Nice Story

Daniel Macaud

Note d’intention:

Le texte présenté ici a pour cadre une émission de télé-réalité, situation propice à toute scénarisation et manipulation. Manipulation des personnages, des médias, des téléspectateurs, mais aussi des sentiments et de la réalité elle-même. Les personnages acceptent ce jeu, et les spectateurs acceptent d’être manipulés. Mais dans ce jeu de dupes, il y a aussi ceux qui cherchent avant tout le pouvoir, et ceux qui cherchent à tuer.

La mise en scène est clairement axée sur le vaudeville dans la première scène. Elle devient dès la seconde scène beaucoup plus grave et le jeu des comédiens se fait constraste avec les couleurs pastels du décor. Ce qui était joyeux, voire kitch, devient inquiétant et violent. Ce qui n’était qu’un jeu devient une course contre la montre, et contre la vérité préfabriquée. Les personnages ne savent pas ce qui est vu, et ne savent pas ce qui se passe. Tout au long de l’histoire, ils seront manipulés. On y ressentira de l’incertitude, de l’inquiétude, finalement de la peur. Le jeu doit être axé sur cette opposition complete que représente la situation, comparée au décor. L’enfermement aussi, doit être là, et subit: alors qu’il était censé rassurer, correspondre à un cadre de jeu, il devient prison. Tout devra monter en intensité, en puissance, jusqu’au dénouement.

NICE STORY


Personnages

- Gérard, quinquagénaire fringuant.
- Antoine, jeune homme d'une vingtaine d'années.
- Sylvie, « LA » blonde de service, comédienne.
- Tiphaine, trente ans. Mariée, deux enfants.
- Quentin, mannequin, vingt-cinq ans.
- Julie, jolie petite brune de dix-huit ans.
- Alexandre, ancien SDF, trente-quatre ans.
- Vanessa, vingt-sept ans, diplômée d'un master en science de la vie.
- Laurent et Betty, « LE » couple du jeu.
- Dervanche, second de l’inspecteur. Flegmatique et avisé.
- L’inspecteur, froid et emporté. Il ne pense qu’à l’enquête.
- M. Martin, le producteur. Il ne pense qu’à remonter l’audimat en berne de son émission.
- Bruno, le présentateur. Mou.
- Des figurants: policiers, maquilleuse, techniciens.


Scène 1

(Un décor de studio, un salon ou une salle à manger. Au centre, un canapé. Coté cour, un bureau et une porte dans le fond de la scène qui donne sur l’extérieur. Coté jardin, une autre porte qui donne sur la cuisine, la salle de bain, les chambres du loft et les toilettes.
Ce qui se passera dans ces lieux sera toujours en off.
Les dix personnages du jeu « Nice Story » sont tous immobiles et dans la pénombre. Certains dans le canapé, d’autres debout autour, comme posant pour une photo de famille.
En avant-scène, se tient le présentateur, en habit de soirée. Il relit ses fiches. La maquilleuse lui court après.)
 
Bruno : Ok, alors les joueurs, c’est bon. Le plateau, ok. Le maquillage… C’est fini ? (Signe négatif de la jeune femme) Dépêchez-vous alors ! (Il recommence à marcher. La maquilleuse recommence à lui courir après.) Bon ben cette fois, je suis prêt.
Martin : (arrivant) Mon vieux Bruno, cette fois, on est bon. On tient « LA » saison qui va refaire décoller les audiences.
Bruno : Si tu le dis.
Martin : Crois-moi, vieux, cette fois, ça va cartonner. J’ai mis un paquet de pognon dans cette émission. Ça va redécoller !
Bruno : Si tu le dis.
Martin : Bien sûr que je te le dis. Deux saisons en berne, ça suffit. Une troisième et je suis sur la paille, moi. Alors cette fois, ça va marcher ! Je compte sur toi. Sois motivé !
Bruno : (un temps, il fixe Martin) Si tu le dis.
Martin : C’est parti ! Antenne dans quelques secondes. (À la maquilleuse) Dégagez le plateau ! (Face public) Envoyez les projos !
(Le plateau se vide. Ne reste que sur scène les 10 joueurs. La lumière se fait sur les dix candidats, le présentateur arrive tout sourire et commence son speech.)
Bruno : Bonsoir, mesdames, mesdemoiselles et messieurs, et bienvenue dans le loft de « Nice Story » ! Cette année encore, dix valeureux candidats seront filmés pendant dix semaines par trente caméras, entendus par soixante micros, et le tout vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Vous ne pourrez rien rater ! Cette année, la production a mis les grands moyens, et cette saison s’annonce pleine de surprises. Mais vous en saurez plus demain ! Commençons tout de suite les présentations : (au fur et à mesure qu’il donne les noms, les joueurs saluent bêtement.) Gérard, Antoine, Sylvie, Tiphaine, Quentin, Julie, Alexandre, Vanessa et Laurent et Betty, notre couple d’amoureux ! (Laurent lance un regard sans équivoque à Julie. Betty lui envoie un coup de coude sans même le regarder.) Je laisse le soin à chacun d’entre eux de se présenter en détail. (Il rejoint le canapé. Les candidats lui font une place au milieu afin qu’il s’asseye.)
Gérard : Bonsoir. Je m’appelle Gérard. J’ai cinquante ans. Je suis commercial.
Bruno : En quoi ?
Gérard : En aspirateurs industriels.
Bruno : Bien. Antoine ?
Antoine : Bonsoir. Je suis Antoine. J’ai vint-deux ans. Je suis maquilleur.
Bruno : Maquilleur ?
Antoine : Sur les tournages de long métrage, c’est moi qui fais les maquillages des acteurs.
Bruno : Les métiers de l’ombre du grand écran. Vous faîtes un boulot remarquable. Je salue au passage ma maquilleuse. On peut l’applaudir. (Applaudissements) Sylvie ?
Sylvie : Bonsoir, je suis blonde ! (Rires) Je plaisante. Je suis Sylvie. J’ai trente-cinq ans. Je suis comédienne.
Bruno : Et vous avez joué dans quoi ?
Sylvie : Euh… Des séries américaines pas connues en France.
Bruno : Ah, très bien.
Tiphaine : Je m’appelle Tiphaine. J’ai trente ans. Je suis secrétaire de direction. Je suis mariée. J’ai deux enfants.
Bruno : On les salue au passage. Je suis certain qu’ils vous regardent.
Quentin : Salut ! Moi, c’est Quentin. Je suis mannequin et j’ai vingt-cinq ans.
Bruno : Chez quel couturier ?
Quentin : Euh… Pour une grande marque de sous-vêtements.
Bruno : C’est vrai qu’il en faut ! On peut l’applaudir. (Applaudissements)
Julie : Je m’appelle Julie. J’ai dix-huit ans, et je viens d’avoir mon bac. Je suis trop contente !
Présentation : Un bac en quoi ?
Julie : Ben, mon bac... (Rires) Ah, ouais pardon, scuse. Euh… Un bac SMS.
Bruno : Ça ne doit pas être facile. On peut l’applaudir. (Applaudissements)
Alexandre : Je m’appelle Alexandre. J’ai trente-quatre ans et je suis vendeur dans un grand magasin.
Bruno : Alexandre, vous avez un passé assez difficile, je crois.
Alexandre : Oui, on peut dire ça.
Bruno : Racontez-nous un peu ce que vous avez vécu.
Alexandre : Ben…
Bruno : Ce sera un très bon témoignage et un grand message d’espoir pour tous les clo… Toutes les personnes sans abri qui, j’en suis certain, nous regardent à travers la vitrine d’un vendeur de télés.
Alexandre : Non, merci.
Sylvie (à Julie) : C’est contagieux ce qu’il a eu ?
Julie : J’en sais rien.
(Julie et Sylvie s’écartent. Alexandre le remarque et les fixe un instant du regard.)
Bruno : Et en plus, il est modeste. Courageux et modeste. Je crois qu’on peut l’applaudir. (Applaudissements) Ensuite…
Vanessa : Je m’appelle Vanessa. J’ai vingt-sept ans. Je suis diplômée d’un master en science de la vie, et actuellement en recherche d’emploi.
Bruno : Et bien, on vous souhaite bon courage. Et enfin, nos deux derniers candidats, Laurent et Betty.
Laurent : Salut. Moi, c’est Laurent…
Betty : Salut. Moi, c’est Betty…
Laurent et Betty: On est supers contents d’être là.
Bruno : Et bien, voilà ! Vous connaissez mieux tous nos sympathiques candidats. Ils vont maintenant faire le tour du propriétaire. Nous sommes dans le salon, la pièce principale du loft. Par là, la caméra me suit, nous avons la cuisine, les chambres, la salle de bain, les toilettes. Rassurez-vous, cette seule pièce n’est pas équipée de caméra. Un peu d’intimité, quand même ! (Les « storeurs » suivent le présentateur hors scène, on entend leurs faux cris d’extase en off.)
Julie : Oh, c’est beau !
Sylvie : Trop sympa !
Laurent : Pas mal !
Antoine : Vous avez vu la salle de bain ? Trop classe !
Betty : Ouais, c’est clair !
Antoine : Et les chiottes ? Tiens, justement.
Gérard : Reste pas coincé dedans hein ! (Il rit.)
Bruno : On va retourner au salon maintenant, pour la fin de la visite, en attendant que notre ami Antoine nous rejoigne. Et oui, ce sont les aléas du direct…
(Tout le monde reprend sa place, Antoine arrive)
Antoine : Désolé, hein.
Bruno : Ne vous excusez pas.
Julie (bas à Antoine) : T’es un rapide toi.
Antoine (même jeu) : T’as l’air surprise ?
Bruno (voyant les messes basses entre les deux) : Et bien, déjà les amitiés se nouent. Il me reste à vous faire visiter le jardin qui se trouve derrière cette porte. Il s’agit, bien sûr, d’un jardin entièrement équipé, avec des hamacs et une piscine. Vous pouvez aller voir. (Les « storeurs » sortent. On entend en off, leurs commentaires. Le présentateur est seul en scène.) Voilà, nous allons les rejoindre. La caméra me suit. (Il sort.) Alors, ça vous convient ? On va retourner dans le salon pour les salutations. (Les « storeurs » rentrent et s’assoient.) Il va être temps pour moi de vous laisser. Cette porte donne sur les studios de la chaîne. Tout est calfeutré et bouclé. Les « storeurs » n’ont évidemment aucun moyen de savoir ce qu’il s’y dit ou ce qu’il s’y fait. On s’y retrouve demain, seize heures, pour tout savoir de « Nice Story ». Bonne soirée les « storeurs » !
(Applaudissements. Le présentateur quitte la scène sous les saluts un peu idiots des dix « storeurs ». Tous se regardent quelques secondes sans trop savoir quoi faire.)
Antoine : Bon, qui veut un whisky ?
Gérard : Y’a pas d’alcool ici.
Antoine : C’est ballot ! J’en aurais bien pris un.
Gérard : Et moi donc ! J’adore ça.
Laurent : L’abus d’alcool est dangereux pour la santé !
Antoine : Surtout pour celle des autres. (Il fixe Gérard une seconde, qui détourne très vite le regard.)
Gérard : Alors on va se contenter de jus d’orange.
Julie : Parfait. Y’en a à la cuisine. J’y vais.
Antoine : Laisse, je m’en occupe. (Il sort.)
Sylvie (à Laurent) : Y’a un truc entre eux ou quoi ?
Betty : On ne sait pas.
Sylvie : Zut, je voudrais bien savoir.
Vanessa (à Alexandre) : Alors, t’étais SDF ?
Alexandre : Et alors ?
Julie : Mais un vrai, avec les cartons et tout ?
Alexandre (très calme) : Oui et ?
Sylvie : C’est contagieux ?
Gérard : Hé, foutez-lui la paix ! Vous croyez que c’est marrant ?
Quentin (qui semble tout à coup réagir) : C’est sûr, ça doit pas être drôle d’être SDF. Moi, j’ai un copain qui est VIH, déjà ce n’est pas marrant…
Alexandre : VIH ?
Gérard : Il est séropositif ?
Quentin : Non il est coiffeur, et…
Vanessa : Non, on veut savoir s’il a le sida.
Quentin : Hein ? Ben non, pourquoi ?
Julie : Tu viens de dire qu’il était VIH…
Quentin : Pardon, ah oui, il est VIP ! Je me suis planté. C’est pas le « H », c’est la lettre d’à côté ! Je les confonds tout le temps.
(Consternation des autres « storeurs ». Antoine revient avec un plateau)
Antoine : Et voilà, les jus d’orange. C’est quoi cette histoire de VIP ? Tiens, Gérard, te voilà un verre. (Il lui tend un verre et continue la distribution.)
Gérard : Merci. Quentin disait que ce n’était pas marrant d’être SDF et VIP.
Antoine : Ce n’est pourtant pas pareil. Un SDF, ça se bat un peu plus !
Alexandre : Qu’est-ce que tu veux, la rue, c’est la misère pour les sans-abris.
Antoine : Surtout pour ceux qui les croisent. (Il le fixe un instant.)
Alexandre (toujours calme et flegmatique) : Oui, on passe notre temps à taxer. C’est notre seul moyen de vivre. Mais tu vois, j’ai retrouvé une vie ! Je n’ai pas fait que des choses bien, c’est vrai. J’ai même fait de la prison, si vous voulez tout savoir !
Quentin : Une prison ? Une vraie ? Comme à la télé ?
Alexandre : Mais t’es un boulet toi ?
Quentin : Hé, tu ne te moques pas ? Tu crois que c’est facile d’être mannequin ? Je travaille dur pour percer ! Je fais tous les défilés des grands couturiers. C’est hyper dur ! Je suis dans toutes les soirées VIH de Paris.
(Grand silence. Tous boivent leur jus d’orange. Antoine se lève.)
Alexandre : P
Quentin : Quoi « P » ?
Alexandre : Pas « H », « P », VIP !
Quentin : Ah ouais, scuse !
Antoine : Bon je vais me coucher. Je suis crevé.
Laurent : Tu ne restes pas ?
Antoine : Ah, non. Je suis over claqué. J’ai eu une grosse journée. (Il sort.)
Julie : Dommage.
Gérard : Je vais peut-être y aller aussi moi. J’ai un coup de barre d’un coup, terrible.
Laurent : Oh, ben non…
Quentin : Les petits joueurs…
Vanessa : Oh, ben s’ils sont fatigués, laissez-les quoi. Bon, et sinon, vous faîtes quoi, tous, dans la vie ?
Tiphaine : Ben, je suis assistante de direction. En fait, c’est moi qui gère tout l’emploi du temps de mon patron. Je prends ses rendez-vous, et…
Gérard : Bon. Ben moi, je vais me coucher aussi. Pas envie de parler boulot. (Il sort en grommelant.) Bon, où sont les chiottes ?
Laurent (en direction de Gérard qui sort) : T’endors pas dedans, hein !
Vanessa : Et vous deux ?
Laurent : On a un petit restaurant en banlieue parisienne.
Betty : Ça marche super bien.
Tiphaine : Ça doit être marrant de travailler ensemble.
Laurent et Betty : C’est une super chance !
Tiphaine : J’aimerais bien travailler avec mon chéri comme ça.
Quentin : T’as un chéri ?
Tiphaine : Ben, oui. Je suis mariée.
Quentin : Ah…
Tiphaine : Hé, te fais pas de fausses idées, hein ?
Quentin : Ben, on est là pour ça ! Non ?
Tiphaine : Oh ! Ben, quand même pas. Il dirait quoi, mon mari ?
Julie : Il serait jaloux. C’est sûr.
Sylvie : Y’a un truc entre toi et Antoine ?
Julie : Non.
Tiphaine : C’est marrant. On dirait.
Julie : J’imagine que le courant passe bien.
Laurent : Y’a pas que le courant qui peut passer. (Il rit grassement.)
Betty : Oh ! Tu ne vas pas commencer !
Laurent : Ben quoi ?
Quentin : J’ai rien compris.
(Ils sourient tous. Noir)

