Nymphaie.

odeanox

Bad weeds grow tall

Tu sais j'ai relu Chloé.

Les Juins ont tous la même peau.

Dix ans que je te connais, toi. Dix ans où j'ai dû lutter, fort fort, la mort du père l'absence de famille les dépressions la bizarrerie la solitude la haine de soi. Dix ans durant lesquels le psy s'exclame il faut pas rester comme ça vous allez gâcher votre vie. L'ex qui dit aussi : j'ai trente ans la mienne est finie. A l'époque je la crois, j'en ai vingt-trois, trente ans c'est tellement vieux, tellement, puis qu'est-ce que je vais faire de moi-même, je n'existe pas. 

Je n'existais pas. Existait un personnage où les stigmates de l'enfance en lambeaux, plus visibles que le corps lui-même. Alors oui études brillantes, quelques amours dont beaucoup solitaires, des amis qui ont fini par ne plus mériter ce nom, mais moi, le moi déstructuré, tellement brutal et amorphe qu'il a fini par être sacré un jour par la Grande Amie : égo démesuré. A l'époque je l'ai tellement mal pris, pensant égo démesuré égale se mettre en avant, se penser meilleur qu'autrui, mais non pourtant mais c'est tout l'inverse. Les autres ont tout, moi je n'ai rien, que ma peine et ma douleur et regardez-la, regardez ma douleur, il n'y a qu'elle qui existe, moi je n'existe pas, donc regardez-la, et surtout ne faites que ça. 

Puis à force, la reconstruction, sortir du deuil, conclure que ma famille n'en était pas une, mutisme imposé à la mère pendant plus d'un an, puis la Grande Amie, les baffes salutaires, égo démesuré il te faut changer, tu en es capable tu es tellement capable de ça, de tout. Se retrousser les manches, affronter seule le chaos, dire adieu au psy, et enfin se convaincre, être convaincue : je vaux quelque chose. Au-delà de ma peine, au-delà de l'histoire, j'existe, je suis.

Comme Chloé, souhaitons qu'elle ne s'en offense pas, je suis devenue une métaphore. Sans m'en rendre compte au début, mais notre fiction est similaire. Pas les mêmes âges, pas de la même façon. Mon prénom n'est plus celui de l'état-civil, l'horrible état-civil imposé par ma mère. Je ne vis pas par l'écriture mais je brode, au jour le jour, l'esprit qui habite le corps. Apprendre à danser. Discipliner le tout pour m'harmoniser avec mon propre patchwork. 

Aujourd'hui, 31 ans, j'ai cousu le point final. La Grande Amie qui m'a prise dans ses bras, les problèmes que nous avions évoqué, fiction similaire aussi elle et moi, mais pour se rendre compte de ça : nous étions survivantes, au sens propre du terme. Vivant au-delà de ce à quoi nous étions destinées, par notre naissance foirée, le manque d'amour de base et ce que le monde entier avait tenté de nous faire croire.

Nous sommes fiction. Parce que nous avons échappé au pire. Nous construire nous-mêmes. Devenir nos propres parents. Orphelines du cœur émancipées du nom. 

Si je voulais survivre sans monde, sans y être, y être vraiment, à son contact, sans avoir à palper ses carcasses confites de sang noir dès le réveil, je n'avais pas le choix. Je devais trouver la formule qui change les jeunes filles dépressives en personnages de fiction propre, au fil narratif, singulier sans joug de fiction collective. 

Aujourd'hui je danse, je danse sur le chaos, le chaos de moi-même et du reste du monde mais je danse, corps fort, pieds en pointes, métempsycose perpétuelle, l'âme enfin décillée. 

Signaler ce texte