Obsession partie 2

Marie Aude Thevenet

    PARTIE 2

CHAPITRE 1

—Jess ? J’ai trouvé une chaise. Tu es là ?

Mais où est elle donc passé ? J'avais beau chercher partout dans la salle où nous étions, je ne la voyais nulle par. Je déposais la chaise près de la porte-fenêtre. Jess avait sûrement décidé de prendre l’air. Avec sa grossesse, les « j’ai trop chaud » et les  « j’ai trop froid » était devenue monnaie courante.

Toutes mes pensées étaient tournées vers elle. Quelle bénédiction de l’avoir rencontré. Elle avait transformé ma vie au point que chaque séparation devenait une torture. Après la naissance du bébé, il faudra trouver une solution. Je n’aurais plus le courage de partir, sur les plateaux, loin d’eux.

—Jess ? Balayant la terrasse du regard, je découvris 2 ballerines abandonnées aux pieds des transats. Une décharge électrique parcourue tous mon corps. Quelque chose n’allait pas  JESSICA ! Hurlais-je en fouillant le jardin du regard.

Personne, pas une réponse. Un calme inquiétant régnait autour de moi. Me précipitant à l’intérieur, je hurlais de plus belle.

—Quelqu’un a-t-il vu Jessica ?

Les conversations s’interrompirent et tous les regards se braquèrent sur moi.

—Elle allait en direction de la terrasse tout à l’heure. Dit une des actrices en pointant du doigt l’endroit d’où je venais.

Je sentis mon sang se retirer de mon visage, où était elle ?

—Mes gardes du corps, où sont-ils ? Aboyais-je, terrorisé.

—Gabriel, calme toi ! Elle doit se reposer dans une des pièces à côté, dit David, mon agent.

Je me précipitais vers le hall, je courus dans les couloirs qui desservaient toutes les pièces, ouvrant porte après porte, je découvrais que des meubles et des bibelots. Quand je franchis la dernière porte, j’eus froid dans le dos. Faisant volte-face, une nausée me prit à la gorge.

—Appelez une ambulance ! Hurlais-je. David, aide-moi !

Personne ne réagit.

—David, viens vite ! Magne toi !

—Oh merde, dit il en arrivant sur les lieux.

Michel et Christian étaient allongés à même le sol. L’un semblait dormir, mais l’autre avait le visage défiguré et baignait dans son sang. L’atrocité de cette découverte me fit peur, je n’osais penser à la suite.

—Dieu soit loué ! Dis-je soulagé de voir leur poitrine se soulever imperceptiblement.

—J…Jo…Joëlle, murmura Michel.

—Joëlle est là ? Répétais-je me sentant au bord de la crise cardiaque. Je tombais assis par terre.

Réfléchi !

Il fallait réfléchir et trouver la solution. Qu’avait-elle fait à Jess ? Où étaient-elles parties ?

—On appelle la gendarmerie Gaby, ne t’inquiète pas. Les caméras de sécurité fonctionnent 24 heures sur 24, et il y en a quatre sur le parking, on va bien découvrir quelque chose !

David prenait les choses en mains, heureusement, j’étais incapable de réagir correctement. Il appela l’ambulance pour mes deux malheureux acolytes et téléphona à la gendarmerie expliquant le peu d’élément dont nous disposions.

Réfléchi !

Tous se bousculaient dans ma tête, les lettres, les menaces, les colis, le bébé et Jessica.

Réfléchi !

—Allez mon vieux, courage, dès que l’ambulance est là, on file à la salle de surveillance, c’est là que tout ce décidera. Dit David essayant de réconforter son ami.

—Il faut que j'appelle Émilie, et Rivo. L’un comme l’autre peuvent nous aider.

L’ambulance arriva quelques minutes plus tard. Le médecin auscultât les deux gardes du corps. Se retournant face à nous, il expliqua.

—Leurs jours ne sont pas en danger, mais ils n'ont pas mal été sonnés. La personne qui a fait ça n’y est pas allé avec le dos d’une cuillère. Je les emmène à l’hôpital pour plus de sécurité. Le grand gaillard a besoin de sutures, appelez-moi plus tard, je vous en dirais plus.

—Merci beaucoup docteur, ne m’en voulez pas si je ne vous appelle pas, je pense que vu les circonstances, ils comprendront. Répondis-je.

Je me tournais vers David, lui faisant signe que nous partions de suite.

—Il faut vraiment que j'appelle Émilie et Rivo ! Lui dis-je.

—OK ! OK ! Appelle-les pendant qu’on va dans la salle de surveillance, suis-moi.

Sortant mon portable, je suivis David à l’aveuglette.

—Allô Émilie ?

—Salut les tourtereaux, comment a…

—Pas le temps ! Lui dis-je en lui coupant la parole. Les enfants et toi allez bien ?

—Oui, pourquoi irions-nous mal ?

—As-tu vu ou eu des nouvelles de Joëlle ces derniers jours ? La pressais-je.

—Euh, non, mais enfin, vas-tu me dire ce qui se passe, Gabriel ? Sa voix montait d’une octave.

—Jess a disparu, expliquais-je d’un air éteint.

—Oh mon Dieu ! Non,…ce n’est pas possible…tu disais que…tu veillerais sur elle ! Qu’est-ce que tu as faits ?

Je me sentais totalement impuissant, une faiblesse me coupait les jambes. Mon dos se voûta et alla s'écraser contre le mur. Heureusement qu’il était là, sans lui je me serais affalé par terre. David entendant les hurlements d’Émilie, m’arracha le téléphone des mains, à voir sa tête, la colère montait plus qu’il ne le montrait.

—Allô ? Il n’a pas besoin qu’on lui aboie dessus, il a besoin de soutien ! Qui que tu sois pour lui, aide-le, au lieu de dire des conneries.

—Qui est à l’appareil ?

—David, et toi, la crécelle, as-tu vu cette folle de Joëlle ?

—Non !

—As-tu une idée de l’endroit où elle peut être ?

—Non ! Répondit elle sèchement.

—Fouille autour de toi et tiens-nous au courant ! Note bien mon numéro de portable, Gabriel aura sûrement des difficultés pour te répondre.

—Donne !

