Naître, etc.

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Ça y est je crois que je suis vraiment né. Je ne sais plus trop quand mais la couveuse n'est qu'un souvenir diffus et néanmoins gravé dans ce qu'on peut communément appeler mon âme. Dix jours comme une éternité. Il y a comme une douleur nichée au fond de moi. Une brèche due à ma frénétique envie d'être là. Je découvre vraiment les mains de ceux qui m'aiment. Je dis ceux mais il n'y en a qu'une. Mon père n'existe pas. Je pars bien dans la vie.Les mains de ma mère déploient des trésors de caresses pour me faire penser que le monde entier me veut. Je suis presque dupe.Lové dans ses bras je voyage sûrement de la clinique à sa maison -et je ne comprends toujours rien à ce qu'elle me raconte. J'enrage alors je pleure alors elle m'enroule d'amour alors je ris alors j'ai faim alors maman je suis tellement impatient de bouffer le monde si tu savais.L'air dehors est piquant. Le froid sur mon nez. Une odeur de mer. On doit être en hiver. Beaucoup de lumières multicolores dans les rues, une sorte d’allégresse générale. Mes yeux comme une bouche s'ouvrent sur le monde comme un gâteau sublime. Le vent s'engouffre sous mes paupières. J'enrage alors je pleure alors elle m'enroule d'amour, etc.Je suis tellement petit que l'appartement est une galaxie où il faudra tant bien que mal que je pose mes marques histoire de prouver que c'est bien là ma place.Des gens rejoignent ma mère. La famille ou des amis. Tout cela est brouillon bruyant. Seules les couleurs en douce se détachent de ce maelström sans fin. Une chaleur aussi. C'est bien chauffé chez moi. Tout est spectacle -surtout moi. On me regarde, je tourne de bras en bras et chacun, chaque être ici venu pour fêter ma naissance va puiser en lui la délicatesse nécessaire à mon état. Jeunes vieux hommes femmes combien sont-ils autour d'elle je dirais des centaines mais il doivent être cinq à tout casser. Ils m'aiment me cajolent m'enivrent de ces satanés mots que je ne comprends pas des O des A des I alors j'enrage alors maman m'enroule d'etc. Je suis le petit roi du monde et j'avais oublié combien cela est divin fantastique jouissif. Je ne vois que des rires je n'entends que des caresses et je pleure ô je pleure mais si maman savait que c'était de la joie elle ne ferait pas cette tête que je devine contrite.Combien de jours ont duré ces libations archaïques dans ma petite tête on dirait des années mais ce n'est qu'une soirée.Première nuit dans mon troisième cocon, ma maison. L'essentiel de ma vie se résume pour l'instant à enrager pleurer me faire enrouler d'amour me faire nourrir me faire assister pour ces besoins vitaux que je n'assume pas encore. Je suis l'heureux jouet de l'amour maternel.
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