Scène 2

(La lumière se lève sur le salon vide. Julie arrive en baillant, bientôt suivie par tous les autres, sauf Antoine. Gérard est le dernier à arriver.)
Gérard : J’ai dormi comme un loir. Ça va, tout le monde ?
Julie : Ouais, ça va.
Laurent : Ah, je croyais que t’étais resté dans les chiottes, moi ! (Il rit. Betty lui donne un coup de coude.) Aïe !
Betty : Arrête ! T’es lourd.
Laurent : Oh…
Gérard : C’est vrai que je me suis à moitié empafé dedans, en plus.
Quentin : Ah bon ? Mais pourquoi ?
Gérard : Est-ce que je sais, moi ? On ne va pas en faire une histoire non plus !
Sylvie : A propos d’histoire, le présentateur a promis des nouveautés. Alors, on fait quoi aujourd’hui ?
Alexandre : Des conneries, j’imagine.
Quentin : Attends, tu ne peux pas dire ça ! C’est super important comme question.
Alexandre (un temps) : Ah bon ?
Quentin : Attends, ben oui ! Sinon, on ne saura pas !
Alexandre (consterné) : Logique !
Quentin : Et ben ouais ! Faut réfléchir avant de dire n’importe quoi ! C’est p’tête un jeu, mais c’est super important !
Alexandre : Ben voyons !
Laurent : Bon, on ne va pas commencer !
Alexandre : il est agaçant, tu reconnaitras…
Quentin : Mais c’est pas des conneries. C’est super dur d’être célèbre aujourd’hui !
Julie : Il a raison, là !
Laurent : Mais pourquoi être célèbre ?
Quentin : Ben attends, pour être connu, quoi !
Gérard : Laissez tomber. Il est lobotomisé.
Sylvie : Ah non ! Arrêtez, s’il vous plaît. Le jeu est à peine commencé, c’est déjà le bordel.
Quentin : Ben attends, à qui la faute !
Vanessa : Bon allez !
Alexandre : Ouais, t’as raison. Ça sert à rien.
Betty : Faîtes la paix, quoi !
Quentin (bougonnant) : Ça se voit que c’est un ancien pauvre, il ne comprend rien aux choses essentielles.
(Alexandre encaisse le coup sans rien dire)
(un temps, Julie fixe Quentin sans rien dire.)
Julie : Tu sais, ça pourrait t’arriver aussi.
Quentin : Quoi ? C’est contagieux ?
Alexandre : Ben, ouais. Si tu ne deviens pas célèbre… Tu deviendras pauvre !
Quentin (paniqué) : Hein ? Ce n’est pas vrai ? Avec les cartons et tout ?
Alexandre (qui en profite) : Ben, ouais. Et oublie pas les fringues sales qui puent la pisse, et les puces, et la faim, et le froid, et les gens qui…
Betty : Bon, c’est fini, oui ? Tu ne vois pas que tu lui fais peur, là ?
(Quentin s’est replié sur lui-même, sur le canapé. Il se cache dans ses genoux et ne bouge plus.)
Alexandre : Bof !
Julie : Tiens, au fait, il est où Antoine ? On va avoir le direct matinal dans quelques minutes.
Vanessa : Je vais le chercher. (Elle sort.)
Laurent : Hum… Et sinon, vous avez bien dormis ?
Tiphaine : Ça va, oui.
Betty : Ouais.
Julie (à Laurent et Betty) : Ça doit pas être facile pour vous. Je veux dire… Tous les deux… Euh…
Laurent : On se débrouille.
Betty : On va patienter, ça ne dure que dix semaines. Ça ne changera pas de d’habitude.
Laurent : Hé !
Betty : Mais non, mon amour…
Gérard : Ah bon, parce que…
Tiphaine : Mais non. Tu vois bien qu’ils plaisantent tous les deux.
Quentin (qui émerge) : Mais vous parlez de quoi, là ?(Les autres « storeurs » se regardent, l’air complice.) Ben quoi ?
(On entend un hurlement dans les coulisses. Vanessa revient, blanche. Elle regarde tout le monde, hagarde.)
Vanessa : Antoine… Il est…
(Elle s’écroule, en larmes. Laurent la rattrape de justesse. Noir)

Scène 3

(Des policiers passent le salon au crible. Le producteur, en costume cravate, se trouve déjà sur les lieux. L’inspecteur arrive, suivi de Dervanche. )
Martin : C’est une catastrophe ! Je vais perdre des millions avec cette histoire ! On a dû couper le direct. On a coupé le canal internet qui diffuse en continue. Et je perds des millions ! Quel con, ce mec. Venir se faire descendre chez moi !
L’inspecteur (arrivant): Je suis l’inspecteur chargé de l’enquête. Je cherche Monsieur Martin.
Martin : C’est moi. Je suis le producteur de l’émission.
L’inspecteur : Et je peux savoir ce que vous foutez sur une scène de crime ?
Martin : C’est chez moi, ici !
L’inspecteur : Plus maintenant. Dégagez !
Martin : Je croyais que vous me cherchiez ?
L’inspecteur : Oui, pour vous faire sortir. J’ai horreur des gêneurs.
Martin : Vous n’avez pas le droit. J’en parlerai à mon avocat.
L’inspecteur : Bonne idée. J’adore le guacamole. Dervanche, sortez-le !
Dervanche : Oui, monsieur. (Il sort en entraînant Martin par le bras.)
Martin : J’ai des contacts au Ministère de l’Intérieur. Vous me le paierez !
L’inspecteur : C’est ça ! Bon, où en est la situation ? (Il consulte un calepin.) Dervanche !
Dervanche (qui revient en courant) : Oui, Monsieur ?
L’inspecteur : Topo !
Dervanche : Euh, oui. La mort à eu lieu cette nuit…
L’inspecteur : L’heure ?
Dervanche : On ne sait pas, monsieur. On attend le rapport du légiste chez qui on vient d’envoyer le cadavre.
L’inspecteur : Vous ne savez pas ?
Dervanche : Et bien, monsieur, aucune caméra n’a vu ce qui s’est passé !
L’inspecteur : Pardon ?
Dervanche : J’ai visionné toutes les vidéos, de toutes les caméras, de toute la nuit. Et rien.
L’inspecteur : Vous vous foutez de moi ? Il y a trente caméras dans ce loft !
Dervanche : Dont deux infrarouges et vision de nuit. Pourtant, il n’y a rien.
L’inspecteur (soudain moins sûr de lui) : Et merde. Moi qui pensais que ça irait vite !
Dervanche : Je suis aussi surpris que vous, monsieur.
L’inspecteur : Bon. Faîtes entrer les hamsters ! On va les interroger.
Dervanche : Hein ?
L’inspecteur : Les joueurs, bon sang !
Dervanche : Tout de suite.
(Il sort et revient quelques secondes plus tard avec les joueurs. Tous s’asseyent plus ou moins sur le canapé.)
L’inspecteur : Bien. Je voudrais revenir avec vous sur les événements de cette nuit. Qui a découvert le cadavre ?
Vanessa : Moi.
L’inspecteur : Vers quelle heure ?
Vanessa : Euh… On devait avoir le live matinal quelques minutes après. Il devait être un peu moins de dix heures.
L’inspecteur : Et vous n’avez rien entendu ?
Vanessa : Non.
L’inspecteur : Les autres ?
(Dénégation des têtes générale.)
Quentin : Et le live, il est à quelle heure ?
L’inspecteur : Pardon ?
Quentin : Le live, quoi !
L’inspecteur (glacial) : Il vient d’y avoir un meurtre, ici ! Ne croyez pas que cette émission va continuer !
Quentin : Oh, ça va. On me la fait pas à moi. Je sais très bien que c’est du chiqué !
Vanessa : Pardon ? Tu veux me répéter ça ?
Quentin : Mais ouais. Un peu de ketchup et le tour est joué ! On fait ça tout le temps dans les films.
Vanessa (hurlant) : Tu veux aller le voir ? Tu veux aller constater qu’il est mort ? Imbécile !
Quentin : Oh ! Ça va, oui !
L’inspecteur : Silence ! On se calme. Mademoiselle, calmez-vous ! Ça va aller, hein ? D’accord ?
Vanessa (en larmes) : Quel con ! Il est mort !
L’inspecteur : Ça va. Calmez-vous.
Quentin : Oh, là, là ! Elle en fait une affaire… Il n’a pas pu mourir. Y’a pas d’arme ici ! Et puis, avec les caméras…
L’inspecteur : Vous allez la fermer, vous ?
Quentin : Oh, ça va ! Vous en faîtes trop, là !
L’inspecteur : Quoi ?
Quentin : Ça se voit que vous êtes comédien.
L’inspecteur : Pardon ?
Quentin : Ben oui, les flics sont tous moches. On le voit à la télé !
L’inspecteur (il s’approche de Quentin et plonge son regard dans le sien) : Dervanche, foutez-moi cet abruti au trou. Il va moins aimer la suite du scénario.
Dervanche : Oui, monsieur. (Il sort ses menottes.)
Quentin (il recule) : Oh ! Ça veut dire quoi ça ? (Dervanche lui attrape le bras et lui serre le poignet dans la menotte.) Hé ! Ça fait mal ! Je me plaindrai à la production ! Hé ! (Ils sortent. On entend Quentin crier en coulisse. La porte se ferme. Lourd silence. L’inspecteur n’as pas quitté Quentin des yeux. Il tourne toujours le dos aux autres quand il prend la parole.)
L’inspecteur : Bon. J’espère que vous êtes tous conscients, maintenant, de ce qui s’est passé ici. (Silence) Bien. (il se retourne). Je dois vous dire que nous avons un problème. Il se trouve qu’aucune caméra n’as vu le meurtrier. (Surprise générale) Aussi, vous êtes tous suspects. (Nouveaux cris de surprises)
Julie : Vous ne pouvez pas…
Gérard : Enfin, vous avez bien les vidéos de la nuit. On était tous couchés !
L’inspecteur : Je sais, mais vous étiez les seuls ici.
Laurent : Enfin, c’est ridicule. Nous n’avions aucune raison de le descendre.
L’inspecteur : Ça, c’est vous qui le dîtes !
Betty : Non, mais ça va pas ! On n’est pas venus là pour ça !
Sylvie : Et puis, il avait raison Quentin. Il n’y a pas d’arme ici.
(Un policier arrive de la chambre. Il tient quelque chose dans un sachet.)
Policier : Inspecteur ? Nous venons de trouver ça dans le faux plafond.
L’inspecteur : Et bien, maintenant, nous avons une arme. Envoyez-la au labo et trouvez à qui elle appartient...
Policier : Oui, inspecteur.
L’inspecteur : Vous allez tous me suivre pour une déposition au poste.
(Noir)