—06.56.43.5…4., on donnera le numéro de téléphone de Gaby aux gendarmes, si tu as du nouveau, appel sur le mien, OK ?

—OK, passe-moi Gabriel ! Ordonna-t-elle sèchement.

—Elle veut te parler, dit il en me passant l’appareil et en levant les yeux au ciel.

—Allô, Gabriel ? C’est qui ce type ? Tu me tiens au courant dès que tu as du nouveau ! Je vais faire des recherches de mon côté. Ne t’inquiète pas pour les enfants, je veille sur eux.

—OK Émilie, mais surtout restez à l’appartement, ne sortez pas ! S’ils vous arrivaient quoique ce soit à tous les trois, je ne me le pardonnerais jamais.

En raccrochant, je me rendis compte que nous étions arrivé devant une porte, où il était inscrit : PRIVE.

La salle plongée dans le noir, n’était éclairée que par les écrans de télévision. David alluma un poste et s’installa sur le seul siège de la pièce. Il commença à toucher aux multiples boutons devant lui. Son expérience en matière de technologie était vraiment la bienvenue.

—On va commencer par la caméra 2, c’est celle du parking et du portail d’entrée. Dit-il en pianotant sur plusieurs boutons à la fois.

—OK, je te fais confiance, tu y connais plus que moi.

Appuyant sur une touche, mon calvaire commença. Je nous vis descendre de voiture, marcher en souriant, main dans la main. Ma Jess avec son joli ventre rond montait les marches. Fermant les yeux, je me sentis misérable. Pourquoi l’avais-je laissé seule ?

Les gendarmes arrivèrent et les interminables questions se succédèrent.

—Où étiez-vous ?

—Avec qui étiez-vous ?

—Où l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

—Nous avons contacté Monsieur Rivo, il nous a expliqué la situation, dit le plus âgé des gendarmes.

Répondant le plus précisément possible, je regardais de temps en temps la vidéo et David. Ne sachant quoi dire de plus, ni quoi faire, je restais là, impuissant.

-Gaby regarde ! On dirait Jess ! Dit David au bout d’un moment.

Nous nous penchâmes tous les 4 sur l’écran. On devinait sa silhouette, alourdie par sa grossesse, longeant le mur. Sa démarche chaotique, sûrement due à ses pieds nus, était hésitante. Elle s’arrêta derrière une voiture.

—Joëlle ! C’est Joëlle qui la suit ! M’exclamais-je en sentant mon sang se retirer de mon visage. Mais elle va étouffer là-dedans, elle est complètement folle cette femme !

Au fur et à mesure que le film défilait, je vis avec horreur, ma Jess se contorsionner, se plier autour de notre bébé pour entrer dans le coffre de la voiture. Le coup qu’elle reçut fut trop pour moi.

Morte.

Ma femme était morte. Une fureur s’empara de moi. Une violence jamais éprouvée s’insinua dans mes veines. Je perdais la raison.

—Je vais la tuer ! Je l’étranglerais de mes propres mains ! Hurlais-je fou de rage.

—Calmez-vous Monsieur Prinsson, dit calmement l’un des gendarmes, chaque chose en son temps, ajouta-t-il essayant de détendre l’atmosphère.

David se tourna vers moi, mi-effrayé, mi-compatissant.

—Il faut d’abord la retrouver, après tu l’égorgeras si tu veux, enfin,… c’est une expression messieurs les gendarmes, dit précipitamment David.

De colère, j’envoyais mon poing contre la porte. L’immense trou que je fis ne me calma pas pour autant, bien au contraire.

—Identifiez-vous la voiture ? Demanda l’autre gendarme. On dirait une Ford, mais je ne connais pas ce modèle ! Avec les plaques on va pouvoir remonter jusqu’au propriétaire.

Mon regard se stoppa sur l’image de la voiture. Je n’en croyais pas mes yeux. Elle avait osé !

—Ne cherchez pas, c’est la voiture de Jessica. Émilie l’a vendue, avec son accord, il y a deux mois environ, dis-je interloqué.

—La crécelle ? Demanda David.

—Écoutez messieurs, nous avons pris note de tous ce que nous avons découverts. Nous filons au bureau pour porter un avis de recherche. Soyez le plus disponible possible et gardez votre téléphone sur vous, que l’on puisse vous joindre à n’importe quelle heure.

—OK, ne puis-je que répondre. Je vais appeler Émilie, pour qu’elle me faxe les papiers de la vente, nous aurons les noms des nouveaux acquéreurs.

—Merci et bon courage, Monsieur Prinsson, dit l’un des gendarmes en prenant congé.

Allant dans les couloirs pour retrouver un peu de solitude, je composais le numéro de téléphone de mon appartement. David me prit l’appareil des mains.

—Pose toi un peu, ne casse plus rien ! Laisse-moi faire !

Ne lui opposant aucune résistance, je m’appuyais contre le mur essayant de suivre leur conversation.

—Allô Gabriel!

—Emilie ? Non c’est David, dites-moi, la Ford, à qui l’avez-vous vendu ?

—A un couple à la retraite, pourquoi ?

—Joëlle l’a en main et c’est avec elle qu’elle a enlevé votre amie !

—C’est impossible, le couple est venue la chercher il y a quelques semaines, c’est moi qui leur ai vendu.

—On a la preuve avec les caméras de surveillancs, je ne vous raconte pas de salade ! Vous auriez les noms de ces personnes ?

—Rotmane, ils sont de Murles, je crois, ou Montarnaud, je ne sais plus bien, mais je suis certaine du nom.

—OK, merci.

—Tenez-moi au courant !

Je suivais cette conversation, comme si j’étais spectateur d’un film, d’un mauvais film.

—Alors ? Croassais-je, incapable d’avoir un timbre de voix normale tellement ma gorge était serrée.

—La voiture a été vendue à un couple dénommé Rotmane.

—J'appelle Rivo, il pourra mener son enquête en plus de celle des gendarmes.

Dès qu’il décrocha, les mots se bousculèrent dans ma bouche, ils sortaient seuls sans que je réfléchisse. J’expliquais la situation, tirant les grandes lignes de l’enlèvement. Il promit qu’il ferait les recherches, ses contacte pourraient lui en dire plus. Mais dans l’immédiat, il faillait que je libère la ligne de mon portable pour le cas ou Joëlle déciderait d’appeler, m’expliqua-t-il.

