nous aimons les murs

Lolita Denoual

Si j'aime les livres c'est que tout y est simple, le personnage le plus complexe peut être résumé dans une fiche.

Il sait ce qu'il ressent et l'auteur peut traduire ses sentiments par de simples adjectifs alors que moi, je ne sais même pas ce que je ressens la moitié du temps. Je ne peux simplement aimer ou détester une personne. Il y a les miens et il y a les autres. Les autres, leur opinion m'indiffère, ils ne peuvent pas me toucher car je ne peux haïr que ceux que j'aime. Et les miens, je les aime même quand je les déteste et les déteste même quand je les aime. Il est plus facile de haïr simplement alors on coupe les ponts, on tire un trait et on laisse derrière soi colère, déception et culpabilité. Mais toutes les personnes sans qui je ne peux vivre impliquent toutes ses émotions négatives. Je ne m'emporte pas contre les autres, c'est aux miens que je fait du mal. Voisins et collègues voient rarement nos mauvais cotés.

Un personnage rentre dans une case, il est gentil, méchant, soupe au lait, honnête, hypocrite, courageux ou fainéant. Moi je suis un fantôme, une nappe de brouillard qui dérive en fonction des jours et des émotions. Je peut être ange ou démon selon l'humeur du moment ou selon l'interlocuteur, ma méchanceté peut être matinée de gentillesse et inversement, je suis presque toujours soupe au lait mais on peut aussi me qualifier de constante, on peut me qualifier d'honnête mais tout autant d'hypocrite et suivant la tâche je peut être fainéante ou courageuse. Dans la vie, amis ou ennemis ne sont pas aussi bien définis qu'on le voudrait et il n'est pas toujours facile de faire la différence entre ce qu'on veut, ce qu'on croit vouloir et ce dont on a besoin. La vie c'est l'incertitude, la littérature n'est que certitudes.

Je préfère souvent l'art à la nature, la légende plutôt que l'homme derrière le personnage historique. Entre deux réalités je ne choisis pas la plus probable mais la plus intéressante, le romantisme au réalisme, l'idéalisme plutôt que le cynisme. Qui veut du barbare crasseux et misogyne quand il peut avoir un brave et sexy écossais ? La réalité craint, le quotidien est morne, le monde est glauque. Je ne comprend pas ceux qui cherchent la vérité dans l'art, elle n'existe pas alors ils n'auront que quelque chose d'approchant et quelque chose approchant du morne et du glauque n'a rien de réjouissant.

Aussi talentueux que soit l'artiste, il ne peut prétendre imiter son modèle : la nature

Au tableau comme à la photo, il manque ce petit supplément d'âme, tout art est mort et pour moi chaque galerie n'est qu'un immense cimetière. On collectionne des instantanés de notre vie mais ces jours sont passés et ne reviendront plus, l'enfant qui sourit sur le papier glacé n'est pas votre enfant, votre enfant est mort comme nous mourrons à chaque seconde pour devenir quelqu'un d'autre, celle que j'étais en écrivant ce texte n'existe déjà plus, c'est une autre personne qui en contemplera le résultat posté sur le site.

Nous changeons et c'est à chaque fois une petite mort à la manière de ce ciel breton que les peintres ont représenté à toute heure ou toute saison, lorsque le tableau est fini il est déjà obsolète, balayé par ce nuage noir grandissant ou bien cette mouette en goguette. Et puis une oeuvre peut-elle transmettre l'odeur des embruns ou la gifle du vent glacé ?

Et cet angelot souriant est-il celui qui faisait un caprice quelques minutes avant que vous braquiez sur lui l'objectif ? Vous vous reconnaissez dans ses fossettes, mais son sale caractère ne transparaît pas dans les images. Qui peut dire en piochant sur le net si ce cliché est le charmant souvenir de vacances de la famille machin ou le charmant résultat d'un shooting orchestré pour la pub d'une agence de voyages ? Et en parlant de clichés...

Les yeux miroirs de l'âme, mes fesses ! Dans les romans les regards sont incendiaires, revolver, déçus, enamourés, si vous êtes capable de reconnaître la colère dans des yeux isolés de leur contexte alors vous avez une meilleure vue que moi. Peut être si vous êtes observateur, reconnaîtriez vous l'émotion à une foule d'indices, le pli de la bouche, la crispation des mains ou de la mâchoire mais pour transmettre l'émotion, la vue est le sens le moins efficace, il est bien plus aisé de reconnaître la colère dans un enregistrement vocal que sur une photo ou un tableau. L'art est une simplification, une caricature et même l'oeuvre la plus complexe n'est qu'une simple esquisse du réel.