Scène 4

Martin (au téléphone. Il tourne en rond.) : Rémi, tu me dois bien ça ! Bon Dieu, tu es commissaire principal. Tu dois pouvoir faire quelque chose. C’est un gars à toi, cet inspecteur à la noix !… Il faut que l’émission continue… Dis-lui de nous lâcher la grappe. On continue et puis c’est tout !… Tu ne peux pas ?… Je sais qu’il y a eu un meurtre. Et je te jure que si ce con n’avait pas eu la bonne idée de mourir, je l’aurais descendu moi-même ! Venir crever ici, je te jure. Je perds des millions, moi ! Il faut que tu m’aide, Rémi ! T’as une enquête, t’as une enquète… Je sais que t’as une enquête. Sauf que vous n’avez aucune preuve contre mes joueurs. Et moi, c’est mon gagne pain… Sois pas aussi égoïste ! Attends… Je viens d’avoir une idée géniale… Il faut que ton enquête continue, hein ? Et si elle continuait devant les caméras ?… Mais si ! Pendant l’émission ! C’est l’émission, ton enquête, et mon jeu, ils feront plus qu’un ! Et ton gars, il reste là aussi ! Comme ça, il pourra la finir son enquête… Mais on s’en fout de qui est coupable. De toute façon, il ne trouvera pas. Il n’a aucune preuve. Les gens voteront, c’est tout. Mais non, on va leur faire croire que c’est un scénario… T’en fais pas, ils goberont. On va prétexter un problème technique. On fait un petit montage, et ça va rouler… Je connais mon métier, va ! Bon, ça marche ? Merci, t’es un pote ! Et, dis donc… Ton gars, tu me le cadre, hein ? Je ne veux pas qu’il fasse de conneries ! Ok merci ! (Il raccroche en souriant.) Oh putain, ça va être d’enfer ! On va exploser tous les records d’audience ! (Il reprend son portable.) Ouais, c’est moi. Tu rappelles tout le monde. On a du boulot. Et rappelle les joueurs aussi ! On reprend !
(Noir)

Scène 5

(Martin et Bruno sont seul en scène. Faible lumière n’éclairant que les deux personnages.)
Martin : Je compte sur toi, mon vieux. C’est la chance de notre vie !
Bruno : Si tu le dis.
Martin : Fais pas cette tête là. Je suis sûr que ça va marcher ! Ils n’y verront que du feu !
Bruno : Il y a…
Martin : On s’en fout de ce guignol ! Il n’avait pas à se faire sauter la tête chez moi ! En même temps, il a eu une riche idée. C’est vrai. On va se faire des millions. Le prix de l’espace pub va grimper en flèche !
Bruno : Si tu le dis.
Martin : Fais-moi confiance. Cette fois, on va vraiment redécoller ! (Il crie vers les coulisses.) C’est prêt ? Parfait ! Antenne dans 10 secondes ! (A Bruno) Je compte sur toi. Sois pro !
(Il quitte la scène. Le présentateur prend une grande inspiration. La lumière se fait sur la scène, où le décor est toujours là, vide.)
Bruno : Bonjour, chers téléspectateurs. Nous vous présentons nos excuses pour l’incident technique qui a coupé la transmission ce matin. Voici donc un résumé de ce qui s’est réellement passé ces dernières heures. Attention ! Le jeu de « Nice Story » vient de prendre une tournure incroyable ! Cette année, vous serez confronté à une enquête policière, où c’est vous, chers téléspectateurs, qui serez les enquêteurs. Pour vous aider, un inspecteur va entrer dans le loft dans quelques heures et interrogera les « storeurs » qui sont, vous l’aurez compris, devenus les suspects du jeu. Alors, chers téléspectateurs, c’est maintenant à vous de jouer et de découvrir ce qui s’est passé la nuit dernière. Attention ! Le mystère est entier ! Nous comptons sur vous ! Envoyez vos sms au « trente-six trois cent cinquante-trois » et remportez la somme de mille euros par bonne élimination. Le vainqueur du tirage au sort qui aura lieu en fin de semaine, remportera quant à lui, la somme de dix mille euros ! Et le téléspectateur qui découvrira le coupable remportera une voiture ! Alors, à vos portables ! Et voici, tout de suite, le résumé de ces dernières heures !
(La lumière s’affaiblit. La maquilleuse s’approche du présentateur pour lui faire une retouche.)
Maquilleuse : Ça ne va pas, monsieur ?
Bruno : J’ai envie de vomir.
(Noir)

Scène 6

(« Les storeurs » sont tous assis dans le canapé. Dervanche se tient debout derrière. Au milieu de la scène, l’inspecteur est au téléphone, visiblement énervé.)
L’inspecteur : Sauf votre respect, monsieur, c’est contraire à toute éthique… Je ne suis pas certain que cette émission redorera le blason de la police. Monsieur… Monsieur, c’est confondre la réalité et la fiction… Allo ?… Il a raccroché !
Dervanche : Alors ?
L’inspecteur : Alors quoi ? On reste, c’est tout. De toute façon, comme dit le vieux, ils confondent déjà réalité et fiction. Ça ne pourra pas être pire.
Dervanche : Monsieur, on aura des micros nous aussi ?
L’inspecteur : Hors de question ! Si on doit discuter seul à seul, je ne veux pas qu’on nous entende.
Dervanche : Monsieur ?
L’inspecteur : Quoi encore ?
Dervanche : Pourquoi je suis là ? Je veux dire…
L’inspecteur : Parce que si vous croyez que je serai le seul à me ridiculiser, vous vous mettez le doigt dans l’œil !
Dervanche : Bien, monsieur. Et eux ?
L’inspecteur : Quoi, eux ?
Dervanche : Ben, on en fait quoi ?
L’inspecteur (railleur) : On va jouer avec eux. Un « Cluedo » géant, c’est bien, non ?
Dervanche : C’est que, Monsieur, on en saura pas plus en restant ici. Il faudrait…
L’inspecteur : Je sais. Il faudrait visionner toutes les bandes, au cas où un détail nous aurait échappé. Il faudrait en savoir plus sur le passé de la victime, et aussi lire le rapport d’autopsie. Il faudrait interroger les proches. Bref, il faudrait tout ça. Mais non, on ne le fera pas ! Parce que votre supérieur hiérarchique, à savoir, ce vieux con de commissaire Besseau, veut qu’on fasse les guignols pour amuser la galerie.
Dervanche : Les bandes vidéo… De toute façon, elles ne nous apprendront rien. Y’a rien dessus.
L’inspecteur : C’est vous qui le dîtes.
Dervanche : J’y ai passé toute la matinée. Je finissais juste quand vous êtes arrivé.
Tiphaine : Dîtes…
L’inspecteur : Quoi ?
Tiphaine : Et nous ?
Laurent : C’est vrai… On fait quoi, maintenant ?
Betty : Parce que, c’est assez bizarre du coup… On doit vraiment faire semblant ?
(Le producteur entre.)
Martin : Bon ! Tout le monde ! On va reprendre le direct dans quelques instants, dès que le résumé sera terminé. Vous aurez un prime ce soir, pour les premières nominations. (A l’inspecteur) Vous ! Je vous ai à l’œil !
L’inspecteur (cassant) : Lequel ? Celui qui a filmé la mort de ce pauvre gars ?
Martin : Très drôle. Vous savez, il me suffit d’un coup de téléphone, et vous perdez votre job !
L’inspecteur (s’approchant, toujours glacial) : Vous savez, il me suffit d’un coup de poing, et vous perdez toutes vos dents !
Martin (recule, mal à l’aise) : Faîtes pas le con. Vos collègues sont train de faire votre boulot dehors. Alors, soyez cool. Restez calme et tout ira bien.
Tiphaine : Et nous ?
Martin : Quoi, vous ?
Laurent : On fait quoi ?
Martin : Continuez comme ça. Vous êtes supers !
Betty : Mais…
Martin : Antenne dans dix secondes !
Sylvie : Bon. Ben, essayez de sourire.
(Lumière. Tous se figent, interdits, une espèce de sourire crispé sur le visage. Seul l’inspecteur a une tête à faire peur. On le sent vraiment furieux.)
Sylvie : Voilà, ça y est. On est tous là, inspecteur.
L’inspecteur : Oui, j’ai vu. Je ne suis pas aveugle.
Vanessa : C’est que… Nous sommes un peu perdus, là.
Dervanche : Monsieur, que faisons-nous ?
L’inspecteur (soudain souriant) : Notre beau métier, mon ami. Nous allons interroger tous les suspects, ici présents.
Dervanche : Mais, monsieur… Ils dormaient tous. Les vidéos nous l’ont dit.
L’inspecteur (toujours souriant) : Alors, c’est que le mystère reste entier, mon ami. Le dénommé Antoine s’est fait dessouder pendant que tous ses petits camarades dormaient. C’est vraiment très étrange !
Dervanche (chuchotant) : Monsieur. Là, ça se voit.
L’inspecteur (chuchotant) : Je sais et je m’en fous. Je suis flic, pas comédien.
Dervanche (chuchotant) : S’il vous plaît, monsieur. Je tiens à ma place.
L’inspecteur (chuchotant) : Dommage, elle vaut plus tripette.
Laurent : Heu… Messieurs ?
L’inspecteur : Oui ?
Betty : C’est que… On ne sait plus quoi faire du tout.
L’inspecteur : Mais, vivez mes petits. Vivez ! Vous ne pouvez plus être des suspects. La vidéo vous a innocentés !
Julie : C’est vrai ?
Dervanche : Théoriquement, oui. Mais… Vous connaissiez la victime ?
Julie : Euh… Ben, pas vraiment. On a fait à peine connaissance. Mais il avait l’air très gentil.
(Le portable de l’inspecteur sonne. Il se réfugie un instant dans une autre pièce.)
Dervanche : Et vous, euh… Sylvie ?
Sylvie : C’est vrai, on ne le connaissait que peu. Mais il était quand même un peu étrange.
Dervanche : Ah bon ?
L’inspecteur (hurlant depuis la coulisse) : Quoi ? Mais vous êtes une bande de moules ou quoi ? (apparaissant, Furieux) Dervanche !
Dervanche (s’approchant promptement) : Monsieur ?
L’inspecteur (il commence à parler normalement, puis se ravise et chuchote) : Ces crétins…. Ces crétins de légistes ont perdu le corps.
Dervanche : Hein ?
L’inspecteur (bas) : Pas si fort ! Ils ne savent pas où il se trouve. Il a disparu. Il ne restait qu’une perruque sur le brancard, avec les empreintes du mort !
Dervanche (bas) : Il ne s’est quand même pas réveillé avec une balle dans la tête !
L’inspecteur : Ne soyez pas moqueur. Un mort vivant, on ne sait pas ce que ça peut faire !
Laurent : Que voulez-vous dire, monsieur ?
Betty : Il n’est pas mort alors ?
Gérard : C’est quoi cette histoire ?
L’inspecteur (toujours calme et souriant) : Ne vous en faîtes pas, mes petits. Il se trouve que le cadavre de notre regretté Antoine est en parfaite santé. Enfin, c’est ce que dit le légiste. Mis à part le petit détail de neuf millimètres dans le haut du crane, voilà tout. C’est du jargon de flic.
Julie : Ah bon, je me disais aussi. Ça aurait fait bizarre…
Tiphaine : Faut pas jouer avec nous, monsieur. C’est assez dur comme ça…
L’inspecteur : Mais enfin, c’est vous qui jouez. (A Vanessa, silencieuse) Tiens, au fait, quand vous êtes allée le chercher, vous n’avez rien remarqué ?
Vanessa : Mis à part le fait…
L’inspecteur : Qu’il était mort, évidemment !
Vanessa : Non. Rien. Tout était normal.
L’inspecteur : Vous disiez à mon collègue que vous le connaissiez peu ?
Vanessa : On venait de faire connaissance.
Julie : Il avait l’air gentil.
Sylvie : Il était plutôt beau gosse.
Tiphaine : Oui, pas mal.
Laurent : En fait…
Betty : Chut !
L’inspecteur : Quoi, chut ? Vous avez quelque chose à nous dire, Laurent ?
Laurent : En fait, je viens de me souvenir d’un truc…
Betty : Ce n’est pas important de toute façon.
Dervanche : Bien sûr que si. Nous vous écoutons.
Laurent : Nous tenons un restaurant….
L’inspecteur : Et…
Laurent : Et je crois…
Betty : Enfin, on ne se souvient pas super bien en fait. Hein, chéri ?
Laurent : Ben moi, je crois…
L’inspecteur : Bon, quoi ? Vous allez vous mettre à table ?
Sylvie : Trop fort la blague ! « Restaurant, se mettre a table » ! (Elle rit.)
Gérard : Ben merde. Une blonde qui pige une blague !
L’inspecteur : On peut continuer ? Vous avez d’autres remarques pertinentes, Gérard ?
Gérard : Euh...
L’inspecteur : Alors, Laurent. Ça vient ?
Laurent : Je crois qu’Antoine a été un temps plongeur chez nous.
L’inspecteur : Tiens donc ! Et vous ne me le dîtes que maintenant !
Laurent : C’est que, j’avais oublié. Il n’est resté chez nous que quelques jours.
L’inspecteur : Pourquoi ?
Betty : Il ne se sentait pas bien chez nous.
(Soudain, les personnages se figent. La scène s’assombrit. L’avant-scène s’éclaire faisant apparaître le présentateur.)
Bruno : Vous avez bien entendu, chers téléspectateurs. Alors, maintenant, c’est à vous ! Envoyez vite vos sms au « trente-six trois cent cinquante-trois ». Et votez « un », si vous voulez que Laurent et Betty deviennent suspect numéro un. Ou votez « deux », si vous voulez que Laurent et Betty ne soient pas suspectés pour le moment. On se retrouve ce soir !
 