—Ne perdez pas espoir, Monsieur. Elle fera une erreur tôt ou tard, si ce n’est déjà fait.

Coupant la conversation, je fixais mon portable attendant une sonnerie, qui me libérerait de ses chaînes qui me maintenaient au fond du gouffre dans lequel j'étais tombée, mais rien ne vint. Je réfléchis toute la nuit, mais rien ne se passa.

CHAPITRE 2

Au petit matin, David me regardait, impuissant. Des cernes noirs ombraient nos yeux, la fatigue nous tombait dessus, mais nous tenions bon.

—Nous avons regardé les vidéos toute la nuit, calme toi, ton Rivo a dit qu’il t’appellerait dès qu’il en serait plus.

—Toi qui as eu Émilie, ça va elle est les enfants ?

—Oui à priori oui, l’hystérique va bien. Mais, si tu es d’accord, je pense partir chez toi pour voir si tout se passe bien, on ne sait jamais.

—Tu me soulagerais d’un grand poids si tu pouvais y rester jusqu’à ce que se soit fini.

—Je veillerais sur eux, fais-moi confiance.

Me prenant la tête dans les mains, je sentis une grande fatigue s’appuyer sur mes épaules.

Où était elle ? Il fallait tout reprendre du début, quelque chose nous avez sûrement échappé.

Récapitulant ces 6 derniers mois dans ma tête, tous les rebondissements, nos journées colorées, celles houleuses, je ne fus pas plus avancé.

—Elle n’est sûrement pas restée dans les parages, dit David. Elle a pris le large, c’est sûr. As-tu une idée ? Elle habite où cette nana ? Elle bosse dans quoi ?

—Esthéticienne et elle habite dans le village à côté de celui de Jess.

—Elle n’a pas de famille aux alentours ?

—Pas que je sache.

—Une maison de vacances ?

—Je ne connais que son nom de famille. Rivo doit me rappeler pour m’en dire plus, il doit se renseigner sur elle.

—Et l’hystérique ne peut pas t’aider ?

—Elle s’occupe déjà de mes beaux fils et de mon appartement, je ne vais pas la stresser encore plus avec ça, et puis elles étaient proches toutes les deux donc, c’est délicat pour elle. Joëlle a pu lui raconter des âneries. Rivo aura les bons renseignements lui.

Rivo n’appela qu’à 13 heures.

—Son nom de jeune fille est Cambert, mais en fouillant bien, j’ai découvert que ça mère était mariée avec un Rotmane après le père de Joëlle. C’est sûrement eux qui ont acheté la voiture. Son casier judiciaire et vierge. D’après les infos recueillies, ils ont 3 maisons de famille. 1 à Murles, c’est à priori là qu’elle réside, 1 au Pompidou, après la corniche des Cévennes et un appartement sur Paris dans le 15eme arrondissement. Honnêtement vu la situation géographique des 3 maisons, j’opte, par déduction, pour celle en Lozère.

—Ouais, c’est une chance sur trois, dis-je plus démoralisé que jamais.

—Monsieur Prinsson, c’est quasiment sûr. Elles ne peuvent qu’être là-bas.

—Et si elles n’y sont pas ? Demandais-je sceptique.

—Et si elles y étaient, répliqua-t-il du tac au tac.

—Bon OK, je décolle. Je vous tiens au courant.

Sans explications pour David, je sortis du studio, grimpais dans ma voiture et prit la route. Je ne savais même pas où se situait ce « Pompidou ». Je réglerais le GPS sur l’autoroute, me dis-je, en fonçant sur la départementale.

Réfléchir. Vite.

Ses deux mots se bousculaient dans ma tête. Ils tournoyaient, s’imbriquaient, se confondaient.

Où étaient elles ? Jess allait-elle bien ?

CHAPITRE 3

Les quelques kilomètres qui menaient à l’autoroute me parurent une éternité. J’aurais tout donné pour maîtriser le temps, repartir en arrière ou accélérer certains moments.

6 heures de route.

6 heures de questions sans réponses, autant d’heures d’angoisse et de peur.

2 heures de départementale et de nationale, que de la verdure, des champs, des arbres et toujours autant d’interrogations.

—VIRAGE A DROITE IMINANT !

Le virage à 90° fit crisser les pneus de ma voiture mais je continuais, la route était stimulante, c’était le bienvenue après autant d’heures de conduite et si peu de sommeil.

—VOUS ETES ARRIVEZ À DESTINATION.

Merci GPS, me dis-je en entendant cette voix robotisée. Me garant sur le bas-coté, je sortis de la voiture plus fourbue et courbaturé que jamais.

Face à moi, l’unique grande rue traversait le village. Les maisons toutes en pierres se succédaient toutes plus vieilles les unes que les autres. À ma gauche une épicerie, qui faisait office de boulangerie, de tabac et de presse, mais elle était fermée. A ma droite, un panneau chambre d’hôtes trônait sur une façade récemment rénovée, où tous les volets étaient clos. Le village fantôme, pensais-je, ne voyant que 3 voitures garées sur le bas côté.

Attendant que quelqu’un se manifeste, je pris appui sur ma voiture.

Personne. Pas âme qui vive dans ce trou ! Prenant mon courage à deux mains, je toquais à la première porte.

Rien.

Passant à la seconde porte, j’eus plus de chance.

—Ouais ! Dit un vieil homme, sûrement un paysan, au visage buriné par le grand air, en ouvrant la porte.

—Bonjour Monsieur, veuillez m’excuser, mais je suis à la recherche d’une personne qui m’est très précieuse. Elle a une Ford Orion grise, c’est un très vieux modèle, l’auriez-vous vu ?

—B’jour ! Ch’sais pas moua, c’est l’village touristique ici, y a du monde en saison. T’endais, se tournant derrière la porte il hurla, MARYSE ? T’y as vu la voiture grise ?

—Vu l’quoi ? Cria-t-elle à son tour.

—L’voiture grise du M’sieur. L’cherche la voiture grise d’sa bonne amie.

—Ouais, j’crois. L’traversait l’village c’matin. L’partait la haut, à l'Boirie.

—V'là, M’sieur, M’dame elle dit qu’la vu partir en direction d'la Boirie.

