Nous qui sommes éveillés

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Je lui racontais les dizaines de boulot que j’avais enfilé pendant des années. A l’époque j’étais toujours en forme. Frais et dispos. J’étais pas fait pour bosser mais pour être embauché. Aussi malin qu’un singe et pourtant il y en avait des pièges à déjouer. Aucun de mes jobs dépassait les trois mois. Quoique la moyenne se situait plutôt autour de deux ou trois semaines (parfois moins). Seulement à partir d’une semaine j’avais déjà la tête dans le four. Ca démarrait à peu près toujours de la même façon. Je cuisais dans mon jus. Chaque minute ressemblait à l’enfer. Je hais ce viol inouï de ma personnalité. Bosser revient à me mettre la tête dans le chaudron. D’avoir à échanger mon énergie et de toutes les manières possibles dans l’espoir d’un salaire, me brûle de l’intérieur et forcément j’ai l’air d’un fou. Alors que je suis le type le plus cool et le plus calme de la Terre si on me laisse tout simplement Vivre à Mon Rythme..

Qu’est-ce qu’il y a de si compliqué et si incroyable là dedans ..? Dis moi Marjorie ..

Pour toute réponse elle me caresse les cheveux. On se trouve chez elle dans cette séquence. Du balcon l’océan semble infini. Je lui ai déjà dit qu’elle vivait dans le luxe et en contrepartie elle esquisse un demi sourire. Mon problème dans l’immédiat est ailleurs. Marjorie qui touche la quarantaine me fait l’effet d’une bombe quand elle se met en tenue d’intérieur. Elle est mince et très légèrement enrobée, avec des attributs féminins significatifs. Pour un vieux cheval qui s’y connait c’est une aubaine. Seulement depuis deux mois que je la fréquente j’ai rien pu en tirer. Au point que je me suis juré cent fois de l’envoyer balader si ça continue. Reprenons depuis le début. Je me trouvais dans une période de grande nullité, ce qui correspond chez moi à une souffrance indicible, une sorte de cauchemar éveillé durant lequel je vois le monde de la même façon que Dieu lui-même l’a fait. Une machine bruyante et démagogique, inhumain dans sa forme mais aussi dans le fond. Dans les hôpitaux des hommes attendent que le hasard décide pour eux s’ils valent encore une once de dignité. Se tenir debout, avaler et déjecter proprement, la parole et le regard clair, un minimum d’esprit sans quoi on est plus rien, juste un légume. Ce qui est bien pire et humiliant que la mort. Du moins pour un esprit lucide et pas directement concerné. Ce qui bien entendu est mon cas. Parce que vu de l’Intérieur… la maudite humanité parvient à s’accrocher dans la plus effroyable pourriture. Pas toujours certes, mais beaucoup trop souvent. Sans que Le Sujet.. Évidemment, soit coupable de quoi que ce soit. Du moins directement si je peux m’exprimer ainsi, et si la formule parvient à rendre mon idée. ..

 

                              de "Sale race humaine"

Dormez en paix mon père, car nous qui sommes éveillés, bouillons dans les chaudrons de l’horreur..

                                                        Henri Miller

                  

               http://www.youtube.com/watch?v=RG1l7SlqJkI

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