(Noir)
 
Scène 7

(Tous les joueurs, Dervanche et l’inspecteur sont à table, l’ambiance est très lourde, personne ne dit un mot, les joueurs ont le nez dans leurs assiettes, l’inspecteur les observe l’un après l’autre)
L’inspecteur : On dirait que c’est dégeulasse ce que vous bouffez, faites pas cette tête !
(un temps)
L’inspecteur : Oh !
Julie : S’il vous plait…
Vanessa : C’est vrai… Il est mort quoi…
Dervanche : Monsieur, on peut comprendre qu’ils ne sentent pas le cœur à rire.
L’inspecteur : Pourtant c’est génial, c’est le club Med, les vacances non ? Un super loft bien garni, on a même refait la déco dans la chambre ! Un peu morbide c’est vrai mais…
Vanessa (en colère) : Vous allez vous taire !
L’inspecteur : Quoi ?
Vanessa : Respectez un peu la douleur des gens ! Il est mort !
Gérard : J’arrive pas à y croire… Moi qui croyais me faire un peu de vacances…
L’inspecteur : C’est pas des vacances, c’est une maison de retraite qu’il vous faut ! Vous avez vu votre tête ?
(Gérard redresse la tête un instant pour fixer l’inspecteur, mais il baisse la tête et ne dit rien)
L’inspecteur : Vous savez, c’est la première fois que je vois ça. J’en ai vu des choses dans ma vie, (il se lève et s’installe dans son récit, sans quitter Vanessa des yeux) la pire, c’est la fois où un type a sauté par la fenêtre du troisième, il s’est écrasé je sais pas comment, mais la colonne vertébrale était droite, il s’était empalé dessus, ça, c’est…
(Tiphaine se lève en pleurant et sort, Julie la suit immédiatement)
L’inspecteur : Qu’est-ce que j’ai dit ?
Vanessa : Vous pouvez pas vous en empêcher hein ?
L’inspecteur : Vous allez me parler autrement vous ! Je n’aime pas votre petit ton !
Vanessa : Et moi je n’aime pas votre tête de con !
(Elle se lève et sort)
Dervanche (en connaisseur) : bonne répartie…
L’inspecteur : Dervanche, la ferme !
(Un temps)
Gérard : Pourquoi vous faites ça ?
Alexandre : Pour nous tester. Pour en savoir plus sur nous, j’imagine. En sachant que dans ce genre de circonstances, les nerfs sont à fleur de peau, c’est le moment de lancer les appâts…
L’inspecteur : Vous m’avez l’air d’être un connaisseur, vous.
Alexandre : Ce cher Quentin aurait dit : « on le voit à la télé »
L’inspecteur : Hum… En fait, je m'ennuie, et je vois pas pourquoi je serai le seul, donc, je vous ennuie, voila tout !
Alexandre : Je vois.
L’inspecteur : Allons, nous sommes tous là pour jouer, non ?
Gérard : je ne vois ce qu’il y a de drôle à torturer les gens.
L’inspecteur : C’est là que vous vous trompez, il doit bien y avoir un côté amusant, avec le nombre de crimes commis par jour dans le monde !
Alexandre : Nous ne sommes pas responsables du monde.
L’inspecteur : Ah ! Encore un philosophe hein ? Et il a fait quoi comme étude pour sortir ce genre de phrase ? « Licence de picole agrégée» ?
Alexandre : N’essayez pas d’être drôle, vous allez vous faire mal !
(Il se lève et sort)
L’inspecteur : Dervanche... !
Dervanche : Je n’ai rien dit Monsieur.
Laurent : Je…
Betty : Chut…
L’inspecteur : Non, Betty, laissez parler votre mari. Vous vouliez dire quelque chose ?
Laurent : Rien… J’ai rien à dire.
(Le couple sort, Laurent est visiblement mal à l’aise)
L’inspecteur : Hé bien, il ne reste que nous quatre ! Qui a envie de raconter sa vie ? Sylvie ? Vous n’avez pas envie de vous lancer ?
Sylvie : Me lancer ?
L’inspecteur : Pas physiquement hein, ça ferait mal…
Sylvie : Merci ! Je sais que je suis blonde, mais je suis pas aussi stupide que ça !
L’inspecteur : J’ai pas dit ça, voyons… Une tranche de jambon ? (il attrape le plat et lui tend)
Sylvie : Non merci…
L’inspecteur : Je vois, on surveille sa ligne, on est mannequin ?
Sylvie : Comédienne, mais ça n’as rien à voir, je n’aime pas quand c’est épais.
L’inspecteur : Ah… Vous ne devez pas aimer vous voir dans le miroir alors !

(Sylvie se lève furieuse, elle le toise et sort)
Dervanche : Monsieur…
L’inspecteur : Tatata mon cher Dervanche, il nous reste encore un invité !
Gérard : Si vous pensiez me faire peur, c’est raté, j’en ai vu d’autre !
L’inspecteur : Un gros dur, voilà ce qui nous faut !
Gérard : Alexandre vous l’a dit, vous n’êtes pas drôle !
L’inspecteur : Hé non, je ne suis pas drôle ! En même temps, je vais vous dire, je n’ai pas la moindre envie d’être drôle ! Je suis en train de supporter une bande de nazes qui font les guignols devant une caméra, je suis moi-même un guignol devant une caméra, et croyez-le ou non, ça ne me fait pas rire !
Gérard : Alors pourquoi vous êtes là ?
L’inspecteur : Parce que j’ai encore envie de faire mon travail et d’obéir aux ordres, et croyez-moi, quand on est flic, savoir obéir aux ordres, c’est faire de vieux os !
Gérard : Hé bien, je vous réserve une place dans ma maison de retraite dans ce cas !
(Il se lève et sors à son tour. Les deux flics sont seuls à table. Très calmement, l’inspecteur se sert une tranche de jambon, la roule et la mange avec les doigts. Dervanche ne dit rien, il garde la tête dans son assiette)
L’inspecteur : Alors ? Qu’en pensez-vous ?
Dervanche : Vanessa cache quelque chose, c’est clair.
L’inspecteur : Ils cachent tous quelque chose, mais merci de votre sens de l’observation.
Dervanche : Si je puis me permettre monsieur…
L’inspecteur : Allez-y !
Dervanche : Vous y êtes allé un peu fort.
L’inspecteur : Pas grave, elle sert à ça cette carte ! (il tapote sa veste, là où se trouve visiblement sa carte de police)
Dervanche : Je veux dire, avec moi !
L’inspecteur : Depuis quand vous vous vexez dans notre exercice favori vous ?
Dervanche : Depuis que les caméras nous filment. Je ne veux pas passer pour un imbécile.
L’inspecteur (il s’arrête de manger et fixe son adjoint) : Dervanche, nous sommes des flics, et je me fous de cette émission c’est clair !? Nous avons un coupable à trouver, et nous allons le trouver, alors vos vexations de vierge effarouchée, vous vous les gardez !
(Il se lève et sort)
Dervanche : Et c’est moi la vierge vexée ! (il se roule une tranche de jambon et la mange tranquillement avec les doigts)

(Noir)


Scène 8
 
(Laurent et Betty sont seuls en scène.)
Laurent: ... Tu aurais pu me laisser parler !
Betty: Et tu aurais dit quoi ? Hein ? Ce n'est pas le moment de faire des vagues.
Laurent: Mais je passe pour quoi moi ?
Betty: T'as fini ? Tu crois pas qu'on a assez de problèmes comme ça ?
Laurent: Et à qui la faute ?
Betty: Ah non, je t'interdis de remettre ça sur le tapis !
Laurent: Et pourquoi ? Alors Madame peut faire n'importe quoi, et je dois tout lui pardonner ?
Betty: Arretes ! Ce n'est pas le moment.
Laurent: Peut-être bien que si, justement. Pourquoi t'es pas rentrée l'autre nuit hein ?
Betty: Ne mets pas ton nez dans mes affaires.
Laurent: Mon nez, j'aimerais bien le mettre dans ton décolleté, mais y'a déjà celui de...
Betty: Tais-toi !
Laurent: Alors on en est là tous les deux hein ? Un vieux couple qui se ment.
Betty: Je ne t'ai jamais menti. Je n'ai pas couché avec lui.
Laurent: Je te crois pas.
Betty: Ecoutes. Nous avons besoin de pub pour le restaurant. Cette émission...
Laurent: Va permettre à ton cher ami de prendre les commandes de MON rêve ! Et ça, je te le pardonne pas !
Betty: C'est pas ce que tu crois... S'il te plait...
Laurent: Y'a plus de s'il te plait.
Betty: Fais pas ça...
Laurent: Tu me dégoutes. (il sort)
 
(noir)