—Euh…Merci, dis-je essayant de comprendre, de décrypter l’échange dont je venais d’être témoin, …euh c’est où « Boirie »

—Non « LABOIRIE », dit-il en faisant un énorme effort pour articuler. Toujou’l tout d’oit, la haut y a pas à vous tromper.

—Merci, monsieur, madame, je vous revaudrais ça, merci infiniment.

Sans me retourner, je couru à la voiture et sautais au volant. De savoir qu’elles étaient passées par là, je sentis une excitation me gagner, mais aussi une rage folle s’empara de moi. Tournant le contacte de mon bolide, passant la première, je fis crisser les pneus, j’étais tellement pressé, que je ne me contrôlais plus.

Vite !

La limitation de vitesse était limitée à 30 Km heure et des dos d’âne s’alignait à intervalles réguliers. Ne ralentissant pas le moins du monde, la voiture décollait et frottait le bitume avec violence, mais mon impatience prenait le dessus sur la raison. La sortie du village fut éprouvante. Je faillis partir dans le fossé, tellement le dernier virage était serré.

—Du calme, ce n’est pas en te plantant que tu vas la retrouver, dis-je à voix haute dans l’habitacle. Les palpitations rapides de mon cœur me donnèrent la nausée. La précipitation me faisait trembler.

Respirer, se calmer.

Je me souvenais avoir dit ces mêmes mots à Jessica quelques mois plus tôt. Jamais je n’aurais pensé me les répéter un jour.

Le deuxième virage, et j’espérais le dernier, me donna des sueurs froides le long du dos.

—Merde ! M’exclamais-je, heureusement que personne ne venait en face !

CALME.

Le panneau « LA BOIRIE » fut à ma droite. Pilant net, ma voiture fit une embardée et elle stoppa sa course à quelques centimètres du bord du vide.

Regardant le paysage autour de moi, je ne vis que des champs qui s’étendaient à perte de vue, une immense ferme, et rien. Rien que de la verdure et cette grosse bâtisse.

Le désespoir m’envahit. Qu’avais-je fait au bon Dieu ! Je n’avais plus rien !

Descendant de voiture, j’en fis le tour pour me calmer. De rage, mon pied partit fracasser un gros bout de bois et, de désespoir, je lançais mon portable, il voltigea dans les aires et s’éparpilla sur le bas côté. Abattant mon poing sur le toit de la voiture, je sentis mon impuissance grandir. Que faire ? Où aller ? Je devais réagir.

Réfléchir.

—Excusez-moi monsieur, vous vous sentez bien ?

Je ne l’entendis pas, me laissant glisser au sol, un froid m’envahit, m’engourdit l’esprit. Une femme d’un certain âge s’agenouilla face à moi, ses mains étaient pleines des pièces de mon portable. Me secouant le bras, elle me dit :

—Monsieur ? Vous allez bien ?

—Pas vraiment, répondis-je fixant ce regard bleu.

—Venez, j’habite la ferme que vous voyez là, levez-vous, je suis vieille et vous, vous êtes trop lourd pour que je vous porte !

Me tirant par les bras pour me faire réagir, elle réussit à me lever.

—Vous pouvez laisser la voiture là, il n’y a pas âme qui vive ici, personne ne vous dira rien.

Je ne répondis rien. Enchevêtré dans mes pensées morbides, je la suivis en silence.

Elle me fit entrer dans un hangar où, du sol au plafond s’étendaient des botes de foin. Au milieu trônait un énorme tracteur de fermier vert et rouge.

—Venez ! Vous avez besoin d’un remontant ! A votre tête, ça ne va pas bien. Et votre portable a besoin d’une petite chirurgie réparatrice. Ajouta-t-elle en essayant de me détendre.

—Je cherche quelqu’un, dis-je morose sans relever la plaisanterie, et la piste s’arrête à ce panneau.

—Je peux peut-être vous aider, je vis ici depuis plus de 30 ans, je connais presque tout le monde dans la région.

—Ne me donnez pas de faux espoirs.

—Dites toujours ! Répondit-elle du tac au tac.

—Je cherche… ma femme,…elle a une Ford.

—Grise ? Me coupa-t-elle ? Bon, et bien sans vous vexer, faudrait lui apprendre à conduire à votre dame !

Relevant la tête, mes sens en alerte, je hochais la tête attendant la suite. Elle se tourna en silence, prit son téléphone posé sur une vieille commode et pianota un numéro. Tout se passait au ralenti. Je la fixais avec une lueur d’espoir, ne croyant pas à ce qu’il m’arrivait.

—Allô Jo ? Salut c’est Ange, quand tu étais aux champs, tu m’as parlé d’une furie qui a failli te renverser, la voiture n’était pas grise ?

—…

Je n’entendis pas la réponse mais la dame recula le combiné comme pour en atténuer le son.

—OK, quelle direction a-t-elle pris ?

—…

—OK, merci, je crois que tu vas aider quelqu’un ! By, merci encore.

Faisant volte-face, elle fouilla dans la vieille commode posée à même la terre battue, et en ressortir un paquet de feuilles jaunies par les ans.

—Voilà la carte de la région, à priori, elle a pris cette direction. Son doigt suivit une courbe sur le papier. De l’autre main elle écrivait toutes les indications qui me guideraient. Voilà, j’aurais aimé vous aider davantage, mais je ne peux pas vous en dire plus.

—Merci, merci beaucoup. (Aucun autre mot ne sortait de ma bouche. J’étais stupéfait. Personne ne me connaissait, mais tout le monde vous aidez sans rien demander en échange. Je n’étais que le paumé sur la route qui cherchait sa femme.) Euh si, encore une chose, pourriez-vous me donner le nom de famille du couple de retraités qui habite la deuxième maison à gauche en entrant dans le village.

—C’est Maryse et Jacques, ce sont les plus anciens d’ici. Leur nom est Pagres.

—Le vôtre et votre ami Jo ?

—Oh, excusez-moi, je ne me suis pas présentée, je suis Ange Minot et Jo, c’est Villat.

J’inscrivis leur nom sur la feuille de route qu’elle m’avait fourni.

