Nocturne : le procès des sentiments

little-wing

Enfin un tête à tête avec mon moi nocturne. La façade diurne s’est assoupie en laissant la place aux petites ombres du soir. D’active, je deviens pensive. C’est la nuit que je pense de la journée. De ce qui s’est fait, de ce qui s’est dit. De ce qui aurait dû être fait ou ne pas être fait. De ce qui aurait dû être dit ou pas dit. Faire le point et commencer le compte.
 
Je dis « enfin » car c’est l’esprit endormi que je me fais face à moi-même. La raison et ma conscience profitent de ce moment pour venir me faire la morale. A l’instant où je somnole, en réalité c’est un procès que mon cœur me livre.
 
Mon cœur prend la place de l’avocat à la défense. Il balance les faits, révèle les fautes et se moque des mensonges. Mon avocat, la raison, hoche négativement la tête, fronce les sourcils, rit hostilement quelques fois et répond farouchement aux accusations. « Rationnel ! Il fallait être rationnel ! » est sa phrase préférée. Je ne suis pas sûr que cela va m’aider. Parmi les jurés d’assise, mon âme semble partagée. Elle écoute, prend en compte tout ce qui se dit et me jette parfois des regards inquiets. Peut-être que cela ne se passe pas aussi bien que je ne le pensais.
 
On finit par appeler les témoins à la barre. Ma raison me serre le bras, l’air confiant. Tout d’abord vient ma colère. Elle affirme m’avoir vu gueuler aujourd’hui, des choses pas belles, des choses pas forcément vraies et des choses futiles. Mon cœur m’accuse. C’est pourquoi est ensuite appelée à la barre ma culpabilité. Elle explique, choisit soigneusement ses mots, elle cherche à me sauver la peau. Ma raison est obligée d’accepter cela parce que cela arrange mon cas mais d’après elle, je n’ai pas à être coupable. J’y suis pour rien, moi, si mon cœur s’en mêle.
 
Ma raison a une objection. Refusée. Mon cœur est de plus en plus véhément et me pointe du doigt. Ma honte fait son apparition. Tout comme ma culpabilité, elle tente d’explique le pourquoi du comment mais elle s’embrouille, les mots sont jetés difficilement et c’est rapidement qu’elle s’en va, mortifiée, dans un coin. Ma fierté rappelle que je n’ai pas tous les torts non plus. Oui, mais mon cœur répète sans cesse que j’ai blessé autrui. Il exige le pardon. Ma fierté n’est pas d’accord. Ma raison s’en mêle. Ma culpabilité appuie mon cœur. Puis mon amour décide qu'il est temps de rendre le jugement. Là, c’est le silence. Même mon cœur attend qu’il prenne la parole. Mon amour discute un peu avec mon âme qui est resté silencieuse, puis il chuchote un peu avec le reste de mes sentiments. Et comme par enchantement, tout le monde est d’accord avec lui. Ma raison se retrouve à devoir accepter le jugement en grinçant des dents mais ne pouvant plus rien dire.
 
Sur le banc des accusés, j’attends patiemment – mais non sans malaise – le verdict. Le juge, invisible depuis sa haute chaise, tape une fois de son marteau de bois pour réclamer le silence. Ma raison a les bras croisés, elle sait déjà et vu sa tête, ce n’est pas bon pour moi.
 
« L’accusé est jugé coupable. Il doit, en réparation, se repentir et pardonner l’acte qui a déclenché sa colère. Son amour étant plus important, cela se fera dans les plus brefs délais sinon il sera condamné à côtoyer sa culpabilité jusqu’à ce que le pardon est lieu. Ce serait tout pour cette nuit, nous pouvons nous réveiller. Merci. »
 
Aussitôt ma fierté proteste et ma timidité affirme que je ne pourrais jamais le faire ! Trop tard, une fois le verdict rendu, je ne peux plus reculer. Ma culpabilité est déjà près de moi, m’étouffant de sa présence. Ma raison est déjà partie, frustrée. Ma fierté gueule toujours. Je croise le regard de mon amour, qui m’encourage discrètement. J’ai moins peur tout à coup.
 
Je me lève un peu plus lentement que les autres. Dès l’instant où je me dirige vers la sortie, je suis seul dans la salle du tribunal. Ils ont disparu. Ou plutôt ils sont retournés à leur place : en moi. Avec le sentiment de quitter le purgatoire, j’ouvre la lourde porte de bois et retrouve mon esprit qui attendait tranquillement à l’extérieur, ignorant de ce qui se passe dans cette salle. Il n’y est jamais entré, je crois.
 
Et c’est tout les deux que nous nous réveillons. Mon moi nocturne fait place à mon moi diurne. D’endormie, je suis toujours endormi mais éveillé. Je pense vaguement à ce qui se passera aujourd’hui. Ce qui se dira. Ce qui se fera.
 
Mais ce matin, j’ai un goût amer dans la bouche et une chose à faire : demander pardon et me débarrasser de cette foutue culpabilité !
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