Ocean Warrior, Paul Watson
blanzat
Mes lectures sont en errance, ces derniers temps, j'ai l'impression de tourner en rond autour des suites interminables, les tomes alignés d'aventures fantasy. Je fatigue un peu sur les fictions.
Mais après un crochet par les valeurs sûres de la philosophie, mon errance m'a conduit au stand de Sea Shepherd au salon Marjolaine du Parc Floral à Vincennes. Rien à voir avec le reste des exposants : Greenpeace à deux mètres de là avait en tête de gondole un quadra fringant, sourcils froncés, mains aux côtés, tignasse au vent alors qu'on était à l'intérieur.
Le stand Sea Shepherd : des pavillons noirs de pirates, un crâne au front duquel sont gravés un cachalot et un dauphin, les fémurs et les sabres en X ont été remplacés par un bâton de berger et un trident de Neptune. Derrière le comptoir, des quinquas en t-shirt noir, patibulaires mais presque, boucles d'oreilles et tatouages, on cherche la jambe de bois.
Et là je tombe sur Ocean Warrior, l'autobiographie du capitaine Paul Watson, fondateur et président de Sea Shepherd. Le bouquin est sorti en 1994, puis réédité fin 2013 chez Black-Star (s)éditions (j'ai mis une semaine à me rendre compte du double sens).
Robin des Mers
L'acte inaugural a lieu le 16 juillet 1979 dans le port de Leixoes au Portugal. À bord d'un ancien chalutier britannique reconverti en « Moby Dick mécanique », Paul Watson, âgé de 25 ans, éventre la coque du Sierra, baleinier Norvégien qui chasse les cétacés au mépris des quotas internationaux. Sous couvert de recherche scientifique, des pays comme la Norvège, l'Islande, le Japon, la Russie et d'autres encore pratiquent une pêche agressive et que Watson juge hors-la-loi.
Il ne sera pas condamné pour cet éperonnage ni pour la plupart de ses actions. Celles-ci s'enchaînent : opérations commandos contre les baleiniers islandais coulés à quai, incursion en territoire soviétique qui donne lieu à un moment magique que je ne dévoilerai pas ici, sauvetage des dauphins massacrés sur les plages d'Iki au Japon, sabotage des filets de pêche dérivants dans le Pacifique et les Caraïbes.
Tout le sens de son activisme est là : causer des dégâts matériels et financiers, ne pas faire de blessés, pousser les autorités à le condamner pour lui offrir une tribune médiatique, et protéger la faune marine.
Parallèlement, il s'engage à terre pour la protection des loups, des phoques, et invente le « cloutage des arbres » pour forcer les scieries à fermer et empêcher la déforestation.
Et ça marche : chaque campagne permet de sauver de nombreuses vies animales.
Un livre de règlement de comptes et d'aventures
Le style est simple et efficace, les chapitres s'enchaînent très vite et l'auteur nous balade sur les sept mers du globe, nous embarque dans sa vie de marin. Parfois, sa vie amoureuse surgit au détour d'une phrase, mais son propos n'est pas de s'exhiber. À plusieurs reprises, on le sent se justifier auprès de sa fille, qui ne l'a presque pas vu au cours de son enfance, son livre explique qu'il est engagé dans un combat incessant, il a choisi cette vie mais c'est loin d'être un raccourci vers sa chaumière.
« J'avais la responsabilité de diriger le bateau, d'organiser les campagnes et les contacts avec les médias, de rassembler les fonds et d'écrire un bulletin. Le nombre de nos membres restait limité puisque peu de gens avaient entendu parler de nous. Ça, c'était de ma faute. Je refusais catégoriquement de laisser les rênes de mon organisation à des collecteurs de fonds et à des administrateurs. Appels par courrier, programmes « d'adoption de baleine », marketing de la baleine n'étaient pas la voie que je voulais suivre. Je préférerais être pauvre et engagé que riche et désœuvré. »
Watson s'explique et règle ses comptes avec ceux qui ne l'ont pas soutenu, ceux qui l'ont trahi, ou mis en danger, comme Greenpeace dont il a pourtant été l'un des membres fondateurs en 1972, ou encore le Canada, son propre pays, qui l'a emprisonné pour l'empêcher d'arrêter la surpêche au large de Terre-Neuve.
C'est aussi le livre d'un amoureux de la mer, digne d'un roman d'aventures maritimes, puisqu'il passe par l'île des Cocos qui a inspiré à Robert Louis Stevenson Treasure Island. Il cite Cousteau, mais aussi Nemo, Achab, Job. Quelques traits d'humour fusent également, comme lorsqu'il hurle dans la radio du bord « Tora ! Tora ! Tora ! » à l'adresse du bateau japonais qu'il s'apprête à éperonner : c'est le cri des kamikazes nippons quand ils se jetèrent sur Pearl Harbor.
Les dialogues ne sont pas en reste :
« - Je voudrais que vous sachiez, dit-il, que vos actes en Islande étaient criminels, répréhensibles, irresponsables, méprisables et totalement impardonnables.
- Et alors ?
Il ne s'attendait pas à ça.
- Alors, je voulais juste que vous sachiez que c'est ce que je pense de vous.
- Et alors ? répétai-je doucement.
- Qu'est-ce que vous voulez dire par ce « et alors » ? demanda t-il perplexe. Vous êtes un terroriste, rien de plus qu'un vulgaire criminel.
- Quel est votre nom ?
- Mon nom ? Pourquoi voulez-vous mon nom ?
- Comment vous appelez-vous ? Insistai-je.
- John.
- John, qu'est-ce qui vous fait croire que votre opinion m'intéresse ? Est-ce que vous croyez que j'aurais dû m'interroger : « Oh, je me demande ce que John pensera si on coule des baleiniers hors-la-loi ? » John, laissez-moi vous dire quelque chose : on a coulé ces bateaux pour les baleines. Pas pour vous, ni pour aucun autre maudit être humain sur cette terre. »
COP moins 23, c'était déjà pire avant
Ocean Warrior est avant tout un manifeste, qui résonne particulièrement aujourd'hui avec la COP 21. En 1992, Paul Watson assistait au Sommet de la Terre organisé par les Nations Unies à Rio de Janeiro. Vingt ans auparavant, il avait pu entendre les chefs d'Etats réunis à la conférence sur l'environnement de Stockholm s'engager et promettre des actions en faveur de la protection de l'environnement. Voilà ce qu'il retient de Rio 92, à mi-chemin entre Stockholm 72 et Paris 2015 : « un exercice de cynisme, de marketing et de censure, (…) la plus grande vente de tee-shirts que j'ai jamais vue. »
On l'a traité de pirate, de terroriste, de dangereux criminel, de fou furieux, mais Watson s'en moque. Il préfère se définir comme un guerrier, et plus précisément un activiste écologique :
« Dire ce que les gens ne veulent pas entendre, faire ce que les gens ne veulent pas faire. J'essaie d'être ce que j'aurais aimé que mes ancêtres fussent. J'aurais voulu qu'il y eût quelqu'un pour défendre le grand pingouin, le canard du Labrador et la baleine de Biscaye, tous disparus aujourd'hui. Je suis ici pour défendre les espèces qui risquent de connaître le même sort, au nom de mes enfants et de leurs enfants. »