—Merci beaucoup, vous avez été d’une extrême gentillesse, je vous revaudrais ça, soyez en assuré. Mon nom est Gabriel Prinsson.

—OK, Monsieur Prinsson, envoyez moi un autographe quand vous aurez retrouvé votre belle !

Je fus stupéfié par ces quelques mots. Elle n’était pas hystérique, et elle me connaissait !

—Vous m’avez reconnu ?

—Eh oui ! On est à la campagne, mais on à la télévision et on lie les journaux ! Les paysans se modernisent ! Dit-elle en riant. Vous faites la une des journaux de ce matin. Lisez.

SA FEMME ENLEVE, IL DISPARAIT!

C’est au cours de la soirée organisée pour la fin de tournage de « Crépuscule » que Gabriel Prinsson et Jessica Venthe, sa compagne, se sont volatilisés.

Le couple le plus glamour du moment a été vu pour la dernière fois pendant l’apéritif. D’après l’enquête menée par la gendarmerie, Madame Venthe aurait été enlevé au milieu des festivités.

Aucune demande de rançon n’a été exigé actuellement.

L’acteur serait parti à sa recherche, mais où, personne ne le sait. D’après Monsieur Signadet David, son agent, et les inspecteurs chargés de l’enquête, aucune nouvelle de leur destination n’est connue à ce jour.

C’est pourquoi toute personne susceptible de donner des informations peut appeler Monsieur Rivo au 08.00.50...20.

—Merde ! Je n’ai pas donné de nouvelles, à personne. Pourriez-vous appeler Rivo pour moi, et lui expliquer la situation. Même après intervention chirurgicale, il ne capte toujours pas !

—Pas de problème !

—Je vous donne le numéro de David, vous vous êtes peut-être modernisé, mais les portables ne captent toujours pas, dis-je ironiquement.

Partant comme si le diable était à mes trousses, je sautais dans ma voiture. Posant le plan sur la place passagère, je mémorisais les directions à prendre.

Je filais seul sur cette route déserte. Pas âmes qui vives, rien que des pierres en forme de menhir et des champs vert. Après plus d’1/2 heures de route, je trouvais enfin la route de gauche qu’Ange m’avait indiquée. C’était ma seule piste, après, plus rien. Warning en marche, ralentissant au maximum, je parcourais cette maudite route. Regardant de gauche à droite, je cherchais une piste.

Mon cœur cessa de battre. La peur s’empara de moi. Freinant, je me précipitais dehors. Je découvris la Ford, en contrebas, à l’envers, couchée dans le ravin. Impuissant, ma vision se brouilla, mon sang battait dans mes oreilles, assourdissant.

—Oh Jess !

Me précipitant dans le vide, j’atterris sur l’essieu arrière, entre les deux roues de la voiture.

—JESS ! Hurlais-je.

Le véhicule oscilla un peu. M’y agrippant, je continuais de chercher. Me penchant à la vitre, je ne vis personne.

—JESSICA ! JESS !

Mes poumons allaient éclater. Où était elle ?

Je regardais partout, je ne vis personne, il n’y avait que cette forêt à perte de vue, noire, sombre et humide.

Remontant dans mon bolide, je m’affalais sur le siège. Je fixais la route comme si celle-ci allait me donner les réponses que j’attendais.

Ange ! Elle seule pouvait m’aider. Faisant demi-tour, sans regarder ni à gauche, ni à droite, j’accélérais. Vite. Très vite.

CHAPITRE 4

—ANGE ! Hurlais-je.

—Qu’est-ce qu’il y a ? Dit-elle se précipitant vers moi, vous l’avez retrouvée ?

Mon hochement de tête et ma stature voûtée lui donnèrent la réponse.

—Leur voiture s’est renversée, mais il n’y a personne à l’intérieur, aucune trace de Joëlle ni de Jessica.

—Je viens d’avoir Monsieur Signadet et Monsieur Rivo au téléphone, ils m’ont tout expliqué. Cette Joëlle est vraiment tordue. Que voulez-vous faire ?

—Je n’en sais rien, je ne sais plus rien. J’ai mal à la tête ! Je n’en peux plus, dis-je retenant à grand peine les larmes de rage.

Un homme était censé être solide, fort, macho comme le pensent toutes les femmes. Là, je n’étais qu’un être humain, un homme à qui on avait enlevé sa raison de vivre. J’étais à bout.

—Vous aimez le whisky ? Demanda Ange.

J’étais incapable de répondre. Mes yeux ne voyaient plus rien, mon corps ne réagissait plus, il tressautait au rythme de mes sanglots.

—Monsieur Prinsson, reprenez-vous ! La voiture était vide ? Donc, elle est encore en vie. Ne perdez pas espoir ! Vos amis seront là d’ici ce soir ! Rentrez, venez prendre un remontant !

Me traînant plus qu’autre chose, elle me fit entrer dans la maison. Traversant une entrée lambrissée, nous nous installâmes dans un salon style campagnard. Avisant un vieux fauteuil, je m’y affalais. Que faire ? Où chercher ?

Ange me mit d’autorité un verre de « remontant » dans les mains. Sans réfléchir, je le bus cul sec. Une vague de feu déferla dans ma bouche et échoua jusqu'à mon estomac. Une chaleur bienfaisante se répandit dans mes veines. Un bien-être s’instaura dans mes muscles, je me détendis instantanément.

—Ça va mieux ? Me demanda-t-elle en observant mon relâchement.

—Hum, répondis-je fermant les yeux de plaisir et d'apaisement.

—Bon maintenant, vous allez vous reprendre, arrêtez de vous morfondre. Ce n’est pas dans la déprime que l’on trouve une solution. Si la voiture est vide, c’est qu’elle n’est pas morte.

Rivo et David arrivèrent chez Ange vers 22 heures. Ce précipitant à l’intérieur sans frapper, ils se pointèrent devant moi.

—Eh bien, c’est perdu ici ? S’exclama Rivo. Moi qui croyais que ma retraite à Marvejols était déjà un trou perdu ! J’ai trouvé pire !

—Ravi de vous entendre rire en pareille circonstance, Monsieur Rivo, dis-je me détendant instantanément à leur arrivée. Salut David, comment vont Émilie et les enfants ?

—Ils vont bien, ne t’inquiète pas. Elle gère tout très bien.

