Oh daddy, il faudrait pas m'laisser quand j'm'réveille d' la nuit...

agathe-mirage--2

Dans une banlieue imaginaire, jolie, un peu bourgeoise, fleurie et feuillue, j'apprends ton retour

ta mère, ma mère parle de toi, ton visage, tes marques, tes changements, tes travers... te compare à un frère que tu n'as pas.

j'ai hâte, j'attends, tente de gérer cet empressement... mais, je bous, ne comprend pas tout ce baratin quand je patiente depuis 20 ans. quand je suis d'humeur à sentir ton odeur, à laisser aller les souvenirs et la tendresse

ma mère perplexe, ta mère aimante, ma soeur qui se moque de tes fringues. Blocage. Comment sait-elle? Une colère monte. Comment ? Une furie égoïste et incontrôlable s'empare de moi... Je hurle, tous se lèvent, je dégage la table violemment de ses objets avec mes bras, la renverse, cogne les chaises, une par une, les balance dans le décor, je m'époumone à m'en casser la voix. "pourquoi m'a-t'on rien dit plus tôt ? Comment ça vous l'avez déjà vu ? C'est quoi ce merdier ? Il est où ?"

On me répond à la hâte. 

J'me casse, haletante, vers le lieu, vers la rencontre tant désirée. 

une place ronde, des bâtiments autour, des arbres, un petit rond point faisant un espace verdoyant. J'arrive d'une ruelle, je traverse le rond point, aucune voiture. beaucoup de figurants comme un dimanche dans une banlieue imaginaire, jolie, un peu bourgeoise, fleurie et feuillue. j'arrive au pied d'un ancien hotel particulier en brique rouge et balcon en fer forgé. Je cris "PAPA... PAPA... PAAAAPA" je regarde au deuxième étage, rien, je tempête encore une fois "PAPA, PAPA, PAPA...", je patiente quelques instants supplémentaires, une fenêtre s'ouvre, je suis en sueur, ton visage apparaît, soulagement. "j'arrive" "jarrive" dit-on tous les deux en même temps. Je monte, tu descends. Je ne verrais pas ton appartement. On se rejoint dans l'escalier. On redescend au rez-de-chaussée. On s'assoit sur des volumes de marbre blancs. Je te vois, je te sens, je peux te toucher. On commence à discuter mais un bruit incessant m'empêche de comprendre tes paroles. deux pimbêches s'engueulent comme des chiennes. J'essaye de les ignorer un temps. Je regarde ton visage, je me tapis contre toi. Tu n'as plus de barbe, tu n'es plus aussi grand, je suis adulte, tes cheveux sont courts, ta peau est marquée par ta mauvaise vie, tu n'es pas aussi vieux que je le croyais, tu es beau, tes vêtements sentent l'amour, le pardon et le bonheur, ton corps est chaleureux... et les filles hurlent maintenant. Je bondis de leur coté, j'ai très envie de les frapper, très fort, je leur dis de bien fermer leurs gueules, elles s'arrêtent devant mes yeux foudroyants. 

Tu me proposes d'aller ans le parc, juste derrière. On sort, on marche à peine. Tu te mets sur une longboard l'air malicieux. Tu me regardes.  Je suis surprise de te voir la-dessus, mais tu t'en tires bien. Mes rollers apparaissent. Je les chausse. Je galère. Des figurants nous rejoignent comme s'ils en avaient l'habitude.  Comme si tu étais le signal pour la balade. Une poussette se met devant moi. Je prend les cannes et retrouve l'équilibre. Je peux te suivre. Tu es vachement à l'aise même sur un terrain de plus en plus difficile. D'abord lisse, le sol se transforme, des craquelures, des trous, du gravier de plus en plus mauvais, des pavés, je commence à ralentir, toi, tu es loin devant. J'ai peur. De l'herbe. Je marche. Tu t'assieds dans le bois, je te rejoins. On s'écroule ensemble, à bout de souffle, on ne parle pas. Je me blottie, je te touche le visage... je... et... tout doucement... je me réveille.  

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