Ode à ma mer

Perrine Piat

Je m'assieds là, banc de bitume, butée de fortune, et je contemple l'immensité dans tes regards irisés. Flots de tendresse.

Ta ligne d'horizon me fascine, tes ondulations m'hypnotisent. Avec toi, j'ai envie de prendre le large. De revenir à l'essentiel. Je suis émue par la profondeur de tes sillons, tantôt verts, bleutés ou marrons. Et puis la houle qui ourle ton visage et moustache ton rivage. Tes bras qui me bercent d'ondes. Positives.

Je pourrais te scruter pendant des heures tant tu m'apaises. Je te regarde, je me raconte. Tu écoutes. Tu ne réponds pas. Tu t'agites par vagues. Ressac qui claque. Doux et autoritaire. Fluide et solide. Tu vas et viens. La tête hissée haute, le pied marin.

Je ferme les yeux, fouettée par tes vents, et je respire ce parfum que j'aime tellement. Puissant, iodé, originel. Il suffirait que j'ouvre mon nombril pour attraper, entre mes doigts, ce fil d'Ariane invisible qui me relie à toi. Tes effluves emplissent mon âme et mes poumons. Balaye mes narines. A tes côtés, j'ai les pupilles marines, perlées d'ondées. La fragrance de tes eaux éveille mes sens et ma peau. Le cœur couvert de tes embruns maternels, je me sens prête à tout. Libre de voguer sur ma vie.

J'aime te regarder frissonner à la surface, rire de ceux qui flottent tout contre toi. Et te chatouillent. Navigation en eaux troubles, cabotage illégitime. J'ai le cœur qui pleure quand tu t'en vas et que tu me laisses, seule sur le sable, les yeux dans l'eau. Voyage en solitaire. Grain de misère. Mais tu reviens toujours.

Alors discrètement, je te contemple. Secrètement, je t'observe. Je te vois. Te marée de mes histoires de lunes. Des châteaux que je construis, à coups de pelles et de râteaux. J'aime tant t'examiner sourire. Embrasser le monde. Eclabousser de ta beauté ceux que tu ne connais pas encore. Protéger des trésors fragiles. Faune et flore. Et t'entendre rire à t'en fendre les flots. A t'en soulever les côtes. Qu'elles soient fleuries. D'opales. Ou gravées dans du granit rose. J'adore quand tu t'amuses, que tu t'affoles. Sans digue, dingue. Jetée. 

Tu es une aventurière. Courageuse. Intrépide. Littoralement généreuse. Je t'imagine monter à chenal, jouer au golfe, bourlinguer d'estuaire en rivière. Direction le bonheur. Cap sur l'espérance. Tu es lumineuse. De la crête au séant.

Tu acceptes le monde, sans juger. Sans distinction de couleur, de foi. Une place pour chacun. Peu importe sa façon d'être. Ou d'aimer. Tu aides ceux qui peinent à flotter, qui nagent avec difficulté. Tu accueilles, tu berces. Tu emmènes. Tu abolis les frontières. Tous dans le même bateau. Sous tes cieux, les libertés sont libres d'exister. Enfin.

Sous mes yeux, tu étincelles, tu scintilles. Tu brilles. Je reste là, assise devant toi, les yeux noyés dans tes rouleaux. Dans tes profondeurs. Mises en abysses. Et c'est moi que je regarde. Mise en abyme. Sous tes cils argentés, miroirs lumineux, mes états d'âme en reflets. Echos d'ego. Mirages de ma conscience. Etendue là dans le calme et la sérénité, tu me donnes des envies d'ailleurs. De bonté. De meilleur. Tu es mon espace de réflexion, mon infinité de bonheur.

J'ai bien entendu tes conseils. La vie est un éternel recommencement dont il faut accepter le mouvement. Ne pas lutter contre les vagues. Se laisser porter.Ce n'est pas la mer à boire. C'est apprécier le chemin, l'instant présent, la houle et le vent. Abandonner la quête d'un bien-être éternel, d'une joie continue, d'un bonheur perpétuel. Onduler comme tu le fais. Retrouver le goût du précaire, serpenter dans l'instable, se gondoler dans le fugace, le temporaire. Vivre sans s'en faire. Et toujours, encore, pour l'éternité, s'enrichir de l'effet mer.

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