—Si je pouvais gérer la situation aussi bien qu’elle, je n’en serais pas là.

Rivo me tendit le dossier qu’il avait en main.

—Voilà la copie de l’enquête en cours, je vous l’ai amené pour que vous suiviez ce qui se passe.

Ouvrant le classeur, les premières feuilles étaient les mêmes que celle que Jess et moi avions découverte dans ses dossiers. Les autres étaient des attestations, des courriers complémentaires, des récapitulatifs de pièces à conviction. Une chemise jaune attira mon attention. Je ne l’avais jamais vu auparavant. L’ouvrant j’en sortis tout un tas de documents.

FICHE D’AUTOPSIE

Homme, 45 ans, Blanc.

1 mètre 75, brun.

Nombreuses contusions sur tous le corps.

Traumatisme facial du à l’éclatement du pare brise.

Fracture faciale, enfoncement de la boîte crânienne.

—Euh Rivo ? Dis-je.

—Oui, qui y a-t-il ?

—Ce n’est pas le bon dossier d’autopsie !

—Ce n’est pas possible ! Je l’ai pris à la gendarmerie, et j’étais présent le jour où ils ont classé le dossier, regardez, j’ai signé.

—Nicolas faisait presque ma taille et n’avait pas 30 ans à son décès. Je suis formel. On a trié ces affaires et je suis tombé sur des rapports médicaux le concernant, appelez Émilie, elle vous le confirmera. Elle l’a connu, et les papiers sont encore dans mon appartement, elle pourra vous les faxer si nécessaire.

—C’est impossible ! Cria-t-il n’en démordant pas. Qui était ce alors ? La voiture était bien celle de Jessica Venthe ? Et la chevalière était bien à lui ? Émilie l’a reconnu !

—Non y a un problème…

—Cette Joëlle doit connaître la vérité, dit David en lisant le dossier par-dessus mon épaule.

—Oui mais elle est où ? Je ne la trouve pas ! J’ai suivi la piste jusqu’à la voiture, et rien, ni Jess, ni Joëlle.

—Rendons-nous sur place, mieux vaut trois paires d’yeux qu’une seule, dit Rivo.

Ange intervint de suite, étant extérieur à toute cette agitation, elle réussit à maîtriser nos ardeurs.

—Attendez un peu vous trois, comment ferez-vous pour vous repérer la nuit dans la forêt ? Vous vous êtes fait greffer des yeux de chat ? Nous ne sommes pas en ville ! Vous vous situez en rase campagne, je ne vais pas courir partout et ameuter tous les fermiers du coin pour vous retrouver en pleine nuit ! Le jour se lève à 5h00. Soyez raisonnable, allez vous coucher et demain se sera plus claire pour tout le monde.

En marmonnant dans ma barbe, je me dirigeais près de la cheminée. Mes yeux s’accrochèrent aux flammes, d’une violente impulsion, mon poing s’abattit sur la poutre. La douleur résonna de mes doigts jusque dans mes jambes. Que se passait-il ? Toute cette histoire était vraiment irréelle !

A croire que depuis notre rencontre, Jess et moi, une main écrivait notre parcourt comme un mauvais scénario. Pas de répit, pas de calme, chaque jour était aussi horrible que la veille. Y aurait-il une fin ?

—Va dormir Gabriel, enfin essaie du moins ! Dit David en voyant mon expression tourmentée.

—Je n’arriverais pas à fermer l’œil de la nuit, ça ne sert à rien ! Je ne sais pas où elle est ? Je ne comprends pas comment un homme peut être mort, mais peut-être aussi vivant ! Comment peut-on abandonner sa femme et ses enfants ? Toutes ses questions tourbillonnent dans ma tête depuis tout à l’heure et me rendent dingue !

Ange vint vers moi et sans brusquerie, me saisit le bras et me tira vers l’escalier.

—Allez au lit, Gabriel ! Je vous amène à votre chambre, vous n’obtiendrez pas de réponse ce soir, donc allezvous reposer, vous y verrez sûrement plus clair demain.

—David ! Essaie de téléphoner aux flics pour savoir où ils en sont !

—Euh, OK, mais demain, je ne pense pas qu’ils travaillent la nuit !

—Monsieur Prinsson ! Je pense plutôt m’en occuper, ils me connaissent bien et on est continuellement en contacte, il faut bien que je répare certaines négligences que j’ai commises !

—Et vous en êtes où ? Répliquais-je plus hargneusement que je ne l’aurais voulu.

—Ils ont repris toutes les preuves et les nouveaux éléments. J’ai eu mon collègue et lui ai annoncé que vous étiez formel sur l’erreur du rapport d’autopsie, ils font une demande d’exhumation au juge d’instruction, et celui-ci formulera la demande au procureur de la république. Vu l’avancement de l’enquête et l’enlèvement de madame Venthe, je ne pense pas que ça traîne beaucoup.

—Je vous remercie de faire votre possible, mais ne serait-il pas plus judicieux de faire appel aussi à un détective privé ?

—Si vous le désirez, demain je vous donnerais les coordonnées d’un homme avec qui j’ai bossé et qui est de toute confiance. Je rentre demain à la première heure, tout sera noté et posé sur la table.

—Je ne pars pas de la région tant que je n’ai pas retrouvé Jess. Dis-je obstinément.

—Je comprends. Se tournant face à David, il demanda ironiquement : Et vous ? Vous allez retrouver votre brunette ?

—Quelle brunette ? Dis je retrouvant le sourire momentanément. La « crécelle » a déchaîné ses charmes sur toi ?

—Grrrr, ne te mêle pas de ça, répondit-il du tac-au-tac. On va se coucher !

Une fois tout le monde dispersé et installé dans les chambres, je restais à fixer le plafond de la mienne. Les moulures et le vieux papier peint ne me détendirent pas, bien au contraire.

23 heures 15

00 heures 00

02 heures 20

4 heures 10

Impossible de dormir, me tournant et retournant sur le côté, je décidais de me lever.

Du café !

Il fallait que je tienne la journée. Pour Jess, pour les enfants et pour notre enfant. Je lui annoncerais l’effroyable nouvelle de la « mort »de son mari. Mais où était Nicolas ?

Et où était Jess ?