L'art vise la distraction pas la vraisemblance, prenez un film américain avec son manichéisme tapageur, tout y est noir ou blanc, pas de nuances de gris et même un film qui se veut historique n'est qu'un point de vue, celui d'un témoin ou acteur de l'événement mais aussi celui de l'auteur, chaque récit est une pièce d'un puzzle bien plus vaste, le talent de l'artiste c'est de nous faire adhérer à son point de vue, une touche de mélo bien placé, une certaine interprétation des événements et sur le grand écran le pire des connards deviendra héros. L'art est souvent propagande mais plutôt que convaincre par le biais d'arguments, il vous persuade en jouant avec vos émotions.

L'art c'est aussi l'addition de ce que l'auteur veut vous montrez et de ce que vous, désirez voir. Une oeuvre est différente selon celui qui la regarde. Nous transformons les œuvres en miroir où nous transposons notre réalité, la somme de notre vécu, de nos convictions mais aussi de notre humeur. L'art est perception. La perception c'est le relatif, le changeant, l'insaisissable, la réalité est une question de perception. Il n'y a pas de réalité, pas de vérité, ou plutôt il en existe autant que d'individus, et chaque individu meurs un peu à chaque seconde pour devenir une nouvelle personne.On ne peut donc représenter la réalité.Toute oeuvre n'est donc qu'une mauvaise contrefaçon du réel.

L'art est mort car il est figé, écrire c'est tuer son histoire. Chaque pensée ou émotion fixée sur le papier cesse d'évoluer, ne correspondra bientôt plus à la réalité, ce que vous avez dit la seconde d'avant vous ne le pensez déjà plus. Chaque nouvelle émotion change notre perception du réel, quand j'ai dit : " je hais l'Espagne, je hais le soleil, je suis cramée de partout, je veux rentrer chez moi" c'était vrai tout comme il était vrai que dix minutes plus tard, m'éclatant dans la piscine, j'envisageait sérieusement de m'y installer. L'art est émotion mais la vérité ne peut cohabiter avec une émotion somme toute fugitive, puisque vivre c'est ressentir on est tous des menteurs car nos déclarations se démentent rapidement.

Les mots sont des prisons qui tentent de retenir le réel mais ne font que le limiter, mettre un mot sur quelque chose c'est le réduire à une définition, la vie ne tient pas dans une définition, elle ne tient pas entre des murs. Les certitudes représentent la sécurité, le doute est la quintescence de l'insécurité. L'humain aime les murs. A l'intérieur des continents, il y a des frontières, dedans il y a des pays, dans les pays il y a des régions, des départements, des villes, des quartiers, des immeubles, des appartements et chaque appartement est constitué de pièces. Chaque nation est régit par ses propres lois, ajoutez les règles morales de votre religion, les règles de politesse, le code de la route, vos propres principes familiaux ou certains typiques de votre région ou pays, sans oublier les certitudes de la science ou de l'histoire.

L'homme existe depuis x millions d'années, il y a x planètes dans notre système solaire, . La science évolue pourtant en fonction des découvertes qui contredisent les vérités précedentes, tout comme l'histoire. Pluton n'est plus une planète, l'origine de l'homme a reculé de quelques milliers d'années. Parfois bousculer l'opinion établie ne se fait pas facilement, Copernic l'a découvert à ses dépends mais ceux qui survivent c'est ceux qui s'adaptent, ceux qui ne se retranchent pas dans la fausse sécurité de leurs murs de certitudes.

La France agonise parce que c'est un pays qui se glorifie de rester fidèle à ses principes, de ne pas évoluer. On vit dans le passé avec nos commémorations et nos politiques qui ont 70 ans de moyenne d'age. Ce n'est pas la crise ou le terrorisme qui va tuer la France mais sa difficulté à évoluer. " Le changement c'est maintenant" disaient-ils mais les gouvernants ont peur de prendre des risques, ils ont oublié qu'on ne peut avancer sans froisser des gens, à ménager la chèvre et le chou on arrive à rien. Il faut expérimenter de nouvelles choses mais l'inconnu effraie, les seuls qui ne font pas de bêtises se sont ceux qui ne font rien.

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