Scène 9

(Vanessa est seule sur le canapé. L’inspecteur arrive.)
L’inspecteur : Où sont les autres ?
Vanessa : Je ne sais pas.
L’inspecteur : Pas grave. Je voulais vous parler.
Vanessa : Ah ?
L’inspecteur : Quels étaient vos rapport avec Antoine ?
Vanessa : Ben…
L’inspecteur : Avant d’entrer ici. Vous habitiez bien le même immeuble, non ?
Vanessa : Comment vous savez ?
L’inspecteur : Je ne peux peut-être pas sortir d’ici, mais j’ai un téléphone.
Vanessa : Ben, on est juste voisins de palier. C’est le hasard.
L’inspecteur : Ça m’étonnerait. Laurent et Betty l’ont eu comme employé. Vous êtes sa voisine de palier. Je ne serais pas étonné que les autres aient aussi un rapport avec lui. Alors, quelles relations entreteniez-vous avec la victime ?
Vanessa : Mais… Aucune. Je vous le jure.
L’inspecteur : Vraiment ?
Vanessa : Mais, enfin quoi ? Vous voudriez que je vous dise quoi ? Qu’on s’envoyait en l’air ? De temps en temps comme ça, « ding, dong, bonjour, entrez, merci, bonsoir » ? Y’avait rien ! On était voisins. Point !
L’inspecteur : Bon. Je note.
Vanessa : C’est tout ce que vous vouliez savoir ?
L’inspecteur : Pour le moment, oui. Connaissez-vous les autres « storeurs » ? Je veux dire, en dehors de cette émission ?
Vanessa : Non, c’était la première fois que je les rencontrais… Sauf peut-être…
L’inspecteur : Oui ?
Vanessa : Maintenant que j’y pense, il me semble avoir déjà vu Julie dans le quartier. Mais je ne saurais pas dire où.
L’inspecteur : Merci.
(L’inspecteur se lève et sort. Alexandre entre. Vanessa ne le voit pas.)
Vanessa : Il me file la chair de poule, ce mec.
Alexandre : Ça, tu peux le dire.
Vanessa (sursautant) : Oh, bon sang ! Tu pourrais prévenir ! J’ai eu une de ces trouilles.
Alexandre : Ce n’est pas de moi qu’il faut avoir peur, mais de lui.
Vanessa : Pourquoi ?
Alexandre : C’est un flic, non ?
Vanessa : T’as peur des flics, toi ?
Alexandre : Je ne les aime pas.
Vanessa : Pourquoi ?
(Sylvie entre et prend part à la conversation.)
Sylvie : Vous causez de qui ?
Alexandre : Pas de toi !
Sylvie : Oh, oh ! Je vois. Je suis de trop. Très bien, je vous laisse…
Alexandre : Merci.
Vanessa (très rapidement) : Ce n’est pas ce que tu crois. On ne fait que discuter.
Alexandre : Ouais. Je me disais aussi.
Sylvie : Non, mais pas de soucis. Je vous laisse. (Elle sort.)
Vanessa : Mais ça va pas de laisser traîner des idées pareilles ?
Alexandre : Quoi ? Je te dégoûte ?
Vanessa : J’ai pas dit ça.
Alexandre (dont la colère monte) : Tu l’as pensé. C’est pire.
Vanessa : Mais non, arrêtes de te faire des idées. T’es parano ou quoi ?
Alexandre : Ben, voyons ! Je suis parano. C’est moi le parano ! Elle t’aurait vu avec ce bellâtre de Quentin, t’aurais rien dit. J’en suis sûr !
Vanessa : Lui ? Mais, c’est n’importe quoi !
Alexandre : Ou Antoine, pareil ! Ah, c’est certain, il doit être moins sexy avec un trou au milieu du front…
Vanessa : Arrête ! T’es horrible ! Je t’interdis de dire ça de lui ! C’était un gentil garçon. Il ne méritait pas ça. Surtout pas après la mort de son père !
Alexandre : Non… Tu le connaissais vraiment ?
Vanessa : On était voisins de palier. T’es content ?
Alexandre : Je… Je suis désolé. Je ne savais pas.
Vanessa (elle se lève) : Avant de dire des conneries et de ne penser qu’à ta… gueule, réfléchis un peu ! (Elle sort. Alexandre se laisse tomber sur le canapé.)
Alexandre : Et merde !
(Gérard entre. Il le regarde quelques secondes.)
Gérard : Tu ne viens pas dans le jardin ? Il fait beau.
Alexandre : Pas envie d’herbe en plastique.
Gérard : Ah… Ça ne va pas ?
Alexandre : Non, ça ne va pas.
Gérard : Qu’est-ce qu’il y a ?
Alexandre : Rien. (Il se lève et sort.)
Gérard : Attends, fais pas la gueule. (Il le suit.)
(La pièce reste vide quelques secondes. L’inspecteur et Dervanche entrent.)
Dervanche : On n’est pas plus avancés.
L’inspecteur : Remarque pertinente.
Dervanche : On fait quoi, monsieur ?
L’inspecteur : On continue, mon ami. On continue à poser les mêmes questions.
Dervanche : J’ai la sensation qu’on va vite tourner en rond.
L’inspecteur : Pas sûr. Pour le moment, ils sont tous un peu déboussolés. Mais dès qu’ils auront pris leurs repères, ils commenceront à se sentir en sécurité. Et alors, les langues se délieront.
Dervanche : Vous croyez vraiment que le meurtrier est l’un d’eux ?
L’inspecteur : J’en suis certain. Tant que j’y pense, demandez le casier judiciaire d’Alexandre. Je suis certain d’avoir vu ce bonhomme quelque part.
Dervanche : Oui, monsieur. J’appelle tout de suite le commissariat.
L’inspecteur : Dervanche ?
Dervanche : Monsieur ?
L’inspecteur : Restez discret, hein ?
Dervanche : Bien sûr, monsieur.
(Les personnages se figent. Le présentateur et Martin entrent.)
Martin : C’est d’enfer ! On réalise une audience de malade. Je te l’avais dit. C’est génial !
Bruno : Si tu le dis.
Martin : J’ai eu une idée de génie ! On en est où des votes ?
Bruno (consultant sa fiche) : Je vais annoncer les votes entre Vanessa et Laurent. Le public a innocenté Betty.
Martin : Parfait, génial ! Cet inspecteur est un vrai génie ! Il se débrouille comme un chef. Tout le monde soupçonne tout le monde. C’est parfait !
Bruno : Si tu le dis.
Martin : Pourtant, il va falloir que ça bouge un peu. Il va falloir une révélation, un truc, là !
Bruno : Ça viendra peut-être. Le problème, c’est qu’on n’entend rien de ce que disent les deux flics.
Martin : C’est très bien ça. Ça fait un peu de mystère. Et surtout, si jamais ils devaient dire des conneries, ça ferait chuter les audiences. Non, il faut que l’un des « storeurs » se mette à parler…
Bruno : Et comment ?
Martin : Hum… Je me suis arrangé pour mettre la main sur le cadavre. On verra. Si jamais on en a besoin, on le fera entrer, avec un drap sur la tête…
Bruno : Le cadavre ? Tu es fou ?
Martin : T’inquiète. Avec un drap, les téléspectateurs ne verront rien. Mais les autres, avec l’odeur et tout… Ça va être géant ! Bon, allez. Direct dans dix secondes !
(Il sort. Le présentateur prend une grande inspiration.)
Bruno : Bonsoir, mesdames et messieurs…
 
(Noir)

Scène 10

(Alexandre est assis, seul en scène. L’inspecteur le rejoint quelques secondes plus tard.)
L’inspecteur : Quelque chose ne va pas ?
Alexandre : Ce jeu est une merde.
L’inspecteur : Pourquoi avoir voulu y participer ?
Alexandre : Parce que.
L’inspecteur : Vous ne m’aimez pas beaucoup, hein ?
Alexandre : Ça se voit tant que ça ?
L’inspecteur : Remarquez, je peux comprendre. Venant d’un ex-taulard…
Alexandre : Alors, vous savez.
L’inspecteur : Et ouais. Un flic, ça sait aussi fouiller dans les poubelles.
Alexandre : Ça nous fait un point commun.
L’inspecteur : Moi, je ne le fais que par nécessité.
Alexandre : Ça fait deux points communs.
L’inspecteur : Alors ?
Alexandre : Alors, quoi ?
L’inspecteur : Pourquoi avoir fait l’émission ?
Alexandre : Pour leur montrer, à eux.
L’inspecteur : Leur montrer quoi ?
Alexandre : Les choses importantes.
L’inspecteur : Comme quoi ?
Alexandre : Vous cherchez quoi, en fait ?
L’inspecteur : Mais simplement à vous connaître.
Alexandre : Vous foutez pas de moi.
L’inspecteur : Vous connaissiez la victime.
Alexandre : Qui ? Antoine ? Non.
L’inspecteur : Oh, que si ! C’est lui qui a témoigné à votre procès. C’est lui que vous avez agressé dans la rue, il y a deux ans.
Alexandre : …
L’inspecteur : Alors ?
Alexandre : Je ne m’en souvenais même pas.
L’inspecteur : Ben voyons.
Alexandre : Bien sûr, vous n’êtes pas obligé de me croire. A l’époque, j’étais une épave imbibée d’alcool. Tout ce dont je me souviens, c’est qu’à mon procès, je pleurais comme un môme. Et puis, y a eu a la cure de désintox, et je suis sorti de taule. J’ai fait tous les jobs possible et imaginable depuis, juste pour ne pas replonger dans la rue. J’étais même prêt à devenir égoutier ou poissonnier. Tous les métiers qui puent, quoi. Si j’avais pu, j’aurais fait huissier !
L’inspecteur : Et votre employeur actuel sait que vous avez fait de la prison ?
Alexandre : Oui. Je ne l’ai jamais caché, à qui que ce soit. Je crois que c’est pas en mentant sur son passé qu’on peut construire le futur.
L’inspecteur : Jolie phrase.
Alexandre : Ça va, c’est bon ! J’ai pas tué ce gars. Et même si j’avais su qui il était, je ne l’aurais pas tué. Parce que, finalement, c’est grâce à lui que je suis là, aujourd’hui. C’est grâce à lui que je suis sorti de la rue.
L’inspecteur : Mouais.
Alexandre : Vous avez le droit de ne pas me croire. Je comprends tout à fait.
L’inspecteur : Hum… Je vais plutôt croire votre juge d’application des peines. Selon lui, vous avez été exemplaire depuis votre sortie de prison.
Alexandre : Vous l’avez vu ?
L’inspecteur : J’ai un truc très sympa qu’on appelle téléphone !
Alexandre : Bah !
L’inspecteur : Je comprends mieux, en tout cas, pourquoi la production vous a engagé pour ce jeu de merde. Ça fait pleurer les ménagères en bigoudis votre histoire…
(Un silence.)
Alexandre : Inspecteur…
L’inspecteur : Oui ?
Alexandre : Je ne sais pas qui a tué ce gosse, mais jamais j’aurais fait ça. Je suis p’tête un taulard, ancien alcoolique, mais je ne suis pas un tueur.
L’inspecteur : Je veux bien vous croire.
(L’inspecteur sort. Alexandre, seul, réfléchit. Vanessa entre. Il s’aperçoit qu’elle est là et lève la tête.)
Vanessa : J’ai tout entendu.
Alexandre : Alors, tu as le droit de me détester aussi.
Vanessa : Tu sais, quand il est rentré… Ce jour-là, c’est moi qui l’ai conduit à l’hôpital.
Alexandre : Ah bon ?
Vanessa : Oui. Il avait quelques bleus, mais c’était pas très grave. Et un bel œil au beurre noir.
Alexandre : Je suis désolé.
Vanessa : Il disait qu’il voulait te faire la peau, que t’étais un alcoolo de merde.
Alexandre : Ah ?
Vanessa : Oui. Et encore, ça c’est la version édulcorée. Il était beaucoup plus grossier.
Alexandre : Je peux comprendre. Et toi ?
Vanessa : Moi ? Moi, quoi ?
Alexandre : Tu dois me détester aussi.
Vanessa : Ne t’attends pas à ce que je te tombe dans les bras. C’est sûr.
Alexandre : Je vois.
Vanessa: Faut dire que ca tombait mal. Il venait de perdre son père. Et puis toi...
Alexandre: C'est pour ça qu'il a voulu le procès...
Vanessa: C'est un alcoolique qui a tué son père, et toi...
Alexandre: J'étais une épave... Le pauvre gosse... Je comprends...
Vanessa: On a beaucoup discuté à l'hopital, c'était vraiment un gentil garçon tu sais...
Alexandre: Je suis vraiment désolé...
(Sylvie entre.)
Sylvie : Encore vous deux ?
Vanessa : Ça ne te regarde pas.
Alexandre : De toute façon, je partais. (Il sort.)
Vanessa : Moi aussi.
Sylvie (à Vanessa) : Attends, faut que je te parle.
Vanessa : Quoi ?
Sylvie : Je dois te parler d’un truc.
Vanessa : Et c’est quoi ?
Sylvie : C’est à propos d’Antoine. Je le connaissais aussi.
Vanessa : Et pourquoi tu me dis ça à moi ?
Sylvie : Parce que ce flic me flanque la trouille. Et son assistant n’est pas mieux.
Vanessa : Et alors ? En quoi ça me regarde ?
Sylvie : Ben, toi tu le connaissais aussi. Alors…
Vanessa : Alors, quoi ?
Sylvie : Alors, ça nous fait un point commun. Tu vois ?
Vanessa : T’es pathétique.
Sylvie : Je sais. Tu crois que ça m’amuse ? Quand j’ai signé, ils m’ont dit : « tu seras notre reine du bal »… Bandes de cons, oui !
Vanessa : Ils voulaient une paumée.
Sylvie : Hein ?
Vanessa : Regarde-toi ! T’es pathétique. Je suis certaine que t’as jamais jouée dans quoi que ce soit !
Sylvie : Et ça t’amuse, hein ? Madame et ses diplômes, ce n’est pas mieux. Tu cherches encore du boulot, je crois, non ?
Vanessa : C’est bon ? T’as fini ?
Sylvie : Tu crois quoi ? On a tous signé, alors faut aller jusqu’au bout, même si ça dérape. Je ne veux pas finir comme…
Vanessa : Comme Alexandre ? Hein ? Tu sais qu’il a un vrai travail lui, et qu’il gagne sa vie ?
Sylvie : Mais ce n’est pas ça que je veux, moi. Je veux être riche et célèbre. Moi, je veux la gloire. Je la mérite !
Vanessa : Ah bon ? Et pourquoi ?
Sylvie : T’imagine pas à quel point j’ai dégusté pour en arriver là !
Vanessa : Laisse-moi deviner… Tu t’es tapé tout ce qui a une queue dans le show-biz ?
Sylvie : … T’es immonde.
Vanessa : C’est toi qui es immonde. Regarde-toi ! Tu n’as qu'une vitrine de vie. Et tu crois que ça va te permettre de devenir ce que tu veux ? Mais qu’est-ce que tu veux ?
Sylvie : T’es sourde ou quoi ?
Vanessa : Et après ? Elle sera où, ta vie, hein ? Entre les rails de coke et les soirées VIP ?
Sylvie : Tout de suite, les clichés.
Vanessa : Mais t’es un cliché à toi toute seule. Alors, te plains pas !
(Vanessa sort. Sylvie reste sans rien dire. Elle craque et se met à pleurer. La scène se fige. Le présentateur entre.) 
Bruno : Nous sommes en plein suspens, chers téléspectateurs. Alors, c’est à vous de voter ! Qui de Sylvie, ou d’Alexandre, sera votre suspect numéro un aujourd’hui ? C’est à vous de juger ! Votez au « trente-six trois cent cinquante-trois ». Et n’oubliez pas, vous avez innocenté Laurent ! Donc, le prochain vote sera soit entre Alexandre et Vanessa, soit entre Sylvie et Vanessa. C’est à vous de juger !
 
