Ô mage

absolu

C’est la nuit qui s’empare de tes chairs, c’est la nuit qui se dresse devant nous. C’est la vie qu’il y a encore dans tes yeux, c’est le voile du crépuscule le plus cruel que je connaisse. L’oxygène gonfle tes poumons ravagés, je sais que bientôt l’orage abattra sa foudre sur toi. Tu cherches l’air, chaque inspiration semble la dernière. Tu luttes tout ce que tu peux, tu veux vivre, encore un peu. Tu me regardes, au plus profond de mon être, du plus profond de ton âme. Tu me dis l’essentiel, entre deux apnées. La version officielle, je la connais. Tu me dis qu’il faut aimer, sans compter. Je compte les secondes que dure ton regard, égarée. Le dernier échange, que l’on aura. Je retiens mes larmes, ou les emmène dans le couloir. J’entends la mort arriver au galop. J’appelle ton fils. Ma voix se brise. Son cœur se déchire. Mes mains tremblent. Demain je lui dirai que tu n’es plus là. Il s’effondrera.

Maman t’essuie le visage, te caresse, te taquine. Elle t’aime, le plus dignement possible. Elle te regarde, regarde la vie qui s’évapore, autour de toi ; elle absorbe la moindre parcelle de toi. Elle ne sera pas là quand tu partiras. Nous ne verrons pas l’ultime soupir que tu exhaleras. Nous n’entendrons pas l’alarme des machines, seulement la sonnerie du téléphone, qui retentira, longtemps après.

Tes joues se creusent, écorchent mon cœur, la peur se sauve, face à l’horreur.

J’ai perdu mon souffle, tout à l’heure. C’est dans un hurlement qu’il est revenu, un hurlement de toi, du vide qui se faisait de toi, en moi. Un hurlement entrecoupé de larmes sans fin. Je suffoquais, comme toi. Mais je savais que je serai là, encore, demain. Et toi pas. Je savais que ça serait notre dernière fois.

Réalises-tu ce qui se joue, en toi, autour de toi ? vois-tu ce chagrin que l’on peine à dissimuler ? Entends-tu tes organes agoniser ? as-tu senti la Faux déchirer ce qui te restait d’intact ? Trancher une à une les dernières racines qui te retenaient, qui te rattachaient à nous ?

Mon arbre de vie se meurt, se flétrit, d’heure en heure. L’écorce se durcit, concentre la sève qui reste, les dernières feuilles frémissent, j’imagine ton ventre qui ne se soulève plus qu’à peine, ton regard éperdu d’amour, seul, chambre n°100. Mourant, émouvant, mots qui volent au vent, s'ennuageant jusqu'à la nuit des temps.

La mort t’a arraché à moi, violemment. Je t’avais demandé de rester un peu plus longtemps, mais tu n’as pas pu. Savais-tu ? Ou as-tu simplement ignoré la gravité, choisi de rester léger ?

Tu réalises les cris qui t’étouffent, te figent
tu tentes de faire bonne figure, gardes tout pour toi, ou presque, pour une fois
regardes autour de toi, et ne t’y retrouves pas, ne vois plus que l’immensité d’un ciel prêt à t’accueillir, et toi pas prêt à y aller.

Maman s’est appuyée sur moi, avant de venir te voir. Le temps s’est condensé, dans ta chambre, s’est déposé sur ton visage, a détendu tes traits, y a laissé un sourire, en coin, bien sûr. Te voilà apaisé. Enfin.

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