Dévotion

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Il n'existe peut-être pas, mais il en était ainsi, j'avais la furieuse envie de vérifier cela par moi-même.

A force d'y réfléchir chaque nuit au point d'en perdre le sommeil, je savais, quelque part, que si je ne m'en rendais pas compte, sa pensée me hanterait jusqu'à causer ma perte.

Il le fallait.

Je le devais.

C'était une évidence.


Ainsi, un beau matin de printemps, je décidais de ne pas me rendre à la banque, laissant le chant des oiseaux remplacer la stridente sonnerie du réveil. Mon patron n'apprécia guère ce geste, qui se perpétua encore et encore les jours suivants. L'individu me rappela à l'ordre avec fureur, mais je ne comptais pas lui obéir avant de n'avoir résolu mon obsession. En conséquence, le destin annonça que je ne le reverrais jamais : mon tendre patron m'annonça clairement la couleur non sans une pointe de rancune derrière son ton : j'étais virée.

Logique, me direz-vous.


Sur le moment, ce détail me sembla d'une petitesse invraisemblable vis-à-vis du secret dont j'allais découvrir les failles par je ne savais encore quel moyen. Certains disent que nous sommes tous sur terre pour une mission bien précise. Je m'abreuvais de cette pensée en me disant que telle était probablement ma quête. Constater de mes propres yeux le fait jusqu'alors incontestable qu'il n'existait pas. Ou l'inverse. Dont j'étais d'ailleurs intimement persuadée.

J'ai longuement erré cette année là.

Trop, peut-être.


Sept mois après mon arrêt de travail et cette folle envie de découvrir l'invraisemblable, je commençais lentement à devenir quelque peu trop lourde pour ce petit nuage qui, jusqu'alors, empêchait la réalité de ne me brûler. Le voir se dissiper, ne plus avoir son enveloppe édulcorée autour de mon organisme décharné, je me sentie soudainement aussi nue qu'un nouveau-né.

Non, je ne comptais pas tout abandonner et revenir à ma vie d'avant, si telle était ma mission, je n'avais plus rien à faire là-bas, ni dans ma ville, ni dans ma banque, je devais échapper à l'insignifiance.

A défaut de ne le résoudre, le sens de ma vie s'était dévoilé, le renier et mon existence n'aurait plus d'autre intérêt que de me porter gaiement vers ce que les hommes nomment avec effroi la mort. Ni plus ni moins.

C'était un soir de novembre. De fil en aiguilles, de villages en rumeurs, de plaines en forêts, j'étais parvenue au beau milieu d'une campagne sans charme dans quelque pays dont je ne citerai le nom, installée à la place du mort dans une petite camionnette.

L'auto-stop était devenu mon mode de transport privilégié, faute à l'argent, à la situation, à la bêtise.

L'agriculteur au volant ne disait rien, il allait à la ville la plus proche, à cinquante kilomètres. De toute façon, que se dire, ne parlant pas la même langue, n'ayant que quelques mots à nous accorder, les plus simples ?

Notre départ du village était à trente kilomètres, si un pneu crevait, là, tout de suite, nous serions perdus au beau milieu… de nulle part.

Cette pensée me traversa le corps tel un courant électrique d'une violence inouïe.

J'hurlais au chauffeur de freiner sur le champ dans trois langues différentes. Affolé, les yeux écarquillés de stupeur, le vieil homme s'exécuta et ne fut pas agacé de me voir lui demander de me laisser, là, au beau milieu de cette route abandonné. Il articula cependant quelques termes dont je ne connaissais rien, l'air effaré et surpris. Je me contentais de lui adresser mon plus beau sourire en guise de remerciement avant de m'enfuir dans les champs, vers l'hostile forêt dont on apercevait la coiffure au loin.

Je vis la petite tâche grise représentant la camionnette poursuivre cette route sinueuse, mutilant la nature de son tracé, sans le moindre regret.

Aussi frivole qu'une petite fille, je m'échappais vers les arbres dépecés, frissonnant de froid, sans parler de cette faim qui me tiraillait depuis le début de mon voyage.

C'était évident.

Quelque chose me guidait.

M'emportait.

Me tenait la main vers ce que je cherchais. Je suivis cet instinct sans rien dire, silencieuse, évitant les branches mortes de peur de ne réveiller le silence.


Au bout de plusieurs heures de marche, de plusieurs heures de perte et de folie, contournant les bosquets, près d'un ruisseau asséché, je découvrais enfin la réponse à mes questions.


J'avais raison.

J'avais raison, depuis le début.

Il existait.


Ma quête prenait fin, aussi inutile et sordide fut-elle.


Tout près du marécage dont on pouvait distinguer les ombres boueuses, un panneau de bois l'indiquait avec fierté sur son visage fissuré par l'usure : « Nulle part ».


Je restais assise face à lui, enfin apaisée, rassérénée, mon regard se fondant sur son annonce délicieuse, laissant la nuit et ses nordiques températures m'emporter avec elles, mon sang se figeant à mesure que les degrés descendaient en dessous du zéro salvateur.


Sans regret.

J'avais ce que je voulais.


« Nulle part » existait.



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