On était au lycée

aile68

On était au lycée, le groupe U2 faisait des ravages chez les jeunes. Le petit baba cool que j'avais connu durant notre voyage à Rome avait poussé durant l'été et avait changé ses vêtements de berger pour d'autres plus amples, noirs comme du charbon. Tout le monde lui faisait des remarques sur son changement radical, taille, vêtements, coupe de cheveux, il n'hésitait pas à nous montrer que ça l'agaçait. Il était passé en 2nde, moi en 1ère, aucun changement physique pour moi, j'étais toujours la même fille un peu trop sage, à part que je m'ouvrais un peu plus. Je faisais partie des "fayottes du premier rang", Meredith ne s'était pas gênée pour nous le faire remarquer à moi et mes "copines" (je n'ai eu de véritable copine qu'en cours de l'année de 1ère mais ça c'est une autre histoire), nous n'avons rien répondu, la prof non plus d'ailleurs, nous étions en plein cours, elle a continué à nous ennuyer en disant: "ça se fait insulter et ça dit rien!".

Moi j'ai répondu énervée: "Ben oui tu vois, les fayottes ça dit rien en principe!"

Silence dans la classe, Meredith ne devait pas s'attendre à ce que je lui réponde ça. La prof (d'histoire-géo) n'a toujours rien dit et le cours a repris comme si de rien n'était. Moi je bouillais intérieurement, je n'ai rien compris de ce qui se disait, j'étais enfermée dans ma colère, au tintement de la sonnerie on a tous rangé nos affaires, la prof m'a retenu et m'a dit quand tout le monde était sorti:

"Vous avez bien  fait de vous défendre comme vous l'avez fait. Il ne faut pas vous laissez faire, vous-mêmes et vos camarades formez un petit groupe bien agréable. Allez, ne vous mettez pas en retard."

Avec ces quelques mots, la prof m'avait remonté le moral. Je n'en voulais plus autant à Meredith. Comme la plupart des élèves de ma classe, je ne la connaissais pas mais ça se voyait que c'était une fille de bourge, peut-être fille de prof ou de médecin, j'en savais rien. En tout cas dans les vestiaires, ça discutait de parfums de luxe, moi et mes simples déodorants, je pouvais me cacher.

Au cours de la matinée je suis passée devant Meredith, je devais avoir mon regard fier et mon sourire en coin, elle m'a regardée la bouche ouverte comme si elle voulait me dire quelque chose mais elle n'a formulé aucun mot. ça m'a donné envie de rire, chose que j'ai faite, et quand je ris en général c'est de bon coeur, un bon éclat de rire qui m'a bien soulagée! Je regrette que mes acolytes n'aient pas ri aussi. D'ailleurs je n'avais plus envie de rester avec elles, c'est vrai elles étaient trop sages, moi j'avais envie de m'émanciper mais je me suis rappelée les mots de ma prof d'histoire-géo: "Vous-mêmes et vos camarades formez un petit groupe bien agréable".

ça m'a coupé les ailes. J'ai trouvé ça grave. Je ne voulais pas ça. Je me trouvais face à un dilemme: être gentille et studieuse comme d'habitude ou bien ouvrir ma bouche et continuer à être studieuse. ça voulait dire quoi "ouvrir ma bouche". Je sentais que j'avais besoin d'aide. Qu'aurait dit un père ou une mère instruite à sa fille? J'avais honte de ne pas penser à mes propres parents en de telles circonstances. Mes parents n'avaient pas été longtemps à l'école mais ils n'étaient pas idiots et, comme disait ma mère, j'ai de l'instruction et elle et mon père ont de l'expérience. C'était vrai, ça. Voilà qui me clouait encore le bec. Un peu contrariée face à l'idée de devoir encore me taire, je suis entrée en cours après la récréation avec ma tête des mauvais jours. Et là, contrairement à d'habitude je ne me suis pas mise au premier rang. J'étouffais, j'avais besoin d'air.

Myriam m'a dit: "Tu ne te mets pas avec nous?"

Je m'étais mise au deuxième rang sans rien dire. Je pensais: "J'ai besoin d'espace vital." Non, je ne pouvais pas leur dire ça. A la place, j'ai dit: "Excusez-moi, je ne me sens pas très bien".

Mentir, je n'aimais pas ça mais parfois ça servait. Je me suis détournée de mes pensées pour me concentrer sur le cours. Cependant une pensée plus, je ne sais pas comment la définir, s'est faufilée dans mon esprit: "Défends-toi", c'est mon père qui disait ça à mon frère quand il était petit. Non, il s'agissait pas d'être sur la défensive mais de dire les choses qui nous arrangent.

Qui nous arrangent. Merci Papa.


  • Une belle parabole, mais vécue je présume, sur la fragilité de l'adolescence et quelques adultes qui montrent discrètement la voie, sans brusquer les choses.
    Aujourd'hui, il n'y a plus de "petit groupe agréable" hélas car la peur s'est installée, sauf dans les lycées d'élite.

    · Il y a plus d'un an ·
    Lwlavatar

    Christophe Hulé

    • Tu sens bien les choses Christophe. Je me suis servie de vrais éléments pour faire passer un message.

      · Il y a plus d'un an ·
      Coucou plage 300

      aile68

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