Tout en préparant ma tasse de café, un bruit derrière moi me fit sursauter.

—Vous n’arrivez pas à dormir ? Questionna Rivo, accoudé au passe plat de la cuisine, des cernes noirs autour des yeux. Je vous rassure moi non plus !

—Non, je ne sais pas quoi faire ! Je ne sais même pas par où commencer ! Le plus logique serait de commencer à trouver Jessica, mais dès que j’ai quelque chose, tout se complique et je perds sa trace. Dans un espace aussi vaste que la Lozère, ça revient à chercher une aiguille dans une botte de foin.

—Si vous me permettez, j’aimerais faire une demande d’exhumation le plus vite possible.

—Pour quoi faire ? Les morts peuvent attendre, ma femme non ! (Ma priorité était, et restait, Jess et le bébé)

—Je pense que vous trouverez Madame Venthe très bientôt, mais la justice Française à malheureusement des délais très très longs. Si je veux que l’autopsie ait lieu le plus rapidement possible, il faut que je passe par le juge d’instruction.

—Et ?

—Lui seul pourra valider ma demande le plus rapidement et la transmettra au procureur de la république. C’est la seule solution pour débloquer toutes cette histoire et connaître enfin le pourquoi du comment.

Sans l’autopsie, on aura du mal à boucler l’enquête. Il faut prouver que Joëlle a enlevé Jessica, et comme notre chère justice Française n’accepte pas les vidéos, rien ne pourra justifier son arrestation. Et plus vite on avancera, plus vite vous serez débarrassé de cette pimbêche !

—Oui, vous avez probablement raison !

J’essayais de débrouiller toutes les informations qu’il avait énumérées, mais mon cerveau refusait de coopérer. Toutes mes pensées étaient tournées vers Jess.

—Voici les coordonnées du détective, il s'appelle William Homson. Je l’ai prévenu que vous l’appellerez bientôt. Il est au courant de tout, il va commencer dès aujourd’hui.

—Merci, merci pour votre aide.

CHAPITRE 5

Au lever du soleil, après avoir absorbé une dizaine de tasses de café, je décidais de reprendre mes recherches. Un jour nouveau, pour de nouveaux indices ! Il fallait que je retourne là où j’avais perdu ça trace. Pour faire quoi ? Je ne savais pas mais mon instinct me commandait d’y retourner. M’installant derrière mon volant, quelqu’un ouvrit la portière opposée et s’assit à mes côtés.

—Je peux sûrement vous être utile ! Je connais bien la région.

Ange mit un énorme sac à dos à ses pieds et sans attendre la moindre réponse de ma part, attacha sa ceinture de sécurité. N’ayant pas le choix, devant son expression plein de détermination, je hochais la tête. C’est dans un silence complet que nous parcoururent les quelques kilomètres qui nous rapprochaient de notre dernière piste.

—Il faut procéder par élimination, dit Ange calmement. Elle ne peut pas être partie par là, c’est le ravin.

—Oui, ça me semble évident ! Rétorquais-je sentant l’énervement me gagner peu à peu.

—Si je suis enceinte et que je dois prendre la fuite, mon seul et unique moyen de me cacher et de prendre le chemin de la forêt.

—OK, je suis d’accord avec vous, mais pour rencontrer du monde, et avoir de l’aide il faut rester sur l’axe principal.

—On est en Lozère ! Pas sur une autoroute ! Répliqua Ange vivement. Venez avec moi !

N’ayant pas d’autre choix, je lui emboîtais le pas, regardant autour de moi, cherchant le moindre indice.

—Elle est passée par là ! Dis-je à Ange. M’accroupissant, je distinguais des branches cassées le long d’un sentier.

Hochant la tête, elle continua doucement, regardant chaque arbre, chaque branche méticuleusement.

Après 3 heures de marche minutieuse, nous débouchions sur une grande clairière verdoyante, aussi grande que la place de la comédie de Montpellier.

—Et maintenant ? On va-t-on ? Lui demandais-je, désemparé devant cette immensité herbeuse.

—Je n’ai qu’une seule chose à vous à dire : « c’est en allant doucement que l’on va vite ! »

—Votre philosophie ne va pas nous donner de réponse, il me semble que ça fait des siècles que nous marchons!

—Prenez la gauche, je prends la droite. Longeons les bords de la clairière et le premier qui trouve un indice appelle l’autre.

—OK, ça marche !

Nous séparant, j’inspectais les arbres, les buissons, les pierres. Nous avancions à pas de fourmis dans cette paroi de verdure. Mais nous ne perdions pas courage.

Nous rejoignant en face de notre point de départ, nous vîmes une branche d’arbre cassé à hauteur d’homme. Une lueur d’espoir s’alluma en moi.

—Elle a dû s’appuyer là. Continuons ! Dis-je impatient.

Nous repartîmes plus motivé que jamais. J’examinais chaque chemin et sentier et après une heure de crapahutage, nous arrivâmes en vue d’une vielle cabane de pécheur.

Une montée d’adrénaline se répandit en moi. Me barrant le passage, elle me saisit le bras et fit signe de se taire.

—Doucement Gabriel ! Mieux vaut y aller doucement, on ne sait pas qui de Joëlle ou Jessica et à l’intérieur !

—Je prends le risque ! Répondis-je me précipitant en avant.

Dévalant la pente, je me retenais d’arbre en arbre. Arrivant près de la masure, je me propulsais contre la porte. Celle-ci céda, sans aucune résistance sous le choc de l’impact. Dans ma précipitation, je n’avais même pas pensé à l’ouvrir avec douceur. Le spectacle que je découvris me glaça jusqu’à la moelle.

Jessica était étendue, à même le sol en terre battue, en position fœtale, elle se tenait le ventre de ses mains. Ses gémissements me firent sortir de ma torpeur. Je me jetais à ses côtés, la cueillis dans mes bras.

—Jess…c’est moi, je suis là. Oh… excuse moi ! Je suis là, c’est fini !

Sa tête dodelina, son poids mort dans mes bras me paralysa. Le soulagement éprouvé quelques minutes auparavant se muait en terreur.

—Non Gabriel, ce n’est pas fini, ça commence ! S’écria Ange. (Son regard inquiet me fit comprendre que quelque chose ne tournait pas rond). Elle perd les eaux ! Est elle consciente ?

