Non, le papillon de nuit

-nicole-

Un soir trop tard, beaucoup trop tard .

Juste un petit mot pour toi. Une de mes histoires sans doute pour tromper la vie. Elle est tellement plus facile lorsque mon crayon joue avec la blancheur de la feuille. Les mots viennent, les uns après les autres, sagement ordonnés. Ils ne me trahissent pas.

J'ai des souvenirs extraordinaires qui n'ont jamais existé. Ma main les couche sur le papier, mes yeux les lisent, moi, je ne les connaissais pas.

Je peux te raconter l'histoire de la fourmi noire et triste qui voulait devenir papillon, l'histoire du petit oiseau gris qui chantait dans sa cage lorsque le vent lui parlait ou encore celle de Laïla, la sirène aux multiples visages… mais tout cela ne t'était pas destiné. Il me faut en capturer une autre, que tu comprendras, parce que toi, j'espère, tu cherches derrière les mots.

C'est l'histoire de Non, le papillon de nuit, tu sais, un de ces papillons dont la robe n'a jamais senti la chaleur du soleil. Il ne sait pas ce que c'est, lui, le soleil, parce que fatigué de sa danse nocturne, il s'endort toujours avant que le matin n'éclaire la vie. Pourtant, il cherche la lumière. Combien de fois lui est-il arrivé de se cogner contre une vitre ? Une flamme dansait derrière. Comme elle était jolie la douce lueur de la lampe posée sur la table… et inlassablement, le papillon de nuit s'élançait vers elle, et inlassablement, l'obstacle invisible brisait net son élan.

 

C'était un soir de pleine lune. Non loin de là, les grenouilles chantaient leur joie. Le monde des couleurs dormait profondément.  Le petit papillon, lui, écoutait la chanson. Que disait, elle ? Il n'en avait aucune idée… 

« - Si tu veux connaître la réponse, lui dit un grillon lâchant  son violon, commence donc par poser la question !

-   Quelle question ? murmura le papillon

-   Je ne sais pas moi ! il y a toujours une question à poser ! Quel temps fait-il ? Quelle heure est-il ? Qui es-tu ? Pourquoi ?...

-  Il fait beau, je crois, il doit être minuit, je suis Non, le papillon de nuit et pourquoi quoi ?

-   Pourquoi pas ! et le grillon se mit à rire. Tu ne comprends donc rien ! Je sais très bien que la nuit est sans voile et que la lune rousse ne se dévoile pas avant minuit. Je sais aussi que tu es assez naïf pour écouter n'importe qui. Tu as de la chance de m'avoir rencontré ! Interroge-moi et je te répondrai

-    Je n'ai pas de question à poser. Ce que je sais me suffit. Que pourrais-tu m'apprendre ?

-   Tu vois ! depuis que je te connais, tu m'as déjà offert trois interrogations ! ce n'est pas mal ! 
Ce que je pourrais t'apprendre ? Et bien ! … par exemple que deux et deux font quatre et que la Terre est ronde.

-    Ne te fatigue pas ! j'ai déjà appris cela !

-   Oh ! mais je sais bien d'autres choses ! des choses bien plus intéressantes ! Sais-tu que tout là-haut, au-dessus de nos têtes, habite un être étrange de couleur et de chaleur ?

-    Non ! raconte !

-    Il est immense et bienveillant. Il a des tas d'amis. Il s'appelle Soleil et vit dans une grande maison claire et gaie où l'on n'a jamais froid. Il fait briller l'eau noire et lui donne des allures de fête. Il peint le ciel en bleu et la forêt en vert. Je crois que tu l'aimerais beaucoup. Monte voir, ce soir, toi qui a des ailes, grimpe tout là-haut. Tu me raconteras ce que tu as vu.

-     C'est loin ?

-    Non… pas vraiment… Vas-y je te dis ! vas et reviens me voir ensuite. »

Non, le papillon de nuit, réfléchit longtemps, hésita. Puis, n'y tenant plus, il s'envola et commença à s'élever, haut, toujours plus haut. Il faisait froid, de plus en plus froid. Le sol n'existait plus : il était trop loin et le papillon luttait contre la solitude, contre le noir et le silence. « Je trouverai Soleil, se disait-il, il n'est plus loin maintenant… j'y arriverai… »

Il croisa sa première étoile, s'en approcha mais, la trouvant trop petite, il décida qu'il n'était pas arrivé. Au moment où il repartait, celle-ci s'éveilla et lui dit :

« - Où vas-tu, toi ? Pourquoi es-tu si loin de chez toi ?

-    Je cherche Soleil pour m'en faire un ami. Tu le connais ? Tu sais où il habite ?

-     Soleil ? Mais tu es fou ! Soleil n'a pas d'ami qui te ressemble. Tu n'as rien pour lui plaire : il aime le grenat, le pourpre, le rouge-sang. Il aime le violet, le mauve et le turquoise. Il aime le vert-pomme, l'orange et le jaune-vif. Toi tu n'es que gris et blanc, il ne t'aimera pas.

