalle des cuisses, cette scène m’est revenue en mémoire et j’ai imaginé, comme dans le film, que je promenais sous leurs rondeurs jumelles la flamme d’une bougie. Sans que je m’y attende le moins du monde, j’ai senti le bout de mes seins durcir, ma fente devenir humide et j’ai bien failli jouir. Je me suis retenue car j’avais un peu honte de ma cruauté mais je suis encore tout excitée. Je ne crois pas que je sois capable de le faire, mais j’aimerais bien essayer un jour. » Elle ajouta, presque pour elle-même, avec un petit rire mutin: «  Cela doit être très excitant de les entendre crier. »

            Lorsqu’à leur demande, Amadeo leur fit à nouveau face, les regards se dirigèrent tout naturellement vers le sexe qu’il ne cachait plus. N’ayant rien compris des commentaires de Naomi, il était loin de soupçonner les images qui fleurissaient maintenant dans l’imaginaire de ces dames car il en eut sans doute été effrayé. Le sulfureux Pasolini avait fait école. Même si elle ne bandait pas encore, sa verge avait pris de belles proportions et les spectatrices commençaient à en avoir pour leur argent. La gêne avait disparu et il éprouvait même un plaisir certain à se sentir ainsi contemplé. A dessein, quelqu’un avait modifié l’éclairage de la pièce et l’ensemble des participants, dont lui-même, baignait maintenant dans une lumière dorée. Il pouvait voir plus distinctement les filles, toujours assises en tailleur, jambes et cuisses nues sous leurs amples vestes fleuries. Il se demandait si dans l’ombre profonde qui naissait sous l’ourlet du tissu se cachait la soie d’une culotte ou la fourrure d’un sexe. Peut-être même le fruit éclaté d’une chair épilée.

            Les femmes étaient satisfaites de leur recrue et Katsué, dans son italien approximatif le lui fit savoir: - « Mes amies disent que tu as un sexe beau et bien gros. On veut le voir devenir  raide et dur et sortir le jus avec ta main tout seul. Mais tu laisses nous faire d’abord pour qu’il sorte beaucoup de jus. »

            Elles se levèrent et allèrent chercher de larges coussins contre lesquels elles s’adossèrent, toujours assises sur le sol. Elles allongèrent leurs jambes serrées devant elles, défirent la ceinture de leurs vestes et les ouvrirent. Aucune ne portait de culotte. C’était une autre idée de Kiyami .Cinq paires de petits seins aux pointes dardées et cinq triangles de fourrure noire apparurent aux yeux éblouis d’Amadeo qui décidément aimait de plus en plus ce jeu. Puis elles calèrent confortablement leurs dos contre les coussins et, les jambes toujours accolées, elles les replièrent contre leurs ventres. Elles se livrèrent alors à un petit ballet diabolique qu’elles improvisèrent pour les beaux yeux de l’homme nu. Alternativement, sans apparemment se concerter et dans un ordre parfaitement imprévisible, chacune ouvrait ses cuisses, parfois le temps d’un éclair, parfois pour une longue minute. Ce faisant elles ne quittaient pas des yeux la verge qui se tendait lentement à leur visible satisfaction. Le regard de l’homme allait de l’une à l’autre, plongeait dans les sexes offerts à sa convoitise, réprimait une mimique de dépit lorsque les jambes se refermaient trop vite mais acceptait l’offrande intime avec un appétit non dissimulé lorsque les fentes restaient longtemps ouvertes. Les japonaises ont une touffe pubienne dense, aux poils très courts et peu frisés, noire comme de la suie et qui plonge profondément entre les cuisses en deux parenthèses de fusain qui soulignent de leur symétrie la ligne claire et tourmentée des lèvres intérieures.   Fascinant   spectacle  apte   à  combler le regard d’un homme normalement constitué. Amadeo observait - était-ce fantasme ou réalité ? - que ce jeu de cache-cache faisait naître une rosée brillante sur les ourlets de chair. Lorsqu’une des femmes prolongeait trop longtemps son écart, elle se faisait gentiment rappeler à l’ordre par l’une ou l’autre, désireuse de s’exhiber à son tour.