—Jess ? Murmurais-je doucement à son oreille.

J’essayais de maîtriser la peur panique que j’éprouvais à la vue de la flaque qui s’agrandissait et coulait le long de ses jambes.

—Hum…soif…réussit-elle à murmurer.

—Donnez-lui de l’eau ! S’il vous plaît, Ange.

Se penchant vers nous, elle humecta doucement les lèvres de Jess. La première gorgée passa sans problème. Une crispation violente la priva de la seconde.

—Ah !!…Rrr !

—Le travail commence ! Gabriel, asseyez-vous derrière elle, et prenez là contre vous ! Je vais voir où ça en est. Ordonna Ange. C’est son premier ?

—Non, son troisième. Mais (faisant un rapide calcule) il nous reste encore 5 semaines ! Elle ne peut pas accoucher ici et maintenant !

—Ce n’est pas vous qui allez décider de ça, mon garçon ! La nature en a décidée autrement aujourd’hui !

Prenant les choses en main, Ange examina Jessica doucement. Celle-ci était contre moi, fragile et semi-consciente.

—Gabriel ? Que… que se passe-t-il ? Coassa-t-elle. Je ne rrr…

Une contraction plus forte lui coupa la respiration.

—Jessica ! Bonjour, je m’appelle Ange. Je vois la tête du bébé, nous n’avons pas le choix, ce serait trop dangereux pour vous et le petit de vous transporter maintenant. On va y arriver, ce n’est pas votre premier et moi j’en ai eu deux moi aussi, donc on peut dire que l’on est rodé !

La détermination et la confiance d’Ange apaisèrent Jessica comme un calmant.

—Et moi, je fais quoi ? Dis-je me sentant de plus en plus mal.

—Vous, vous subissez ! Et donnez-moi votre chemise. Ordonna-t-elle.

Sans lâcher « ma femme », j’enlevais ma chemise et la lui tendis de l’autre main. Replaçant confortablement Jess contre moi, je lui murmurais des phrases sans me rendre compte de leur sens. La sentir contre moi me rassurait, mais la situation dans laquelle nous nous trouvions me terrorisait.

Deux heures de contractions, de douleur, de crispation et de cri pour une chose toute sale, toute fripée et toute recroquevillée.

—Toutes mes félicitations, vous avez une jolie petite fille. La mettant d’office dans les bras de sa mère, je put apercevoir son petit minois. Une grande fierté s’empara de moi.

—Ma fille, dis-je, n’en revenant toujours pas.

—Notre fille, réussit-elle à corriger avant de retomber dans l’inconscience.

Ange se leva avec difficulté, sa grimace témoigner des douleurs musculaires dut à son âge.

—Oh, je n’ai plus l’habitude de rester à genoux. Je vais vous faire du feu, l’humidité commence à arriver. Après je vous laisse, j’irais chercher de l’aide. Ne bougez pas de là, je fais le plus vite possible. Gabriel, essayez de les tenir au chaud toutes les deux. A tout à l’heure.

Tenant « mes femmes » contre moi, je ne pouvais pas être plus heureux. Jessica aussi blanche que ma chemise s’était endormi avec notre fille lovée contre elle. La nausée m’avait quitté. Comment les femmes pouvaient-elles subir tant de douleur pour enfanter. Tant de sang, tant de souffrance pour un petit bout, c’était dément.

J’entendis l’hélicoptère au loin et en fus soulagée. La petite respirait mais très difficilement. Ange avait coupé le cordon ombilical avec un couteau, n’ayant rien d’autre a porté de main, elle avait fait avec les moyens du bord. Mais surtout ce qui m’inquiétait était le sang. L’hémorragie continuait, et commençait à sérieusement m’inquiéter. Ange m’avait prévenue que beaucoup de femmes saignaient abondamment, mais là vu la marre qui se formait, je commençais à paniquer.

J’entendis des pas, ou plutôt, une course précipitée, non loin de la cahute. N’osant pas hurler pour les prévenir, je restais immobile en priant que ce soient les secours qui viennent à nous.

Ange franchit en premier la porte, suivi de près par quatre pompiers, dont deux portaient une civière.

L’un des hommes s’accroupit vers Jess et l’ausculta. Parlant à son collègue dans un jargon qui m’était inconnu, je le vis sortir un cathéter et des poches de liquide transparent. L’autre prit la petite et la déposa doucement sur une couverture. J'étais incapable de bouger, mes muscles étaient endoloris. Je ne pouvais que suivre des yeux les soins qu’ils faisaient à ma petite famille.

—Monsieur ? Comment vous sentez-vous ? Demanda celui qui s’occupait de ma fille.

—Euh… mieux, maintenant que vous êtes là. Comment vont-elles ?

—Votre femme est déshydratée et souffre d’hypothermie. Mon collègue doit la manipuler car un bout de placenta est resté collé. Ne vous inquiétez pas, c’est courant. Mais votre fille doit impérativement partir en couveuse. Sa saturation en oxygène est trop basse et elle est en hypothermie aussi.

—Je…nous…

J’étais incapable de prononcer deux paroles cohérentes d’affilée. Ange prit les devants et expliqua comment elle avait procédé pour l’accouchement. Ils emmaillotèrent Jessica dans une grande couverture de survie, comme la petite, et les ceinturèrent sur la civière. Le chemin était étroit pour passer, nous ralentissant. Lorsque nous arrivâmes en vue de l’hélicoptère mes nerfs lâchèrent, mon soulagement devait être inscrit sur mon visage car Ange me prit dans les bras et me dit :

—Je rentre, je ramènerais la voiture à la ferme, ne vous inquiétez pas pour elle. J’appellerais Rivo et David pour leur expliquer ce qu’il vient de se passer. Reposez-vous un peu, vous en avez besoin.

—Merci Ange, pour tous ce que vous avez fait. La serrant dans mes bras, je fondis en larmes.

—Allez mon garçon, vous allez me faire pleurer aussi. Montez, ils vous attendent.

Comme un somnambule, je montais dans l’engin et sans avoir la notion du temps, je me retrouvais assis sur une chaise d’hôpital à côté de Jessica. Toujours perfusée, elle avait repris quelques couleurs.

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