(noir)
 
 Scène 11

(Le présentateur entre. Il est seul.)
Bruno : Chers téléspectateurs, bonsoir et bienvenue pour ce second prime. En ce début de deuxième semaine, je me trouve en ce moment même dans le loft de « Nice Story ». Les « storeurs » attendent dans le jardin. Après cette première semaine d’enquête, vos votes sont sans équivoque. C’est Alexandre qui est suspect, pour cette première semaine seulement. Il devra donc subir un interrogatoire. Chaque candidat devra lui poser une question et il devra y répondre. Je vais donc demander aux « storeurs » de venir me rejoindre. (Il tourne la tête. Les « storeurs » entrent.) Alexandre, vous allez prendre place dans ce fauteuil. Et chacun votre tour, vous allez lui poser une question. Vous êtes prêts ?
(Les « storeurs » prennent place. L’inspecteur et Dervanche se mettent dans le fond. Ils discutent entre eux, personne ne les entends.)
Bruno : C’est parti !
Gérard : C’est toi qui as tué Antoine ?
Alexandre : Non.
Sylvie : Pourquoi t’étais SDF ?
Alexandre : Parce que.
Bruno : Il va vous falloir être un peu plus loquace, Alexandre, si vous ne voulez plus être suspect.
Alexandre : Bof.
Vanessa : Ça a été dur de t’en sortir ?
Alexandre (il la regarde intensément) : Oui, ça a été dur. Je me suis battu contre moi-même, et contre l’alcool. J’en suis fier aujourd’hui.
Sylvie : C’est contagieux ?
Alexandre : Quoi donc ?
Sylvie : Devenir sdf ?
Alexandre : Il n’y a que la connerie qui soit contagieuse.
Bruno : Je vous en prie. Les questions doivent avoir un rapport seulement avec l’enquête…
L’inspecteur : L’enquête, hein ? Je vais vous dire, moi, où elle en est l’enquête. Il se trouve qu’Alexandre connaissait la victime. Il lui avait cassé la figure deux ans auparavant. Il se trouve aussi que Vanessa connaissait la victime. Ils étaient voisins de palier. Il se trouve aussi que Laurent et Betty connaissaient la victime. Il a travaillé chez eux, en tant que plongeur. Et il se trouve aussi que Sylvie connaissait la victime, étant donné qu’ils se sont croisés sur un plateau de tournage. Il nous reste donc à trouver le lien qui relie Gérard à Antoine, Julie à Antoine, Tiphaine à Antoine, Quentin à Antoine.
Bruno (qui ne sait plus où il en est) : Euh… Merci monsieur l’inspecteur… Nous… pouvons continuer…
(Le producteur entre dans le loft, furieux.)
Martin (à l’inspecteur) : C’est quoi, votre problème à vous ? On a dû interrompre le direct ! Vous voulez tout foutre en l’air ou quoi ? Qu’est-ce qui vous prend de mettre votre nez dans l’interrogatoire ? On vous avait dit de la fermer !
L’inspecteur : Je fais mon travail. Mais ça ne doit pas vous parler, ça, le travail.
Martin : Vous êtes en train de plomber l’émission !
L’inspecteur : Faîtes-moi sortir alors !
Martin : Ah, je vois. N’y comptez pas ! Vous resterez jusqu’à la fin ! Et si vous me plombez, je vous plombe ! C’est clair ?
L’inspecteur : Si vous me plombez, je vous plombe aussi, et dans le sens réel du terme. C’est clair ? (Il caresse ses côtes. On devine qu’il est armé.)
Martin (mal à l’aise) : On reprend ! Et pas de conneries ! (Il sort.)
Bruno : Excusez-nous pour cette interruption momentanée de nos programmes. L’inspecteur était donc en train de nous faire un topo de l’avancée de l’enquête. Vous disiez, inspecteur ?
L’inspecteur (avec un large sourire) : Je disais que nous ne sommes pas plus avancés. Il nous faut le vote des téléspectateurs.
Bruno : Et bien, merci à vous. C’est maintenant à vous, chers téléspectateurs, de voter au « trente-six trois cent cinquante-trois » pour désigner le prochain suspect. A vous les studios et bonne soirée. (Il sort.)
L’inspecteur : Bien. Maintenant qu’on a fini avec cette connerie, je voudrais vous poser une question à tous. Pourquoi avez-vous signé pour ce jeu ?
Gérard : On me l’a proposé.
Sylvie : Moi aussi.
Julie : Moi aussi. Et j’avais rien demandé.
Tiphaine : Moi non plus.
L’inspecteur : Donc personne n’avait fait le casting de l’émission ? (Tous acquiescent.)
Alexandre : Pas étonnant. Avec des audiences en berne, personne ne voulait plus le faire, ce jeu.
L’inspecteur : Donc… Ce crime tombe à point nommé. C’est pour le producteur que c’est une aubaine… (Son téléphone sonne.) Allo ?… Quoi ?… Et ?… Mais je m’en fous… Oui Monsieur le commissaire… Bien, monsieur le commissaire… (Il raccroche.)
Dervanche : Alors ?
L’inspecteur : Alors… Le commissaire a dit : «  la suite la prochaine fois ». Il faut faire de l’audience.
 
(Noir.)

Scène 12

(L’inspecteur, au téléphone, tourne en rond dans la pièce.)
L’inspecteur : Monsieur le commissaire, tout ce que vous risquez, c’est une grosse pagaille. Je vous préviens, je… Et pourquoi pas ? Vous savez que la police des polices ne va pas apprécier… Je vois… Parfaitement, monsieur le commissaire… Au revoir…
(Dervanche arrive)
Dervanche : Monsieur ? Quelque chose ne va pas ?
L’inspecteur : Mon vieux, nous voilà dans de beaux draps. On va se retrouver à la circulation.
Dervanche : Pourquoi ?
L’inspecteur : Nous sommes de mauvais bouffons. Voilà pourquoi.
Dervanche : Monsieur, il faut qu’on trouve ce qui s’est passé ici, et au plus vite.
L’inspecteur : Vous ne croyez pas que je le sais déjà ?
Dervanche : On peut nous entendre là ?
L’inspecteur : Non. Nous sommes les seuls à… Attendez un peu…
Dervanche : Quoi ?
L’inspecteur : Suivez-moi. Je crois que j’ai compris ce qui s’est passé !
Dervanche : Hein ?
(Ils sortent. On les entend en off.)
L’inspecteur : Quelle est la seule pièce qui n’a ni micro, ni caméra ?
Dervanche : Les toilettes, bien sûr !
L’inspecteur : Exact. C’est donc d’ici que le meurtre a eu lieu.
Dervanche : Mais monsieur, la chambre est à l’autre bout du couloir ! Ça ne tient pas debout !
L’inspecteur : Et en passant par le faux plafond ?
Dervanche : Il est assez solide ?
L’inspecteur : Évidemment, il est fixé sur les tringles de projecteurs.
Dervanche : Les rampes, monsieur.
L’inspecteur : Faîtes-moi la courte échelle, au lieu de faire étalage de votre science !
Dervanche : Oui, monsieur.
(Vanessa entre, suivie d’Alexandre.)
Vanessa : Mais, qu’est-ce qu’ils font ?
Alexandre : Je n’en sais rien. J’ai cru voir le flic grimper dans le faux plafond.
Vanessa : Alors ça, c’est bizarre.
Sylvie (arrivant du jardin) : Vous êtes devenus inséparables tous les deux. Qu’est-ce que vous faîtes ?
Vanessa : Les flics sont dans le faux plafond.
Alexandre : On ne sait pas trop ce qu’ils fabriquent.
Gérard (entrant) : Qu’est-ce qui se passe ?
Sylvie : Les flics sont dans le faux plafond.
Gérard : Ah bon ? Ils font quoi ?
Vanessa : On ne sait pas.
Laurent (entrant) : Qu’est-ce qui se passe ?
Gérard : Les flics refont le plafond.
Laurent : Hein ?
Gérard : Ils sont dans le faux plafond.
Laurent : Ben, qu’est-ce qu’ils font ?
Gérard et Alexandre : On ne sait pas !
Julie (entrant) : Dîtes, vous venez dans le jardin ou quoi ? Qu’est-ce qui se passe ?
Laurent : Les flics sont dans le plafond.
Julie : Et ils font quoi ?
Vanessa et Sylvie : On ne sait pas.
Betty (entrant) : Hé ! Ho ! Les gens… Qu’est-ce vous faîtes tous là ?
Julie : Il parait que les flics sont dans le plafond.
Betty : Et ils font quoi ?
Les autres : On ne sait pas !
Tiphaine : Dîtes…
Les autres : On ne sait pas !!!
Tiphaine : Mais qu’est-ce qui vous prend ?
Sylvie : On ne sait pas ce que les flics font dans le plafond.
Tiphaine : Quoi ? Mais quel plafond ?
Dervanche (off) : Alors Monsieur ?
L’inspecteur : J’ai compris, Dervanche. Appelez-moi les hamsters !
Dervanche : (apparait) Euh… Je crois qu’ils sont tous là, monsieur. (il ressort)
L’inspecteur : Parfait. Aidez-moi. (L’inspecteur et Dervanche réapparaissent. Les « storeurs » s’écartent.) Parfait. Puisque vous êtes tous là, je voudrais vous révéler comment l’assassin a fait pour tuer le dénommé Antoine Merieu. Assis tout le monde. (Tous vont s’asseoir.) Parfait. Notre assassin, donc, est passé par le faux plafond, depuis les toilettes jusqu'à la chambre. Puis, il a tiré sur la victime depuis le plafond. Il est ensuite revenu dans les toilettes pour aller tranquillement se coucher.
Gérard : Mais… On aurait entendu le coup de feu ?
L’inspecteur : Pas avec le silencieux. Il ne nous reste plus qu’à revoir les vidéos pour savoir qui a été aux toilettes pendant la nuit du crime, et suffisamment longtemps pour commettre ce crime.
Alexandre : Nous avons tous été aux chiottes. Ça ne prouve rien.
L’inspecteur : On en saura plus quand on aura l’heure de la mort.
Dervanche (prenant l’inspecteur à part) : Monsieur, on n’a plus le cadavre. On ne l’a toujours pas retrouvé.
L’inspecteur (bas) : Je sais bien. Mais eux, ne le savent pas ! Sortez de ce loft, trouvez les bandes et notez qui est allé aux chiottes cette nuit là. Et trouvez aussi à qui appartient l’arme du crime.
Dervanche : Oui, monsieur.
L’inspecteur (aux « storeurs ») : Bien, mon adjoint va maintenant sortir du loft pour obtenir les dernières informations qui nous manquent. Quand il reviendra, nous saurons qui est l’assassin. Personne n’a toujours rien à dire ? (Silence pesant.) Parfait. Dervanche, sortez.
(La scène se fige. Le présentateur apparaît en pleine lumière.)
Bruno : Chers téléspectateurs, le suspens est insoutenable. Nous arrivons à la fin de la deuxième semaine et voilà que nous avons compris le mode opératoire du meurtrier ! Il s’agit à présent, pour vous, de voter pour le suspect qui passera l’interrogatoire de fin de semaine. A vos portables, par sms au « trente-six trois cent cinquante-trois ». Envoyez « un » pour Gérard, « deux » pour Julie, « trois » pour Vanessa, « quatre » pour Laurent, « cinq » pour Betty, « six » pour Tiphaine, « sept » pour Alexandre et « huit » pour Sylvie. On se retrouve demain pour de nouvelles aventures.
 
