Ne pleure pas Jeannette

vinca

On connaît la chanson mais ça n'empêche pas de se poser des questions.

La fille s'appelle Jeannette mais je n'ai pas vraiment choisi ce prénom. Je pourrais dire qu'il s'est imposé à moi mais ce ne serait pas tout à fait exact. Il m'a plutôt été soufflé, ou crié, ou hurlé, enfin je l'ai entendu, et ensuite il m'a été impossible d'en trouver un autre, comme si tous les autres étaient déjà pris (Emma, Mathilde, Zazie, Pénélope, Chloé, Elsa, Clélia étaient pris. Juliette était pris.) J'aurais eu l'impression de trahir Jeannette si j'avais fait semblant de ne pas l'entendre, si j'avais continué à chercher comme si de rien n'était, comme si une voix ne s'époumonait pas du fond de mon enfance, comme si je ne la reconnaissais pas.

Je me suis souvenue de la chanson  « Ne pleure pas Jeannette », chantée gamine avec mes sœurs à l'arrière de la voiture sur la route cahoteuse du retour des plages, une chanson qui  m'avait toujours émue sans que j'ose l'avouer car j'avais l'intuition confuse que sous peine de passer pour une pâte molle, cette Jeannette devait être plus à moquer qu'à plaindre. Je devais bien admettre que dans le couplet qui scande : « nous le pendouillerons, nous le pendouillerons », en parlant du pauvre Pierre, on avait plus le cœur à rire qu'à pleurer, plus envie de pouffer que de compatir à la douleur de Jeannette face à cette exécution atroce, abominable quand on y pense, Pierre mené pieds nus et mains liées à la potence, Pierre levant une dernière fois la tête au-dessus des toits sales vers le ciel jaune barré de la poutre du gibet, priant peut-être ou juste souriant à l'ultime vol de moineaux, à l'impertinente gaieté de leurs pépiements : « Nous le pendouillerons, nous le pendouillerons ! » La tête de Pierre sur laquelle on enfile un sac en toile de jute, et maintenant il respire l'odeur âcre de poussière qui lui donne envie d'éternuer, mais les condamnés à mort n'éternuent pas, alors il transpire.

C'est évidemment ce – ouillerons qui sape la dimension tragique de la chanson. Non seulement la familiarité du suffixe tend au ridicule mais on ne peut s'empêcher d'y entendre un cri de douleur superficiel et niaiseux complétement en inadéquation avec la situation désespérée de Pierre, autour du cou duquel une corde lourde et rêche vient d'être glissée, une corde pour l'instant mollement posée sur sa nuque comme une main à la fois réconfortante et distraite. Dans une version antérieure de « Ne pleure pas Jeannette » intitulée « La Pernette se lève », mélange d'occitan, d'oïl et de français apparemment fredonné dans les basses cours des châteaux aux alentours du 15e siècle, « nous le pendouillerons » se chantait « nos lo pendolaron », ce qui change tout, la douleur replacée au centre et le balancement du corps de part et d'autre.

Avant Jeannette, Pernette soupirait donc après son amour écroué et rejetait la miroitante promesse d'une vie à faire tapisserie en mousseline de soie et revers d'hermine, préférant s'allier au châtiment de son Pierre jusqu'à ce que la mort les unisse. Martyres refusant d'abjurer leur amour, Prince ni Baron n'y pouvant rien, les demoiselles prêtent tour à tour la peau laiteuse de leurs cols à la morsure violette du chanvre, et nous, enfants, de rabâcher joyeusement à l'arrière de la Renault 25 engluée dans les embouteillages du dimanche soir : « pendouillez-moi–z-avec, pendouillez-moi-z-avec ! »

Pierre ne va donc pas être pendu seul, à son côté oscillera le corps de celle qui pousse la fidélité au-delà du supplice, parce qu'elle refuse que demain ses paupières s'ouvrent sur un monde où il n'est plus, il ne peut pas se faire que ses pieds foulent une terre où il ne marche plus, impossible d'entendre encore le vent, les feuilles, la rivière, impossible de respirer l'air qu'il ne respire pas. A tout perdre, Jeannette fait tapis et l'on ne saura jamais si elle bluffait, car on pendouilla Pierre et sa Jeannette avec.

  • Ah la, la, les souvenirs reviennent en pagaille, je me revois avec les copains, copines dans le car qui nous emmenait en colonie de vacances. L'on chantait aussi ! "Ils ont des chaperons, vive la Bretagne, ils ont des chaperons, vive les bretons." Le refrain était bien innocent, le couplet l'était moins : " Ma grand-mère est carnassière, elle a mordu pépère au c .." Le curé qui était responsable de la colo a immédiatement fait stoper notre belle envolée lyrique !!!!

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • correction : stopper.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Louve blanche

      Louve

  • Mince ! J'adorais cette chanson aussi, elle me tordait les tripes ! Merci beaucoup pour ce voyage ! ;)

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Ananas

    carouille

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