            Katsué lui adressa la parole: - « Meïka veut que tu mettre le bout du sexe tout à fait déshabillé. » L’homme comprit et acheva de décalotter son membre qui maintenant se dressait dans toute sa majesté. Une goutte de lumière perlait à son extrémité. Il commença une caresse mais les femmes s’y opposèrent. Katsué traduisit: - « Pas encore assez de bon jus pour nous dans tes testicules. Tu attendre. » Elle fut surprise de se remémorer dans la langue de l’étranger le terme d’anatomie qu’elle venait d’utiliser, ancien souvenir de ses recherches clandestines d’adolescente dans un dictionnaire bilingue.

             Puis une brève altercation feutrée éclata entre les spectatrices à laquelle l’homme ne comprit goutte. Ce fut apparemment Naomi qui l’emporta car elle se leva avec une mimique de triomphe, fit voler sa veste de kimono et vint se glisser entièrement nue contre le dos d’Amadeo. De ses bras elle lui encercla la taille, mit ses mains à plat sur son abdomen et, collée à ses fesses entama une voluptueuse danse du ventre. Bassin cambré, elle frottait sa toison  sur  la peau duveteuse et savourait le jeu des muscles sollicités par ses caresses appuyées. Puis, s’accrochant aux épaules de l’homme, elle écrasa ses petits seins à même la peau, descendit jusqu’à ses reins puis remonta, puis descendit, puis remonta, pour recommencer puis recommencer encore. Ce faisant, de petits gémissements involontaires lui échappaient qui signaient tout le plaisir qu’elle éprouvait au contact étroit entre la nudité de l’homme et la sienne. Elle marquetait son dos de baisers, le léchait de petits coups de langue, le mordillait parfois. Quittant les épaules, elle glissa sa main vers le pubis, joua du bout des ongles avec les poils et ne put s’empêcher, de ses doigts en anneau, de palper la racine de la verge pour en apprécier la fermeté dont elle n’avait jusque là qu’une connaissance purement livresque. A son âge on croit tout connaître des mystères du sexe parce qu’on a lu des traductions de Miller, Louÿs, Lawrence ou d’autres auteurs maudits mais une chose est connaître, une autre vivre. Elle ne put cette fois-ci réprimer son orgasme. Elle eut deux ou trois aspirations profondes entre ses dents serrées, puis l’homme sentit dans son dos se déclencher les soubresauts désordonnés et violents de sa jouissance. Avant de le quitter pour rejoindre sa place elle lui flatta les testicules et le gratifia d’un tendre sourire. Pour se pardonner sans doute à elle-même son fantasme cruel de tout à l’heure.

            Kiyami   suivit.  Elle  aussi   s’était  entièrement dénudée. L’homme avait déjà remarqué ses seins aux aréoles larges et aux mamelons proéminents. Elle s’allongea sur le dos face à lui, écarta du talon les pieds joints d’Amadeo et, rampant sur les fesses et les coudes, vint coller son sexe à l’une de ses chevilles. Intrigué mais consentant, il la laissa faire. Serrant très fort les cuisses, elle fit aller et venir son bassin de haut en bas. Elle lui offrait le paysage splendide de sa nudité qu’il pouvait tout à loisir contempler en une vertigineuse plongée. Il sentait le sexe crémeux s’ouvrir sur l’arête de son tibia comme une bûche de Noël sous le couteau. Sorcière volant vers son sabbat, elle le chevauchait comme un manche à balai. Il aurait aussi pu se prendre pour saint Georges terrassant le démon, celui de la luxure bien entendu. Parfois elle fixait son regard sur la verge qui se dressait au-dessus d’elle, alors il mettait son ventre en avant pour qu’elle puisse mieux voir. Puis, l’image captée, elle refermait les yeux, concentrée à nouveau sur le plaisir qu’elle se donnait. Du pouce et de l’index elle étirait et froissait la pointe de ses seins. Elle commença à gémir d’une voix blanche, jouit longtemps, avec calme, le front plissé, comme une élève sage récite une leçon bien apprise, jusqu’à la chute de son poème lascif où sa voix s’éteignit sur une tonique de plénitude.

