Nous n'avons pas les mêmes valeurs

Corinne Pelletier

Quand une cliente apprend l'existence d'une carte de retrait

Pousser les portes d’une banque un 28 du mois peut provoquer chez certains des sueurs froides, d’autres un soulagement –si par chance la paie est déjà virée - parfois l’étonnement.

Et moi, ce jour là, c’est l’étonnement ou dirais-je plutôt l’amusement qui m’a saisie.

Je me trouvais à patienter pour pouvoir déposer des chèques sur le compte de la société qui m’emploie, quand la personne se trouvant devant moi, une femme, la soixantaine, blonde, peinturlurée, toute de noire vêtue, pouvant se glisser dans un legging qu’une ado de 14 ans envierait, fit une réflexion somme toute anodine mais qui allait provoquer chez moi un léger rictus et, imager le slogan publicitaire « Nous n’avons pas les valeurs ».

La réflexion en question futcelle-ci : « Vous n’avez pas plutôt des gros billets ? », et le guichetier arrêtant une seconde de compter, de répondre qu’au-delà de 500 €, il faut dorénavant commander 48 h à l’avance. La cliente s’offusqua, sa fille ayant réussi, elle, à s’en procurer récemment.

Le guichetier faisant preuve d’une grande amabilité, se retrancha derrière les arguments d’une nouvelle directive, qui sera mise en place dans un avenir très proche. C’est pour cela qu’il se permettait de la prévenir afin qu’elle ne soit pas prise au dépourvu.

Armé de liasses de billets maintenus par des trombones – il ne faudrait pas qu’ils viennent à s’échapper, il repris le décompte par quelques billets de 100 et 200 suivis de "misérables" billets de 20 et 10…. 1490,1,2,3,4,… et 10 qui font 1500 € le compte est bon ! Et avec cela, ma p'tite dame, une petite enveloppe pour emballerle tout ? Le ton du guichetier étant évidemment moins trivial, vous l’aurez compris.

Ce que la cliente refusa tout dego, préférant répartir en deux tas distincts les gros billets d’un côté, les chétifs de l’autre. Et de glisser, avec une dextérité qui force le respect, les paquets dans les deux poches de sa jaquette en cuir noir.

Elle s’enquit alors sur la façon deprocéder pour obtenir le mois prochain la même somme mais avec des billetsdignes de ce nom. Car il allait de soi qu’elle ne téléphonerait pas 48h à l’avance. Elle était en droit de disposer de son argent comme bon lui semblait, c’était le monde à l’envers quand même !

Ce à quoi, le guichetier eut le toupet de lui rétorquer qu’elle pouvait aussi demander à avoir une carte deretrait.

Oh le gros mot qu’il venait de lui lancer en pleine figure sans même s’en rendre compte !

-Une carte de quoi ? s’exclama-t-elle

-Une carte qui vous permet de retirer de l’argent sans avoir à passer au guichet.

-Aux bornes automatiques ? Comment ça tout le monde peut voir combien je retire… ?

(Euh…sans même être devant une borne automatique, nous savons combien tu as et comment cela serait facile d’alléger ta jaquette, ai-je pensé sur le moment.)

-Et je peux retirer ce que jeveux par jour ? C’est sans limite ? Car quand je pars en voyage il m’arrive d’avoir 3000 € sur moi…

Le responsable de l’agence arriva sur ces entrefaites et expliqua à nouveau à la cliente que les guichets étaient amenés à disparaître pour être remplacés par des automates. La carte d eretrait devenant donc le seul moyen pour obtenir des espèces. Elle avait même la possibilité d’obtenir une carte de paiement pour ses achats, si elle le souhaitait.

La cliente, d’un air dépité, reconnut être malheureuse si elle n’avait pas d’espèces sur elle. D’ailleurs elle fit cette réflexion sidérante : « Qui n’a pas 1500 € en espèces ? »

Je fus à la limite de lever le doigt et de crier moi ? Mais sachant me tenir en société, je n’en fis rien.

Le responsable, croisant mon regard amusé, lui répondit un peu rapidement « Vous en connaissez beaucoup des personnes qui ont 1500 € sur eux ?» avant de rajouter in extremis « Hormis vous ?»

Ce à quoi la cliente répondit « J’ai bien 9000 € en espèces chez moi. Car vous comprenez, j’aime bien avoir tout mon argent chez moi, c’est quand même MON argent ».

On peut comprendre qu’en ces temps de crise, elle préfère disposer de son argent que de le laisser ensécurité – toute relative - dans les coffres de la banque...

Avant de s’engouffrer dans le sas qui la séparait de tous ces passants qui allaient nonchalants vers le métro, elle demanda au guichetier de bien vouloir la prévenir quand ce terrible changement aurait lieu. Et le guichetier de la rassurer « On a le temps, ce n’est pas pour maintenant ».

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