Naissance de l’Enfant Jésus, dit courgette

Hervé Lénervé

Suite des mésaventures de la troupe de théâtre « Les Pénitents ne sont pas des Pélicans à la noix de Pécan »

Enfin ! J'avais réussi à monter ma deuxième pièce. Un sujet ambitieux qui revisitait la naissance de l'enfant Jésus. J'avais réuni ma troupe fétiche avec laquelle j'avais partagé toute l'histoire magnifique et le succès monétaire de « Théâtre » plus quelques nouveaux. La fortune me souriant, augmentait mes moyens de mise en scène. Maintenant, la p'tite Marie boudait, car elle avait le rôle de la vierge Marie et aurait voulu celui de la putain.

Aujourd'hui, c'était la première, toute la critique était là.

Toc… toc…toc…

Le rideau se lève.

Décors d'enfer ! Une pauvre étable, éclairage à la bougie. On n'y voit goutte sur scène. Marie et Joseph (joué par Maurice) prient autour du berceau, où l'enfant Jésus m'a fait défaut, pour la première, le salaud ! J'avais engagé un nain pour le rôle, mais une dispute de dernière minute sur son texte, inexistant en tant que nourrisson, l'avait vexée, il m'avait fait faux bond. Je l'avais remplacé par une courgette prêtée par la p'tite Marie. Elle n'avait que cela de disponible en magasin,  sous ses jupes.

Joseph (anciennement Maurice) – Qui peut ben, v'nir à c't'heure ?

Le souffleur – Psitt ! Tu te trompes de pièce !

Joseph (toujours anciennement Maurice) – Merde ! La boulette !

Le souffleur – Enchaîne, personne n'a rien entendu, enchaîne.

Joseph (toujours anciennement Maurice dans la pièce « Théâtre ») -  Mon cul ! J'ai parlé haut et fort, ils ont tous bien entendu.

Le souffleur – Vas-y, enchaîne, quand même !

Joseph (anciennement Maurice dans la pièce « Théâtre » dans le rôle de Maurice.) -  Riquiqui ouistiti, guili guili, il est beau le petit !

C'était de l'impro, car dans ce premier tableau, personne ne parlait, c'était juste pour planter le décor. Le bœuf et l'âne eurent un sourire complice, ils ne pouvaient pas encadrer Joseph (toujours anciennement Maurice dans…Merde !… C'est trop long je remplace par « Mdr »)

Fondu au noir… Le temps d'éteindre toutes les bougies… Le rideau tombe. (Certains en profitent pour fuir le théâtre. J'aurai dû fermer les portes à clé. On ne pense jamais à tout) Le rideau se relève dix ans plus tard, enfin non, disons que le rideau se relève, sur la même  scène, dix ans plus tard. Jésus a dix ans, de fait et là je m'aperçois que le nain, tout mauvais acteur qu'il fut, était quand même meilleur que ne l'est la courgette.

Joseph (anciennement… Mdr) – T'as su à l'école, Jésus ?

Jésus (toujours la courgette) - …

(J'avoue, ici, que le souffleur eut une idée de génie. Au lieu de souffler le texte, il le déclama pour Jésus la courgette.)

Jésus (Toujours la courgette doublée par le souffleur, encore le souffleur) – Je ne vais pas à l'école pour apprendre, Père adoptif, J'y vais pour enseigner aux hommes leurs devoirs de bonnes volontés devant mon Père biologique et Céleste et les corriger au rouge dans la marge, le soir venu.

Marie (anciennement la p'tite Marie) – Ô mon Dieu ! Comme il parle bien, l'enfant  p'tit Jésus. On voit qu'il a de l'instruction, le garnement. Viens embrasser ta mère, mon chéri !

Marie enlace de ses bras Jésus, enlace la courgette, quoi et le (la) berce amoureusement !

Joseph (anciennement Mdr) -  Core heureux ! Au prix qué nous coûte, son école de jésuite.