            Puis ce fut au tour de Katsué. Lorsqu’elle prenait son plaisir on eut dit qu’elle le chantait. Ses inflexions de voix allaient des cris les plus graves venus du fond  de  la  gorge  aux aigus  d’une  voix  de tête. Sa main, virevoltant entre ses cuisses ou s’y apaisant comme un oiseau qui s’affole ou se résigne entre les mâchoires d’un piège, dictait les rythmes, les pauses et les syncopes. Elle aussi s’était mise dans le plus simple appareil, elle avait défait ses cheveux qui maintenant nappaient ses épaules jusqu’à la naissance de ses seins, puis elle s’était allongée devant l’homme, avait replié ses jambes et se masturbait devant lui dans la plus indécente mais surtout la plus explicite et provoquante des postures qu’une femme puisse prendre devant un homme en érection. Consciencieuse et ne s’embarrassant pas de fioritures, elle avait choisi ce procédé dont on ne pouvait nier l’efficacité pour prendre sa part dans la mission commune qui était, on s’en souvient, de faire en sorte que le « jus » s’accumule en quantité dans les entrailles de leur proie. Ce fut avec un plaisir amusé et un satisfecit pour Katsué, mâtiné de jalousie, que ces dames virent s’écarquiller les yeux de l’homme sur le spectacle offert et surtout virent danser sa verge congestionnée au point qu’elles craignirent un instant qu’elle n’explose en libérant sa lave.

            Après un échange de regards complices, Meïka et Aoï se levèrent à leur tour. Après s’être absentée quelques minutes que Meïka mit à profit pour souffler avec un air moqueur sur le sexe tendu comme sur la flamme d’un cierge, Aoï revint porteuse d’un shaker empli de glaçons. Elle l’agita quelques instants, dévissa le couvercle et y introduisit la  verge  après  avoir, non sans peine, modifié de presque 180 degrés son orientation. Le sexe bandé lui échappa à plusieurs reprises pour reprendre comme un ressort sa direction originelle. Elle le plongea entièrement entre les cubes glacés et  anima de va-et-vient le cylindre de métal comme s’il se fut agi d’un vagin artificiel tels qu’en proposent les sex-shops. A chaque pénétration l’eau débordait sur les cuisses de l’homme et les glaçons s’entrechoquaient sous les pressions alternatives. Lorsqu’Aoï en eut terminé, la verge avait perdu toute son arrogance et, de cramoisie, était devenue livide et de surcroît aussi minuscule que celle de l’Adam que Michel-Ange peignit au plafond de la chapelle Sixtine, avant, il est vrai, et ceci expliquant peut-être cela, qu’Eve ne fut créée. L’idée d’Aoï fit beaucoup rire mais le danger d’une éjaculation prématurée était maintenant écarté.

            Mais bien vite, avec l’aide de Meïka, elle s’employa à corriger les effets secondaires de son ingénieuse facétie. Elles se livrèrent, avec ce génie érotique qu’on se plaît à prêter aux odalisques d’Orient, à la plus amoureuse des démonstrations de tribadisme où les caresses, même les plus indécentes, étaient des offrandes respectueuses, où la lascivité et la tendresse étaient au corps à corps. Amadeo les regardait s’aimer, étroitement enlacées et efficacement actives comme des mains sous un jet d’ablutions. Les mains d’Éros personnifiées. En contraste avec le regard fiévreux que l’homme d’Occident posait sur elles ce ne furent que gestes lents et retenus dans leurs explorations charnelles, patientes recherches des courbes et des creux, quête sereine du plaisir, faim dominée des corps qui s’offraient, effleurements explicites mais secrets comme des mots d’amour chuchotés à l’oreille, échanges de regards interrogateurs ou suppliants auxquels mains et bouches apportaient toujours la réponse attendue. L’homme sentait monter vers lui leurs parfums et leurs odeurs mêlées comme on sent monter le long de ses jambes la tiédeur d’un bain où l’on s’enfonce. Ce fut un accouplement subtil où le désir prit le chemin des écoliers. Lorsque survint la frénésie des orgasmes, la nature reprit ses droits car les filles d’Orient savent aussi saluer de cris incoercibles l’arrivée du plaisir. Le sexe de l’homme exprimait à nouveau son désir de pénétrer et c’est tout sourire et fières du résultat obtenu qu’Aoï et Meïka rejoignirent leurs places.