(Noir)

Scène 13
 
(Tiphaine et Gérard sont en train de discuter sur le canapé, nerveux.)
Gérard : Je ne sais pas ce qu’il cherche cet inspecteur, mais je n’aime pas ça.
Tiphaine : Il est persuadé que nous avons un rapport avec cet Antoine.
Gérard : Je n’en ai aucun. Je le jure.
Tiphaine :… Je… Moi non plus…
Gérard : Tu n’en es pas sûre ?
Tiphaine : C’est que… Maintenant, je me pose des questions. Peut-être que je l’ai déjà vu quelque part. Je ne sais pas…
Gérard : Et alors ! Même si tu l’avais croisé dans la rue, ça ne te donne aucune raison de vouloir le dessouder !
Tiphaine : Non, bien sûr… Mais… (Elle se tourne vers lui, confidente.) La production m’a appelée pour me dire qu’ils voulaient absolument que je vienne, et qu’ils me faisaient un contrat avantageux.
Gérard : Et ?
Tiphaine : En ce moment, avec mon mari, nous sommes un peu dans le rouge. Initialement, il devait venir. Mais au dernier moment, il a refusé… Quand la production nous a appelés, et promis un contrat juteux… Alors…. Pour ne pas perdre l’argent…
Gérard : Ça ne devait pas être toi ?
Tiphaine : Non.
Gérard : Pourquoi il n’a pas voulu venir ?
Tiphaine : Il ne m’a pas dit. C’est un homme très discret, tu sais. Je ne sais pas toujours ce qu’il fait. Il a juste dit que c’était un jeu de merde. Et c’est tout.
Gérard : Et ton mari, il connaissait Antoine ?
Tiphaine : Je ne crois pas. Je ne vois pas où il aurait pu le rencontrer…
(Julie entre.)
Julie : Dans une boîte gay, tiens !
Tiphaine (surprise) : Pardon ?
Julie : Ton mec, il a dû rencontrer Antoine dans une boîte gay. Antoine était bi. Je le sais, je l’ai plaqué quand il est sorti avec Quentin.
Gérard : Quoi ? C’est fou ! Alors, toi aussi tu le connaissais ?
Julie : Oh, pas beaucoup. On est sorti ensemble deux semaines. Ça ne compte pas.
Tiphaine : Mon mari n’est pas homo. Enfin, ce serait fou !
Julie : Pourquoi il n’a pas voulu venir alors ?
Tiphaine : Mais… Je ne sais pas. Il n’a pas voulu, c’est tout.
Gérard : Il fait quoi, ton mari ?
Tiphaine : Il travaille dans une boîte de production.
Julie : Antoine était un intermittent. Il faisait beaucoup de plateau de tournage.
Tiphaine : C’est impossible. Il doit y avoir une autre explication.
Gérard : C’est vrai. Et puis, de toute façon, ça ne donne pas de raisons valables de tuer ce gars. Comme je disais, je ne comprends pas pourquoi il s’acharne à vouloir trouver des liens entre lui et nous.
Julie : Parce que ça donnerait un mobile, tiens. Banane !
Gérard : Hé, tu ne me parles pas comme ça.
Julie : Ouh là ! Ok, c’est bon…
Gérard : Non, c’est pas bon. Tu parles pas comme ça aux gens. Elle t’a appris quoi, ta mère ?!
Julie : Hé ! Tu te crois où, là ?
Gérard : Non ! Toi, tu te crois où, petite conne ?
Tiphaine : Arrêtez ! Ça ne sert à rien !
Gérard : Toi, tu restes en dehors de ça !
Tiphaine : Mais, calme-toi enfin !
Gérard : Vos gueules ! Personne ne me donne d’ordre !
(Alexandre entre.)
Alexandre : Qu’est-ce qui se passe ?
Tiphaine : Je ne sais pas…
Gérard : Toi, tu me fous la paix !
Alexandre : Qu’est-ce j’ai dit ?
Gérard : Oh, ça va ! Tu crois que je ne te vois pas venir, avec tes grands airs, espèce de clodo !
Alexandre : Quoi ? (Il lui fonce dessus. Les deux hommes s’empoignent, prêts à se battre. L’inspecteur entre)
L’inspecteur : C’est bientôt fini vos conneries ? Arrêtez tout de suite ! C’est un ordre ! (Il les sépare.)
L’inspecteur : Alors, c’est bon ? Vous êtes calmés ?
Alexandre : C’est lui qui pète les plombs !
Gérard : Ta gueule !
Alexandre : Vous voyez !
L’inspecteur : Ça suffit ! Gérard, allez vous calmez ailleurs ! Allez ! (Gérard sort.) D’ailleurs, je crois que vous devriez tous en faire autant. Allez, chacun dans son coin. (Tous quittent la pièce, en direction des chambres. L’inspecteur reste seul. Il réfléchit un instant et sourit.) Ça devient intéressant. Ils sont tous sur les nerfs. On va finir par y arriver.

(Noir)

Scène 14

(Vanessa et Alexandre, seuls.)
Vanessa : C’est vrai, il n’aurait pas dû s’énerver. Et je ne sais pas pourquoi il a pété les plombs comme ça. Mais on est tous sous pression. Essaie de comprendre.
Alexandre : Je ne veux pas comprendre. Il n’avait pas à m’insulter comme ça. Il n’avait pas le droit ! Je ne lui ai rien fait, moi !
Vanessa : Allez, calme-toi. T’es si calme d’habitude.
Alexandre : Je sais, mais là… Merde, jusqu'à quand je vais traîner ça, moi ?
Vanessa : Traîner quoi ?
Alexandre : Mon passé.
Vanessa : Mais, on s’en fout de ton passé. Ce n’est pas ça qui…
Alexandre : Non, on ne s’en fout pas. Eux, ils ne s’en foutent pas ! Tu crois que je ne vois pas ? Soupçonné depuis le début, juste parce que j’étais un SDF ! Ces chers crétins de téléspectateurs ont décidé que j’étais le coupable idéal !
Vanessa : Arrête, dis pas ça… C’est idiot.
Alexandre : Je suis parano, c’est ça ?
Vanessa : Non… C’est juste… (Elle baisse la voix.) Ils sont tous persuadé que c’est un jeu. Pour eux, il n’y a pas eu de mort !
Alexandre : Je sais bien. Et c’est ça qui me rend dingue. (Il se tourne face au public.) Vous n’êtes qu’une bande de cons ! Vous croyez tout ce qu’on vous dit. Et tout ce qui vous importe, c’est de gagner du pognon ! Bordel ! Il y a eu un mort ici, un vrai mort ! Avec du vrai sang !
Vanessa : Arrête, ça ne sert à rien. Ils couperont au montage !
Alexandre : Et le canal internet alors ! Ils me verront eux !
Vanessa : Je ne crois pas. A leur place, je l’aurais coupé le canal internet, justement pour contrôler tout ça.
Alexandre : Tu…. Tu crois ?
(Martin entre.)
Martin : Évidemment, tu crois quoi ? Le canal internet est retransmis avec quelques secondes de retard. C’est assez pour laisser le temps à nos monteurs de faire les coupes. Quand à la chaine télé, elle aussi est contrôlée ! Tu ne penses quand même pas qu’on va laisser un pequenot nous faire perdre des millions !
Alexandre : Vous ? Mais ?
Martin : On fait ce qu’on veut avec du direct de nos jours. On a des monteurs très doués, et très bien payés !
Vanessa : Alors… Vous racontez ce que vous voulez, hein ?
Martin : Et alors ?
L’inspecteur (entrant) : Et alors ? Alors ce qui vous pend au nez, c’est une grosse emmerde ! Dissimulation de preuves, entrave à une enquête criminelle… Ça va chercher loin.
Martin : Me faîtes pas rire ! J’ai votre commissaire dans la poche.
L’inspecteur : Que faîtes-vous ici ?
Martin : Je suis venu dire à ce naze de fermer sa gueule, s’il veut sa part du magot.
L’inspecteur : Quel magot ?
Alexandre (un temps. Puis, le regard fixé sur Martin) : Moi aussi, j’ai signé un contrat juteux. Comme tout le monde ici, n’est-ce pas ?
Vanessa : Oui… On m’a promis gros.
Martin : Et vous l’aurez si vous jouez le jeu. Quant à vous, inspecteur à la con, j’ai mis trop de fric dans cette émission. Alors, vous laissez faire le jeu, compris ? Vous n’êtes qu’un faire-valoir !
L’inspecteur : Et vous, vous n’êtes qu’une ordure.
Martin : Je sais, mais ça me donne l’avantage des armes. Je n’ai aucun scrupule à vous descendre.
L’inspecteur : Tant que je vous tiens, vous avez un parfait mobile pour tuer ce gars.
Martin (explosant de rire) : Vous savez, si j’avais su que ça ferait péter les audiences comme ça, je n’aurais pas hésité une seconde à le descendre moi-même. Heureusement, je n’ai pas de sang sur les mains. Je veux bien passer pour une ordure, j’assume. D’ailleurs, qui ne veut pas de fric dans ce monde ? Hein ? Alors, avec votre morale, vous pouvez allez vous faire voir. Moi, tout ce que je veux, c’est récupérer mon fric. Pensez ce que vous voulez, je suis innocent. Je suis peut-être un sale type, mais pas un assassin. (Il sort.)
L’inspecteur : Ça nous fait un suspect de moins.
Alexandre : Et pourquoi ?
L’inspecteur : Il est sincère. Il ne m’aurait pas ri au nez si ce n’était pas le cas.
Vanessa : Il cache peut-être son jeu ?
L’inspecteur : Possible, mais peu probable. Etant donné qu’il contrôle toutes les images, il aurait très bien pu le descendre sans le moindre problème, et nous n’aurions jamais rien su.
Alexandre : Et qui vous dit qu’il ne l’a pas fait ?
L’inspecteur : Il s’en est vanté devant moi, à l’instant. Appelez cela l’instinct du flic, si ça vous fait plaisir. Au fait, c’est quoi ce contrat que vous avez signé ?
Alexandre (gêné) : Si je gagne, c’est la célébrité, et un bouquin sur mon histoire.
L’inspecteur : Je vois. Il n’est pas aussi modeste que cela, l’ancien pauvre !
Alexandre : Faut croire.
Vanessa : Et toi qui critiquait Quentin.
Alexandre : Et toi, t’as signé pour quoi ?
Vanessa : Et bien…
L’inspecteur : Tiens donc ! Alors le panier de crabe s’élargit, n’est-ce pas ?
Vanessa : Ils m’ont juste promis un gros chèque, en cas de victoire. C’est tout.
Alexandre : Et la célébrité aussi.
Sylvie (entrant) : Qu’est-ce qui se passe ?
L’inspecteur : Vous voilà, vous. Vous avez signé un gros contrat pour ce jeu, non ?
Sylvie : Euh… Juste le cachet du jeu…
L’inspecteur : Et ?
Sylvie : Et un rôle dans leur prochaine production.
L’inspecteur : Je vois. Que tout le monde vienne s’asseoir ici !
 