Jésus (j'mets plus d'additif, ça saoule tout le monde, moi le premier à tout écrire) – Qu'était le christianisme avant la naissance du Christ ? Ici présent, par moi révélé !

Marie – Putain ! Ça c'est envoyé, ça !

Jésus (présentement le souffleur. Si, je les remets les additifs, finalement) – Soyez miséricordieux, Mère ! Ne jetez pas la pierre à la femme de joie, elle est en peine.

Marie – Peine à jouir, oui ! (C'est le rôle que je voulais, susurra-t-elle en aparté)

La fille de joie, fait son entrée en saluant le public d'une révérence qui dévoile son cul et exalte la foule. « Hou ! Remboursez ! Hou ! Remboursez ! » (C'est bon signe ça, il y a des échanges, de l'interaction. Ça marche ! (De toute façon, ils peuvent se brosser pour que je rembourse quoi que ce soit, même de l'argent.))

La fille de joie (la pute, quoi !) – J'viens devant vous, Ô Seigneur, pour une petite prière à exhausser, trois fois rien, une broutille, une pacotille, une vétille à la vanille, une…

Jésus (le souffleur) – Parle sans honte et sans crainte mon enfant, je ne te juge pas. Je ne suis pas un juge. Je suis juste, un Juste ! Allez accouche !

La pute – A ce propos, justement, voilà ! Mon tiroir à polichinelle est encore garni et cela ne m'arrange pas trop, en ce moment, because mon Jule est parti, mes serrures sont grippées, les docteurs chers…

Jésus – Ne t'angoisse pas ma fille. Tu enfanteras dans la joie… d'une courgette.

La pute- Merci Ô Seigneur ! C'est bon pour la soupe du soir, ça.

La courgette (anciennement Jésus) – Alors, là, non ! Je sors de mon mutisme et de ma réserve devant cet acte atroce de cannibalisme.

Le souffleur (anciennement souffleur sort de sa fosse à souffler pour incarner Jésus, carrément, in situ. Malheureusement, il est vieux, barbu et il ressemble à Moïse, à Noé, au père Noël, mais au p'tit Jésus, que nenni.) – Qu'entends-je, de mes oreilles, entendu ? Qu'ouïs-je de mon ouïe, tout ouïe ? Jamais, Ô grand jamais, il ne sera question d'anthropophagie, ici. J'ai sauvé l'homme de la barbarie originelle, je n'admettrais point qu'il y retournasse, espèce de pétasse. (Il parle de et à la pute, là. Plus personne n'arrive à suivre, moi le premier, alors que j'ai le texte en mains, pourtant.)

 

A partir de cet instant, mes chances de redorer mon blason, s'envolèrent comme s'envolent les bisets de votre balcon après y avoir fienté. Le public qui était resté médusé jusqu'à présent, se rebella en lançant une mutinerie dans la salle et les légumes de son marché du matin sur la scène. La p'tite Marie fit le sien : Concombres, aubergines, courgette, tomates, non pas de tomates, la p'tite Marie n'aime pas la tomate.

J'avais écrit cette pièce pour atténuer les embrouilles que j'avais avec l'Eglise et tenter de simplifier les procès… c'était mal barré. Je m'enfuis du théâtre par la sortie de secours, la sortie des artistes, quoi, en prenant la p'tite Marie sous le bras.

-         Tu m'déposes Eglise de Pantin, mon lapin ?

-         Bien sûr !

-         Tient prend une courgette, j'en ai trois.

-         Je ne voudrais pas te démunir.

-         Non, c'est bon ! T'inquiète, la deuxième je la mangerai.

La courgette – Eh ! Je ne suis pas une grosse légume, je suis une artiste !

La p'tite Marie – Ah, c'est toi, je ne t'avais pas reconnue. Tient je te fais un smac avec mon rouge pour ne plus te confondre. On va bien s'amuser tous les deux, ce soir.

Moi – Bon, je vais vous laisser là, les amoureux. Je dois Demander Asile dans un Pays Agnostique.

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