Nudité dans le bouillon Maggi

Harfouche Alex

Mange le torse de celui  qui te fait à manger:

Ce restaurant était très différent des restaurants conventionnels où on vous fait manger de l’os de cheval durant un match de rugby télévisé, bien qu'il se trouve à Laval, sa particularité lui vaut bien le déplacement. Ici, ainsi, alors, était une salle à manger cocasse. Le client s’installait dans une marmite géante pleine de bouillon tiède. On lui recommandait préalablement d’ôter ses vêtements. Le client était donc saucé dans un bain de légumes au jus de poulet salé. Devant lui, se trouvait une table où la nourriture allait par la suite être disposée. Autour de la table, selon le nombre de convives, se tassaient d’autres chaudrons géants. Il est important de souligner que le bouillon dans lequel on allait plonger ne comporte pas de gras trans. Aussi, on pouvait choisir entre un bouillon végétarien au tofu et le bouillon traditionnel au poulet. (le propriétaire prétend que la mixture au poulet est excellente pour la peau sèche grâces à ses molécules de phosphates lipidiques??? les chimistes sauraient m'éclairer) Pour que la température du siège aquatique fusse toujours constante, des vérificateurs du gouvernent sillonnaient le restaurant chaque jour, et toujours, en trampant le doigt dans les bouillons. Si le doigt ne souffrait pas, le restaurant gardait ses licences. Qu'une seule Monique, vérificatrice, perdît son faux ongle en trempant l’index à cause des jeux thermiques sur la colle crazy-gloo, et le restaurait se tapait une fermeture sur le champ. Le propriétaire, soucieux de ne pas perdre son commerce, veillait soigneusement à n’ébouillanter personne.            

Bref, j’arrivais ce jour-là avec trois comparses et demandai une table au Sauce-Qui-Peut (c’est le nom dudit resto). Je choisis un bouillon de poulet, puisque je ne ressens de peine quant à la mort des ovipares, en particulier la poulet qui ne me semble pas être un animal très philosophe. Barry, Garry, Marie et moi nous dénudâmes (comme conseillé, voire ordonné) et entrâmes dans nos chaudrons respectifs, autour d’une grande table ronde, qui venait d’IKEA, sans aucun doute. Je sentis le sel, dans lequel je baignais, me picoter entre les jambes; je me dis que cela valait bien puisque je n’avais pas eu le temps de me laver et que le sel est un anti-secptique (et antiseptique).

Le maître de cérémonie, vêtu d’une chemise hawaïenne et d’un kilt écossais (là s’élaborait un manque de goût typique d’un restaurant de Laval) vint nous offrir des apéritifs. Il n’y avait ni carte ni menu pour la nourriture, la devise était « Fais-nous confiance comme le cocul croit sa femme ». Sages paroles, nous confiâmes nos estomacs à l’équipe gastronomique.

Chacun dans son chaudron, les coudes appuyés sur la table ronde, nous avions le bassin qui relevait de par la flottaison que causait l’excès de sel marin dans le bouillon. Chacun avait la fesse qui ressortait en l’air, ce qui permettait de ressentir une petite brise agréable qui s’échappait de la fenêtre du fond.

Le maître de cérémonie arriva enfin avec ce qu’il décrit comme « L’unique plat de resistance, la crème de la crème, le chef d’œuvre culinaire du siècle, le Balzac de la pâtisserie moderne, le blablaabalbalbala…… » Il continua à déblatérer l’énumération infinie d’épithètes élogieux pendant que nous le scrutions, affamés. Il portait l’énomre plateau à bout de bras, les membres fléchis vers le haut, tel Rafiki qui tint un jour le Roi Lion.

Il déposa l’énomre plateau devant nous. Le plat se dévoila enfin. Une singulière merveille s’offrait à notre vue et à notre intestin grêle : C’était un énorme gâteau glacé en forme de chef-cuisinier nudiste. Le glaçage frais et coloré couleur-peau tapissait régulièrement l’entièreté du cuisinier défroqué (nu, sans se soucier du sens religieux). La Toque du Chef, faite de massepain, lisse comme un sein, ondulait et donnait un air magistral au cuisinier souriant. Son visage étaient tracé soigneusement dans le glaçage. On avait utilisé de la fraise pour constituer sa bouche rouge et des bleuets en guise de petits yeux rieurs. Ses mamelons étaient faits de deux rondelles de chocolat au lait et son pénis d’une banane recouverte de glassage couleur peau. Le tout nous interpelait vivement, surtout qu'un petit radio portatif scandait "mangez-moi!" à répétition, de dessous la table.

Barry prit sa fourchette et piqua le premier. Il défit magistralement un morceau du ventre de notre cuisinier moelleux et on découvrit un intérieur de cake-cerise (pour illustrer la biologie de l'humain, le rouge est un choix sensé). Chacun à notre tour, nous goûtâmes à l'homme de sucre et découvrâmes des saveurs miséricordieuses.

Ici se déroulait une scène splendide, 4 personnes nues mijotant dans des chaudrons de boullon salé, en train de se délecter d’un Chef naturiste.

Et depuis existe le dicton: Le cuisinier est mangé, le mangeur est cuisiné.  

Alex

----

COPYRIGHT Alexandra Harfouche  

Signaler ce texte