N’oubliez pas de ne pas oublier

Thierry Kagan


Faisons le point !

Ma femme ne m'a toujours pas quitté.

J'ai un boulot avec un salaire qui se fait virer tous les mois.

J'ai mal nulle part.

Pour vous dire, j'ai même pas besoin de me rincer les fosses à l'eau de mer.

 

Oui, peut-être... la machine à laver qui essore mal.

Mais avec l'âge, je salie moins. Donc, j'ai le temps d'attendre que ça sèche.

 

En fait, si. Y a un truc qui me contrarie.

 

La semaine passée, j'ai reçu cette lettre.

Je vous la lis...

 

Non !

Je vous raconte un peu, avant.

 

Il y a environ une dizaine d'années, terminant vaguement de faire le tour de mon adolescence, j'ai voulu savoir ce que je valais vraiment.

A l'intérieur.

Et vous le savez comme chacun, pour se mieux connaître, rien de tel que de se tester.

 

Une idée comme une autre fut donc de proposer mon corps à la médecine. Plus précisément, aux études pharmacologiques.

Histoire de me mettre à l'épreuve.

D'avoir un point de vue scientifique de ma matière propre.

Tout en nourrissant l'idée que mon état général s'en trouverait amélioré, de par les effets primaires et secondaires.

 

(of course, je reconnais : l'espoir m'était plus agréable de tomber dans les groupes placebos, plutôt que dans ceux soumis aux molécules-toutes-nouvelles-mais-c'est-pas-encore-sûr-qu'on-ait-tout-prévu)

 

Tué dans l'œuf et jeté avec l'eau du bain, la démarche ne put dépasser le fantasme, puisque par-delà mon corps, mes relances téléphoniques n'intéressaient personne.

 

Nous sommes donc maintenant, 10 ans plus tard et je reçois cette fameuse lettre.

La poste est dite parfois lente mais là, elle n'y est pour rien : la missive a été envoyée il y a un an.

 

La voici (réinterprétée par mes soins) :

"On a beaucoup réfléchi, on s'est réunis à plusieurs têtes et on est tous bien d'accord : tout votre être, toute votre personne constituerait un sujet d'étude passionnant. Si toutefois, bien sûr, votre sérénissime grandeur daignait nous confier son corps magnifique pour faire avancer le bidule, et cætera, et cætera".

 

Moi, on ne me flatte pas l'orgueil comme ça !

Mais passe encore que l'on me confirme ce que j'ai toujours su.

Le truc qui ne va vraiment pas, c'est quoi ?

Je vais vous le dire : POURQUOI… LES GENS… OUBLIENT-ILS… QUE L'ON GRANDIT ?


Que le temps et les intempéries - qu'ils soient tempêtes ou petites bruines - nous font évoluer.

Que la blague pourquoi-les-femmes-se-caressent-elles-parce-que-je-ne-peux-pas-être-partout, on la fait un moment et puis on s'arrête.

Parce qu'elle ne nous correspond plus !

 

Depuis 10 ans, j'ai grandi !

J'ai passé l'âge de tester. Je sais ce que je vaux. J'ai un avis sur tout. Je sais faire des phrases qui font rire, qui font peur ou qui font rien.

 

Même depuis la semaine passée, j'ai grandi.

De l'intérieur.

Mon esprit, jour après jour, n'est plus le même.

A chaque instant, il change.

Il s'intéresse, il se désintéresse.

Il pense, il dépense.

Tout ça à un rythme complètement aléatoire.

 

Pour vous dire !

Il évolue à tel point que tout ce que j'ai écrit il y a un tout petit paquet de lignes plus haut, j'y crois plus.

Ce n'est plus moi !

 

Par exemple, si là vous m'appeliez pour me proposer de tester une pilule bleue qui rend ma femme moins accro à la télé, même quand y a rien d'intéressant… je serais prêt à rendre service.

Gratos.

 

 

 

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