Nouvel an complexe

Rébecca Brocardo

1999

   Je suis allée seule fêter le nouvel an car Éléonore était malade. Ça se passait dans une grange, sur le terrain d'une grande propriété de campagne. Trente sous l'entrée, boissons à volonté, cent cinquante personnes. Je suis arrivée peu avant minuit et je suis tombée sur JB qui m'a présenté plein de gens cool, dont Polo, père Noël fêtard, et Vanessa, fille à déboires avec les mecs. D'ailleurs elle tentait d'en lever un ce soir-là, sur une série de slows. J'ai dansé avec Polo puis avec JB, j'ai fini plusieurs fois à la renverse. Un certain FG m'a invitée à son tour : grand, brun, mignon, cassé. Il m'a embrassée comme un sauvage ; je déteste ça, pourtant c'était très excitant. Je me suis vite retrouvée dans la maison à faire plus amplement connaissance avec lui, mais quelqu'un est passé par là pour nous raisonner. On est retournés au cœur de la fête et on a bu.

   À trois heures du matin on dansait toujours, mais mon état s'était considérablement dégradé. Je me suis vue tripoter Polo qui avait un sacré coup dans le nez : « Regarde la blonde… Là, sur le bar… Je vais la baiser ! Sur le bar ! » Puis il embrassait JB qui portait une perruque… Le plus souvent FG me soutenait pour que je reste à peu près debout. Quand j'ai eu des nausées il m'a fourré ses doigts dans la gorge pour que (je cite) je « gerbe un bon coup ». Ce que j'ai fait, dans ses mains. C'était immonde mais rien ne semblait le préoccuper, à part tirer son coup. Il fallait que je pisse, pas moyen de trouver les toilettes. Rien n'enraye ma mécanique des fluides ! Je me suis soulagée dehors, derrière la grange et au milieu des autres mecs, toujours assistée par le mien. J'ai fini par m'endormir une heure dans un canapé de la maison.

   FG m'a réveillée, déshabillée et fait l'amour comme une machine, une presse d'usine. Tu vois le feeling ? Le gars qui a déjà trop chopé et qui baise à la chaîne. J'ignore pourquoi, à ce moment précis je me pouvais m'empêcher de penser à une formule mathématique. Ça travaillait sévère. Son sexe était moins droit, moins long et moins perpendiculaire que celui de Matt. Pourtant quelle carrure ! Nus sous une couette, on s'est raconté nos aventures respectives devant un public de passage. Les relents de l'amer allaient et revenaient. Quel brouillard ! Ah, la crasse ! Il n'y avait pas le mât mais il y avait le voile. Vanessa est apparue devant moi pour me dire qu'elle avait bien trouvé quelqu'un mais qu'il n'arrêtait pas de l'ignorer. Quelle conne celle-là ! Je suis sortie, histoire de me situer dans le temps et dans l'espace. Je me sentais observée, mal à l'aise, en sueur, j'avais la bouche pâteuse. Est-ce que j'étais propre au moins, avant ? Parce que là, à tous les coups je me choperais une cystite, ou mieux, une mycose. Qu'est-ce qu'ils foutaient là, ces nombres complexes ? Polo dormait par terre, JB titubait dans les vapeurs du matin : « Tu vois, j'ai été sage ! Tu pourras le dire à Éléonore. » J'ai discerné mon visage dans un miroir : c'était moi ça ? Quelle tête ! Saisie de vertiges, je suis retournée m'enrouler autour du corps de mon amant hardcore en hoquetant comme un chat galeux. Comment pouvait-on mystifier les honnêtes gens en toute impunité en affirmant un beau jour que i² = -1 ?

   En ouvrant à nouveau les yeux, j'ai eu un choc. Le soleil était déjà haut dans le ciel et il n'y avait plus personne dans la maison, sinon le beau FG toujours endormi d'un côté du canapé et Vanessa de l'autre. Tout était rentré dans l'ordre, normal et réel. Je me suis levée discrètement, j'ai attrapé Vanessa et un café froid puis je suis partie, en mode torchon. Chez moi je me suis recouchée et j'ai dormi jusqu'à dix-neuf heures. Puis j'ai vu la petite carte sur mon bureau.

   « Pauline, j'espère que tu vas bien. Tous mes vœux de bon-heur pour cette nouvelle année. Qu'elle soit profitable pour toi en amour et santé. Je t'embrasse.

   Arnaud

   PS : souhaite aussi mes vœux à tes parents. »

  • Ressacs mathématiques pour Nouvel An hardcore.
    Jouissif !
    A mon avis, i2 = -1 c'est dur à accepter uniquement parce que pendant des années, on nous a expliqué que le carré d'un nombre est toujours positif. Franchement faut pas déconner, on devrait commencer par les nombres complexes !

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Sdc12751

    Mathieu Jaegert

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