-   Pourquoi ?

-   Pourquoi quoi ?

-  Pourquoi pas !  s'exclama Non, le papillon en reprenant sa course.

-  Pauvre idiot ! » lui lança l'étoile.

Il ne l'entendit pas. Ce n'était pas vrai, pensait-il, il n'était pas gris : pourquoi aurait-il été gris puisque, la nuit, les couleurs ne se voient pas. Dans sa tête il était bleu métallique, ou bien pourquoi pas vert profond ou rouge-flamme… Et toujours il montait, et il faisait toujours plus froid, toujours plus noir.

«- Danse ! Danse ! Danse encore pour moi papillon ! Approche ! lui dit une deuxième étoile.

-   Es-tu Soleil ? demanda le papillon

-   Peut-être ! je peux être TON Soleil si tu le veux

-   Pourquoi ?

-  Parce que je suis seule ici. Personne ne vient me voir. Viens jouer avec moi !

-    Et que me donneras-tu en échange ?

-   Je ne sais pas… je trouverai bien… Viens te reposer un peu auprès de moi !

-   Attends ! je vais te dire ce que je veux : je veux voir briller sur mes ailes les plus belles couleurs de l'arc-en-ciel. Je veux entendre chanter ta voix. Je veux que la vie soit douce et chaude. Je veux que la lumière danse autour de moi. Je veux que la lune soit jalouse de nous et de notre joie. Je veux te suivre partout où tu iras et aussi que tu me suives, que tu m'écoutes ; Je veux …

- Tu veux, tu veux… tu veux bien trop de choses… je peux t'offrir le repos pour ce soir, je peux te bercer, te raconter de jolies histoires et faire que ton sommeil soit calme.

-   Ce n'est pas le sommeil et ses rêves que je veux. Moi, je veux la vie, je ne veux pas dormir.

-   Mais la vie n'est pas pour toi ! se moqua l'étoile. Personne ne peut te l'offrir. Tu n'es qu'un papillon de nuit ! La vie, c'est la lumière, toi, tu es fait pour l'ombre !

-   Pourquoi ?

-   Pourquoi quoi ?

-   Pourquoi pas ! »

Qu'en savait-elle l'étoile ? Que pouvait-elle comprendre ? Pourquoi Non, le papillon n'aurait-il pas le droit à la vie ? Il repris sa route des espoirs plein la tête.

Il  s'approchait de la lune. Comme elle était grande, belle et lisse !

« - Lune ! Lune ! M'entends-tu ?

-    Oui ! je t'écoute depuis longtemps !

-    Alors dis-moi, toi, où est ce Soleil, dis-le moi s'il te plait !

-    Ne le cherche plus : tu ne le trouveras pas !

-    Pourquoi ?

-  Parce que le Soleil n'est qu'un mirage. Il est au fond de chacun de nous. Les étoiles sont des fragments de soleil et le Soleil n'est qu'une grande étoile.

-  Et toi ? Tu es Le Soleil aussi ?

- Je suis le soleil de ta nuit, si tu le veux. Ferme les yeux et imagine… Tu vois toutes ces couleurs qui volent autour de toi ?

-  Oui... raconte encore !

-   Il fait jour et tes ailes sont dorées comme un de mes rayons… Tu es le plus beau papillon que je n'ai jamais vu, tu es exceptionnel ! Ecoute ! entends-tu le chant des oiseaux ?

-    Oui, je crois… Continue

-   Ils ne chantent que pour toi car tu es un être merveilleux, alors tu danses dans la lumière, il fait chaud et…

-    Arrête !

-    Qu'y-a-t-il ?

-   Ce n'est pas vrai ! regarde, il fait toujours noir et moi, j'ai froid.

-    C'est parce que tu ne crois pas en ce que je dis. Concentre-toi ! c'était si joli !

-     Je ne veux pas ! Moi, je veux la vérité.

-    Mais je t'offre mieux que la vérité, je t'offre le rêve. Dans un rêve tout est possible ! tout devient beau, rien n'est difficile. Le rêve peut tout t'offrir, le temps d'un rêve, tout ce que tu désires est à toi.

-   Oui, d'accord, mais lorsque le rêve est fini, tu ouvres les yeux et tu sais alors que ce n'était pas vrai, que tu n'es rien et que rien n'est parfait.

-    Arrange-toi pour ne plus te réveiller ! ou alors, dis-toi que tu es en train de faire un cauchemar et tout est inversé !

-    Et ensuite, tu ne sais plus s'il fait jour ou s'il fait nuit, si tu es roi ou mendiant…

-  Quelle importance ? Ne réfléchis pas et rêve ce que tu as envie de vivre !

-   Je ne peux pas. J'en ai assez de jouer à ce jeu-là. La vie me glisse entre les doigts et  bientôt, il sera trop tard. Je ne veux pas me tromper encore.

