Nouvel extrait Rockonnection #2
walkman
On est jeudi midi. Et comme tous les jeudis midis depuis dix ans, Lithy Strummer sort de son boulot parce qu'elle a un cours de Budo à la con qui lui retire son stress. Et je crois qu'aujourd'hui elle en aura vraiment besoin. Je l'attends à la sortie du parking, adossé à ma veille Coccinelle rouge, derrière mes lunettes de soleil pour cacher que je devrais être en train de dormir à cette heure-là. Et elle est pile à l'heure. Elle marche d'un pas décidé sur les graviers avec son sac à main qu'elle a mis sur son épaule et dont elle tient les hanses comme si un de ses élèves allait venir pour le lui arracher. Mais je préfère qu'elle fasse attention à elle. Elle m'aperçoit et son allure ralentit tout d'un coup. Elle hésite même à faire demi-tour quand je lui fais coucou avec la main. Elle prend une profonde inspiration et reprends un bon rythme pour venir à ma rencontre.
"Quoi ?"
J'ouvre la portière passager en l'invitant à entrer.
"Et si je t'accompagnais à ton cours ?"
Elle claque la porte et croise les bras.
"Est-ce que tu finiras par me laisser tranquille ?"
Je retire mes lunettes.
"Ouais, j'y pense. J'peux avoir un câlin ? Parce qu'hier tu m'as foutu à la porte...
- Et y avait une raison pour ça."
On entend en fond sonore, le bruit de discussion d'un groupe d'ados qui marchent en bande sur le trottoir d'en face. Lithy jette un coup d'oeil et revient immédiatement vers moi en cachant le profil gauche de son visage.
"Et merde...mes élèves."
Je souris.
"Et alors ? Les gosses m'adorent. Et ils adorent mes croutes aussi. Tu te souviens que...
- Hayden ?"
Une voix féminine qui me coupe la parole quand je discute avec ma femme, c'est rarement pour partager de bons souvenirs. Je regarde par dessus l'épaule de Lithy et aperçoit le visage de Camille qui est en train de traverser la rue pour venir me voir. J'ai couché avec cette fille que j'avais rencontrée dans un bar passable près de chez moi et que j'avais ensuite emmenée au Westbury.
"Oh putain !"
Alors Lithy se retourne immédiatement vers la jeune femme, comprenant que je me tends.
"Camille ?
- Madame Strummer ?"
La jeune française arrive à notre hauteur et reste plantée là, en mangeant son sandwich. Ma femme revient vers moi en serrant les dents.
"Attends comment vous vous connaissez !?
- Euh..., j'hausse les épaules, elle était tellement passionnée par ton cours qu'elle est passée voir une de mes expos... et elle, tu vois, quoi ? Bon, j'étais là, alors on a discuté."
Camille explose de rire.
"Et c'était quand, y a dix ans ? ironise ma sublime femme.
- S'il te plaît Camille, tu peux aller faire tes devoirs ou vendre de la drogue.
- Vous sortez ensemble ? demande la gamine.
- Oui.
- Non, Lithy fronce les sourcils. Non, sûrement pas."
Je grimace. J'espèrais que l'espace temps revienne dix ans en arrière tout d'un coup ou au moins qu'elle trouve ma réponse drôle.
"Tant mieux, parce que ce gars est un vrai connard avec les filles."
Après un long regard qui veut dire que je meurs encore un peu plus à ses yeux, Lithy resserre les hanses de son sac à main et tourne les talons en souhaitant un bon après-midi à Camille. Je la regarde partir, impuissant. Elle va avoir besoin de cinq cents jours de plus pour digérer ça. Je laisse couler. Il ne me manque plus qu'à aller retrouver mon lit et nettoyer les verres brisés de la fête d'hier soir. Je jette un dernier regard noir à Camille, pour la féliciter de me casser les couilles.
"Strummer... cette femme est trop cool. Dommage."se moque-t-elle.
Je lève les yeux au ciel en remettant mes lunettes. Je remarque qu'en baissant la tête, qu'un sac plastique est pendu au bras de la jeune lycéenne. Je pose mes deux mains sur sa tête.
"On t'a déjà dit qu'il ne faut jamais dire du mal d'Hayden Parker ?"
Je jette un coup d'oeil à l'intérieur du sac plastique et j'y plonge directement la main pour en ressortir la canette de bière.
"Et de ne pas boire d'alcool avant la classe ?
- Hey mais va te faire foutre !"
J'ouvre la canette et prends une gorgée. Elle essaie de la récupérer mais la bière est déjà finie. Résignée, elle soupire.
"Et cette femme est trop, cool, ouais."
Je lui rends sa canette vide et j'entre dans ma bagnole.