            Toutes les cinq s’étaient à nouveau bien calées contre leurs coussins et faisaient face à l’homme. Leurs sexes ne jouaient plus à cache-cache car elles avaient toutes, mains posées sur les genoux, replié et ouvert leurs jambes. L’homme évoqua un instant l’image d’une brochette d’alouettes plumées et prêtes à rôtir. Mais était-il en position de verser dans la dérision, même la plus anodine ? Car c’était à lui d’agir. Il commença sa caresse. Elles étaient attentives et muettes comme des enfants à l’heure du conte. Des occidentales se seraient  peut-être  comportées comme d’autres enfants devant les tréteaux d’un guignol. Il aimait l’application, presque le solennel, avec laquelle elles vivaient leur sexualité. Leur innocence perverse aiguillonnait sa libido. S’exhiber devenait vertueux. Il était un dieu sur un autel. Il se caressait avec une sage lenteur pour ne pas les décevoir en éjaculant trop vite. Lorsque sa main arrivait à la base de son sexe il la serrait contre ses testicules et  l’y maintenait pour qu’elles puissent en apprécier la longueur et la rigidité. Lorsqu’elle parvenait à l’autre extrémité, il recouvrait entièrement le gland de son prépuce puis le dénudait lentement. Serpent qui fascine sa proie, il avait ce pouvoir magique de fixer les regards sur un point qu’il avait choisi. Elles ne pourraient se libérer de son emprise que lorsqu’il aurait craché son venin. Toujours avec le même souci de ne pas exploser trop vite, il ne regardait que les visages, évitant l’explicite provocation des sexes et des seins. Il sentit cependant le sperme affluer dans la zone du périnée lorsque son regard se posa sur les cheveux défaits de Katsué dont une fièvre contagieuse habitait le regard. Il arrêta son geste jusqu’à ce que le sperme eût reflué. Les filles avaient compris et leurs bouches s’entrouvrirent.

            Cette deuxième alerte passée, certain maintenant de pouvoir se maîtriser, il reprit son va-et-vient voluptueux et risqua un regard sur le corps de  Kiyami la sorcière. Les larges aréoles sombres de ses seins l’avaient depuis le début fasciné. Il avait aussi gardé le souvenir de  la caresse  étrange  qu’elle   avait pratiquée et celui de son sexe de crème se déchirant sur sa cheville. Se sentant choisie, elle lui sourit. Puis il les regarda toutes à tour de rôle, leurs sexes surtout, offerts, visiblement humides. Il sut, si elles n’avaient pas préféré ce jeu pervers, qu’il aurait pu les posséder toutes, une à une, les pénétrer dans la position qu’il aurait choisie, jouir en elles. Aucune ne se serait refusée, il en avait la certitude. Cernées par le plomb noir des lèvres, les fentes d’Aoï et de Meïka étaient d’un rouge de vitrail. Elles avaient dû se mordre en jouissant. L’homme revoyait leurs corps enlacés, tête-bêche, les cuisses serrées sur les visages enfouis et les déferlantes de leurs orgasmes.

            Les genoux des femmes ouvertes se touchaient et les jambes dessinaient une ligne brisée dont une pointe sur deux était un sexe. Guirlande vénitienne qui eut comblé Casanova. Une cible multiple vers laquelle l’homme qui s’était rapproché dirigeait alternativement son arme. Chacune espérait l’impact. Il se délectait de les voir soulever leurs fesses, bassin en avant, lorsqu’elles étaient dans la ligne de mire. Il remarqua qu’à cet instant elles ne fixaient plus seulement leur regard vers la fine ouverture de son gland mais le rivaient souvent sur le sien. - « Donne-moi ton jus, rien qu’à moi, semblait supplier l’amande éclatée de leurs yeux. » - Il s’amusait aussi de leur dépit lorsqu’il changeait d’objectif. Abandonnées pour une autre, elles se penchaient alors vers le sexe de leur compagne plus chanceuse pour au  moins  vivre  à  travers  elle la sensation voluptueuse de la rencontre entre le sperme et le vif de sa féminité.