(Noir)

Scène 15

(«Les « storeurs » sont tous assis dans le canapé. L’inspecteur les toise du regard.)
L’inspecteur : Vous vous êtes tous bien foutu de ma gueule depuis le début, n’est-ce pas ? Vous connaissiez tous Antoine Merieu. Et tous, vous aviez une raison de vouloir sa mort.
(Tous se récrient.)
Sylvie : Sûrement pas !
Gérard : Je ne vois pas pourquoi !
Laurent et Betty : Ben non !
L’inspecteur : Silence ! Dès le moment où vous avez signé ce contrat, vous avez tous un mobile, les promesses faites par la production !
Alexandre : C’est totalement idiot. Avec un mort, le jeu s’arrêtait. Pas de jeu, pas d’argent !
L’inspecteur : Mouais… (Il réfléchit profondément.)
Gérard : La vérité, c’est que vous êtes paumé surtout ! Vous bluffez !
L’inspecteur : Vous feriez mieux d’éviter de la ramener, vous ! Je vous signale que vous n’avez toujours pas avoué ce qui vous lie avec le mort.
Gérard : Mais, rien du tout ! Je n’ai rien à voir avec ce type, moi !
L’inspecteur : Ça m’étonnerait ! Tout le monde ici à un point commun avec lui !
Tiphaine : Moi, je n’en ai pas non plus. A l’origine, c’est mon mari qui devait venir.
L’inspecteur : Et vous me dîtes ça que maintenant ?
Tiphaine : C’est que… Je ne vois pas non plus ce que mon mari avait à voir avec cet Antoine. On ne le connaissait pas du tout, c’est juré !
L’inspecteur : Qu’est-ce que vous a promis la production ?
Tiphaine : Un gros chèque.
L’inspecteur : C’est pareil pour tout le monde, j’imagine ?
Gérard : Bien sûr ! C’est normal, c’est comme ça que ça se passe. Et sinon, qui accepterait de faire ces émissions ? Pas moi en tout cas.
Julie : Moi, c’est Antoine qui m’avait contactée. Ils recherchaient un dixième candidat.
L’inspecteur : Antoine ? Il connaissait la production ?
Julie : Bien sûr, il était maquilleur chez eux.
L’inspecteur : Tiens donc. Ceci explique tout. Il est donc probable que ce soit Antoine qui vous ait sélectionnés.
Alexandre : Mais… Pourquoi ? Je veux dire… Je lui ai quand même cassé la figure, je ne vois pas pourquoi il aurait voulu…
L’inspecteur : Par vengeance. Julie et Quentin sont deux de ses ex. Alexandre, vous lui avez cassé la figure. Sylvie, vous l’avez croisé sur un plateau de tournage. Laurent et Betty, vous avez été ses patrons. Tiphaine, c’est un mystère…
Julie : Son mari, ça devait être lui au départ. Je suis certaine qu’il l’a rencontré dans une boîte gay. Il est…
Tiphaine : Ça ne peut pas être ça !
L’inspecteur (se plantant devant Julie) : Ne me coupez plus jamais la parole ! Compris ?
Julie (baissant la tête) : Oui.
L’inspecteur : Je disais donc, en ce qui concerne Tiphaine, ou son mari, c’est un mystère. Mais il est certain qu’il y a un lien. Vanessa est sa voisine de palier. Et Gérard, c’est aussi un mystère.
Tiphaine : Je jure que je n’ai rien à voir avec ce type.
L’inspecteur : Et moi, je trouve que vous vous défendez bien vite.
Gérard : Et quand bien même on connaitrait ce type, est-ce que c’est une raison de vouloir le descendre ?
L’inspecteur : Peut-être… (Son téléphone sonne.) Allo ?… Je vois… Merci Dervanche, revenez ici au plus vite. (Il raccroche, et fixe Gérard.) Nous avons notre coupable. Et tant qu’à faire, nous aurons les conclusions de l’enquête quand mon adjoint nous aura rejoint. A savoir, demain.
(Tous se regardent, inquiets. L’inspecteur demeure souriant. Noir.)

Scène 16

(Les « storeurs » sont tous assis. L’inspecteur et Dervanche les regardent.)
Dervanche : Ma petite sortie de ce loft a été instructive, et ce, malgré les réticences du commissaire. Je suis parvenu à obtenir les informations…
L’inspecteur : Abrégez Dervanche ! On n’est pas là pour faire dans le tragi-comique !
Dervanche : Oui, monsieur. Donc l’arme du crime appartient à Gérard Cerzac.
Gérard : Quoi ? Mais… C’est impossible…
Dervanche : Si. Elle était enregistrée à votre nom.
Gérard : Non, on me l’a volée, il y a six mois… (Il panique.) Vérifiez ! Allez, faîtes-le ! J’ai fait une déclaration de vol !
L’inspecteur : Dervanche a déjà vérifié. C’est facile de faire une déclaration de vol.
Gérard : Mais… C’est pas moi, je vous jure…
L’inspecteur : Pourtant, vous aviez aussi un mobile…
Dervanche : En effet, il y a deux ans, vous avez eu un accident de voiture. Il y a eu un mort, le père d’Antoine Merieu…
Gérard : Ce n’est pas possible… Je… (Blême) C’était un accident…
L’inspecteur : Vous aviez deux grammes d’alcool dans le sang.
Gérard : Non ! Je… Le juge a dit…
Dervanche : Vous avez été déclaré coupable, bien qu’en dépression nerveuse au moment des faits. De plus, vous avez demandé une cure de désintoxication…
L’inspecteur : Le juge a été clément : « deux ans avec sursis et obligation de se faire soigner ». C’était sans compter sur son fils.
Gérard : Mais je…
L’inspecteur : De plus, vous êtes resté une bonne vingtaine de minutes dans les toilettes le soir du crime. Suffisamment longtemps pour monter dans le faux plafond, et pour le tuer.
Gérard : Mais non… (Tout le monde le fixe, il est totalement paniqué.)
L’inspecteur : Gérard Cerzac, je vous arrête pour le meurtre d’Antoine Merieu.
(Gérard se lève. L’inspecteur lui passe les menottes.) 
Gérard (hébété) : Non, ce… Ce n’est pas moi…
(Les autres « storeurs » sont sous le choc. Ils ont du mal à réaliser.)
Sylvie : Il est vraiment mort alors, Antoine ?
L’inspecteur : Vous en avez mis un temps à percuter !
(On entend une clameur venant du jardin.)
L’inspecteur : Qu’est-ce qui se passe ?
Dervanche : Je vais voir. (Il sort du loft quelques secondes. Pendant ce temps, le temps est comme figé. Les « storeurs » ne savent que faire. Ils fixent Gérard sans comprendre. Gérard, le regard dans le vide, répète sans arrêt, à peine audible : « ce n’est pas moi ». Dervanche revient, essoufflé.)
Dervanche : Cet abruti de producteur a laissé filer toute la scène.
Gérard (blême) : Ils ont tout vu ?
Dervanche : Oui. Il n’a rien fait couper !
L’inspecteur (cynique) : Ça alors, je ne m’y attendais pas ! L’appât du gain…
Dervanche : Sauf votre respect, monsieur, ce n’est pas le moment de verser dans le cynisme. Dehors, ça chauffe !
Martin (entrant en coup de vent) : Ils ont pris le studio d’assaut ! Il faut les stopper !
L’inspecteur : Et comment ?
Martin : Vous êtes flic ! Faites-les sortir !
L’inspecteur : Je suis flic, pas fou ! Ils sont combien dehors ?
Martin : Je ne sais pas. Ils sont hystériques, ils hurlent…

(Noir. On entend un énorme fracas. Rideau.)

(Un long temps. On entend une musique. Le rideau se lève sur le décor désormais dans un état lamentable. Au milieu, le présentateur, calme, s’adresse au public.)
Bruno : Vous vous demandez ce qui s’est passé, hein ? C’est simple. La foule a envahi le studio. Le dénommé Gérard s’est fait lyncher. Le public est devenu juge et parti. Et vous, cher public ? Pensiez-vous que Gérard était coupable ? Il est temps de voter :

(Lumière dans la salle, le présentateur s’anime.)
Bruno : C’est à vous, à présent. Oui, à vous, chers spectateurs, de voter. Vous allez lever la main, ceux qui croient que Gérard est coupable… (Vote) Levez la main maintenant, ceux qui pensent qu’il est innocent… (Vote) Vous avez donc décidé… qu’il est : (selon vote)
- innocent
- coupable
Et vous aviez :
- raison
- tort
Voici ce qui s’est passé, peu de temps après, sur un plateau de tournage :

(Noir. Tombée de rideau)

Scène 17

(Le rideau s'ouvre sur une loge. Entre Dervanche. il attend quelqu'un. Quelques secondes plus tard, Antoine entre. les deux hommes se serrent dans les bras)

Dervanche: Alors, tu aimes ta nouvelle vie ?
Antoine: Ca va. Ca se passe bien. Et toi ?
Dervanche: Personne ne me soupsonne, donc, tout va bien.
Antoine: On a réussi alors.
Dervanche: Oui. Tu as réussi.
Antoine: Sans toi pour me faire sortir du loft, j'étais grillé.
Dervanche: Tu sais, on vérifie rarement qu'un mec avec une balle dans la tête soit mort ! T'es doué pour le maquillage !
Antoine: Le plus dur, c'était de faire tenir la perruque sur le maquillage, sans que ca fonde avec les projecteurs.
Dervanche: Tu m'as fait flipper avec ta perruque, j'ai cru que c'était foutu ! Heureusement que les hommes de main du producteur se sont pointés en même temps, on a pu les cuisiner un peu. ca a occupé les collègues.
Antoine: Désolé, la précipitation... J'étouffais dans le sac.
Dervanche: Ouais... Par contre, comment tu savais qu'il irait aux toilettes avant de d'aller se coucher ? 
Antoine: Ben ca, tout le monde va pisser au moins une fois par jour, et puis, le somnifère a fait le reste.
Dervanche: Pas con... Dangereux, mais pas con. Bon. Je dois filer. On m'attend.
Antoine: On se reverra ?
Dervanche: Non mon chou ! un pédé chez les flics, ca fait déjà pas bonne impression, alors un flic pédé qui sort avec un meurtrier...
Antoine: Techniquement, j'ai pas tué Gérard.
Dervanche: C'est vrai. Mais avoue que cette vengeance te fait du bien ?
Antoine: J'en sais rien... Je devrais, mais... J'arrive pas...
Dervanche: T'en fais pas... Ca passera, avec le temps...
Antoine: J'espère. Dis ?
Dervanche: Oui ?
Antoine: T'es un mec bien tu sais ?
Dervanche: Tu dis ca parce que j'ai menti, triché, et aidé un homme à venger son père, à se faire justice soi-même, et ce en dépit du serment de flic que j'ai prété ?
Antoine: Oui.
Dervanche: T'es un bel enfoiré.
Antoine: Merci.
Dervanche: Bon. Je file. Salut.
Antoine: Salut.

(Dervanche sort, Antoine est seul, il s’assoit. Il lève le regard vers le public.)
Antoine : Ça vous étonne ? Et non, je ne suis pas mort. Je ne suis jamais mort. J’ai profité de l’apparition des sbires du producteur pour détaler. J’ai cru que j’étais cuit quand j’ai perdu cette perruque. Il fait froid dans une morgue, vous savez. En tout cas, j’ai eu froid. Vous voudriez savoir hein ? Comment et pourquoi ? Pourquoi, vous le savez déjà. Ce sale type a tué mon père, et je voulais qu’il paie. Les autres, oh, ben, ça m’amusait. Surtout, le producteur ne trouvait plus personne. Alors, quand je suis venu lui proposer ma liste, il a dit « oui » tout de suite, sans se poser de questions. La suite, c’est simple. Quelques gouttes de somnifère dans son verre, avec ce faux doigt, assez pour qu’il somnole aux chiottes. J’ai envoyé l’arme dans le faux plafond, prétextant un passage aux toilettes. Vous avez remarqué qu’ils n’ont pas retrouvé de silencieux ? Ça n’a pas eu l’air de choquer le flic. Ensuite, vous savez tout. Je ne pouvais pas laisser ce crime impuni. Vous comprenez ? Je devais venger mon père. (Il sort une photo et la regarde longtemps.) Je devais le faire… Et pourtant… Je ne me sens pas mieux, c’est étrange. J’ai ruminé tout ce temps, tout ce temps à préparer ma vengeance. Il n’y avait plus que ça qui comptait. Et maintenant… Je ne sens pas mieux. Je me sens vide… Je ne comprends pas… Ça devrait aller mieux… Pourquoi ? (Tête baissée. Un temps. Il relève la tête. Il a du mal à contenir ses larmes mais veut cependant rester digne.) J’ai tout fait… Tout… Pour oublier… Mais je ne peux pas… Je suis désolé papa… Je ne peux pas lui pardonner…
 
(Noir)

FIN

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