-   Ne fais pas l'imbécile ! tu sais, tout comme moi, que la réalité n'est pas bien belle à voir. Reste avec moi comme tu l'as toujours fait. Je suis ton astre parce que c'est de moi dont tu as besoin. Imagine, rêve, invente ta vie, comme toujours. Ce monde-là n'appartient qu'à nous. La vérité est cruelle.

-    Pourquoi ?

-     Parce que c'est ainsi

-    Tu as toujours une réponse à mes questions mais elle ne me satisfait pas

-   C'est parce que tu te trompes et que tu voudrais qu'on te suive dans tes erreurs. Pour ne pas être déçu, n'interroge pas et tu n'auras pas mal.

-    Tais-toi, tu me donnes de mauvais conseils, je le sais.

-   Non ! gronda la lune, tu ne sais rien. Tu n'es qu'un petit papillon de nuit qui ne connaît que le vide. Tu n'es rien ! tu es minuscule et transparent. Tu n'existes pas !

-    Tu mens ! tu dis ça pour me faire du mal ! j'ai un cœur pour aimer, j'ai une âme pour espérer, des yeux pour pleurer et le souffle pour avancer. Je pense, je parle, je ris, parfois, et, trop souvent, je rêve. Je suis vivant, j'ai la vie, je suis la vie. Je peux être grand si je le veux, pas par la taille, non, mais par ce que je peux accomplir. Tu n'y peux rien ! je fais ce que je veux, je suis libre. Tu ne pourras pas m'enfermer, tu n'arriveras pas à me voler ce que je crois. Je connais tes rêves superficiels et menteurs, les miens sont forts. Ils m'aident à avancer. C'est pour ça que je rêve : pour supporter la vie. Ce que tu veux  c'est me tromper pour que je me perde. Soleil existe, et pas seulement dans ma tête : il existe dans le cœur de quelqu'un. Mon Soleil à moi brille au fond des yeux de quelqu'un que je ne connais pas encore. C'est ça que je cherche et c'est de ça que tu veux m'éloigner.

-  Ce ne sont que des mots ! tu te racontes des histoires ! tu vois bien que tu m'appartiens : tu ne vis que de songes, tu fais semblant.

-   Non ! tu ne comprends rien. Je ne t'appartiens pas puisque tu n'es pas à moi. Tu me méprises et tu voudrais que je t'admire. J'ai besoin d'un échange : prendre et donner. Ce que tu me proposes c'est de ramasser les miettes que tu me jettes. Je refuse, non ! »

La Lune se mit à rire. Son éclat gras et moqueur faisait mal à entendre.

« - Ecoute-moi, triste clown, petite chose transparente, écoute : je ne pourrai pas t'empêcher de suivre ton idée absurde, mais, crois-moi, tu vas te brûler les ailes, ta souffrance sera pire que tout ce que tu peux imaginer. Tu n'es pas né pour la chaleur et la lumière. Le feu qui t'attire va te détruire. Il n'y aura plus de vitre pour arrêter ta course folle. Tu ne te cogneras pas la tête contre un obstacle invisible, tu flamberas tout entier. Et ensuite, tu ne seras plus rien, n'auras plus rien, pas même un rêve pour tout recommencer.

-   Pourquoi ?

-   Parce que ! tu ne m'auras pas ! ce n'était pas une question ! »

Le papillon prit son envol alors que le ciel perdait de sa noirceur quelque part, loin devant.

Tout en bas, le grillon s'était endormi.

Avance, Papillon, avance : il est presque temps, il est presque trop tard.

Une bulle de sang s'élevait lentement, le papillon la vit et il fut attiré, presque aspiré. Il fit très chaud tout à coup.

Le petit papillon s'approcha encore et encore.

Il y eut une belle flamme bleue qui disparut presque aussitôt.

On ne le revit plus.

Pourquoi ? Pourquoi pas !

Et le grillon dormait. Il ne saura jamais.

 

La fin est ailleurs, bien trop loin…

  • Il est beau celui là, il me parle à moi et à tous les petits papillons qui se méfient du réconfort de la lune. Mieux vaut brûler franchement que s'éteindre à petit feux (c'est de Kurt Cobain, il chante bien mieux que la dame blanche)

    · Il y a environ 6 ans ·
    Snapchat 83003621442229039

    stockholmsyndrom

    • merci ;-)

      · Il y a environ 6 ans ·
      Lune nuages (3)

      -nicole-

  • Superbe ! Mais au-delà du rêve, la réalité gagne, une fois de plus ! Pourquoi ? Pourquoi, quoi ? Pourquoi pas. :o))

    · Il y a environ 6 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

    • C'est bien le problème ! faut-il rêver sa vie ou vivre ses rêves ? (mais ce n'est pas de moi. Merci François Garagnon)

      · Il y a environ 6 ans ·
      Lune nuages (3)

      -nicole-

    • C’est vrai c’est une des devises de la petite Jade, l’héroïne du livre majeur de Garagnon. Ceci dit, ton conte est magnifique. Bravo ! :o))

      · Il y a environ 6 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

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