            La verge était dure sous sa main et la peau glissait comme un chiffon doux sur du bois ciré. Son geste devenait plus fébrile. Il fermait parfois les yeux, rejetait sa tête en arrière et cambrait les reins. Les femmes ne savaient plus où donner des yeux. Elles scrutaient son visage ou guettaient l’apparition du jet ou encore s’identifiaient à la cible qu’il avait momentanément élue. Katsué se manifesta: - « Moi t’ai trouvé alors toi cracher ton jouir sur moi. » -  Amadeo se tourna vers sa longue chevelure liquide qui mouillait les dunes de ses seins. Cette fille l’excitait vraiment beaucoup. Il dut arrêter son geste pour ne pas s’oublier sur le champ. Katsué en fut désappointée mais pas les autres.

            De proie, Amadeo était devenu prédateur. Sûr maintenant de son pouvoir, il jouait de l’excitation qu’il provoquait. A plusieurs reprises il joua la comédie de l’homme sur le point d’éjaculer. Il la joua entre autres face à Kiyami. Le croyant prêt à se libérer enfin, elle s’ouvrit des deux mains, dévoilant les muqueuses nacrées qui s’entrouvrirent sur l’ombre du vagin. Lorsqu’il l’abandonna pour une autre, elle referma son sexe mais garda une main posée à plat sur la face interne de sa cuisse. Il devina ce qu’elle avait envie de faire et, l’observant de biais pour ne pas l’effaroucher,  il   guetta  son  manège.   Discrètement, comme si elle avait honte d’avouer le désir qu’elle avait de se soulager, ses doigts rampèrent vers le repli entre peau et fourrure et s’y enfoncèrent. Puis l’ongle de son majeur écarta le haut d’une lèvre et se glissa dans  l’ouverture. Enfin, avec de petits effleurements concentriques, comme on efface une empreinte sur un verre fragile, elle se caressa. Elle modelait son plaisir à touches discrètes mais précises dans l’argile tendre de son sexe. Lorsqu’il sut qu’elle avait atteint le point de non retour, Amadeo revint vers elle jusqu’à ce qu’elle s’abandonne devant lui avec des petits cris de souris prise au piège.

             Il ne pouvait se résoudre à se perdre dans l’une ou l’autre. Noyé dans un kaléidoscope multisensoriel de bouches entrouvertes, de soupirs, de regards implorants, de peaux d’ivoire, d’odeurs, de poitrines exhibées, d’appels, de sexes de crème, il souhaitait l’éternité, là, tout de suite. Puis, lorsque les cris de Kiyami s’éteignirent, émouvants comme des appels de détresse, son regard sur ces femmes changea. Sans qu’il comprenne très bien pourquoi, la radicalité du désir avait laissé la place à quelque chose qui s’approchait de la complicité, du partage, de la tendresse et peut-être de l’amour. Devenir lui-même objet de désir l’avait féminisé pour le meilleur. C’était lui qui se donnait. Hermès et Aphrodite, il se voulait tantôt doux, tantôt séductrice, tantôt charmeuse, tantôt provocateur, tantôt aguichante, tantôt puissant, tantôt soumise. Le pervers, l’équivoque avaient définitivement cédé le pas à l’érotique.

            Il finit par se perdre. Les jets partirent, guidés par leur seule violence, entièrement soumis aux déterminismes de la vie qu’ils ne donneraient pourtant jamais. Ils se succédèrent en rafales, imprévisibles et désordonnés, incoercibles comme les cris qu’ils engendrèrent, les siens et ceux des femmes. Les doigts crispés suivaient leur rythme et ne le dictaient pas. Aucune femme ne fut épargnée. Elles étaient comme des plantes assoiffées qui reçoivent la pluie. Lorsqu’Amadeo en eut fini de se répandre, elles s’assirent autour de lui et le lovèrent entre leurs jambes. Elles l’inondèrent de caresses. Le sperme s’étirait en coulées paresseuses sur leurs seins, leur visage ou leurs ventres. Elles avaient ouvert la boîte de Pandore. Tous les malheurs du monde s’en étaient échappés: elles allaient, en revenant chez elles, retrouver la terne vie matrimoniale et les tristes coïts de leurs époux, mais il leur restait l’espérance, celle du mois prochain où à nouveau elles pourraient à leur guise créer un autre dieu, un autre Éros, le dieu des femmes. 

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