On s'habitue à tout - Extrait

bertrandb

Peut-on s'habituer à tout ? Même au pire ? Même à l'impossible ? Sid, un petit garçon de neuf ans (et demi !) raconte, avec ses yeux d'enfant, le grand bouleversement qui va s'abattre sur sa ville. Et peut-être même au-delà...

Cette nouvelle est le premier épisode de "la Mesure du Possible", une série de sept histoires qui peuvent être lues indépendamment les unes des autres. À moins qu'une intangible clé de voûte ne les maintienne en place dans un équilibre précaire, jusqu'à une improbable révélation finale ?

EXTRAIT :

    Mon grand-père dit toujours qu'on s'habitue à tout. Je sais pas si c'est vrai, mais ça doit l'être, sinon il le dirait pas.

    Quand Papa a perdu son travail parce que les mines ont arrêté, on a déménagé dans une maison plus petite. Alors, au début, ma sœur Rose et moi, on dormait dans la même chambre. Il y avait une grande horloge qui faisait tic tac très fort. Ma sœur n’arrivait pas à dormir à cause du bruit. Moi non plus, au départ, et puis après, ça me berçait.

   Je ne sais plus vraiment quand ça a commencé. Papa disait que le temps était déréglé. Moi, je pensais que, cachées dans les nuages, il y avait des grandes roues dentées, comme celles de l'horloge, qui, des fois, se bloquaient, et c'est pour ça que le temps ne fonctionnait pas bien.

   Tous les grands parlent du temps. Ils se croisent dans la rue, soulèvent leur chapeau ou leur casquette, font semblant d'être contents de se voir, et disent « Il fait chaud, hein ? » ou « Y a plus d’saisons ! ».

   Je crois que si je veux grandir, il faut que je m'intéresse au temps. Mais moi, les saisons, j’en connais que deux ; quand il neige et quand il neige pas.

   C’est aux vacances d’octobre qu’on a vraiment remarqué qu’il faisait très chaud. En fait, j’avais jamais vu autant de jours qui se suivent sans devoir mettre un pull et un manteau. Et les gens disaient : « Oh là là il fait chaud, on a jamais eu un mois d'octobre comme ça. »

   Et puis il y a eu le gros nuage noir.

    Je rentrais de chez Lisa quand je l'ai vu la première fois. Lisa c'est ma meilleure amie. Elle a un an de plus que moi et c'est une fille. Mais je l'aime bien quand même. Elle est pas très jolie, mais elle me fait rire et elle a toujours envie de faire plein de choses.

   Juste quand je refermais derrière moi la barrière en bois de son jardin,  j'ai vu que le ciel était très sombre. Un gros nuage noir qui prenait beaucoup de place et qui venait du sol, dans la plaine, près des mines. Enfin je crois, parce que je suis jamais allé près des mines.

   J’ai croisé plein de gens sur le chemin de ma maison qui étaient dehors ou à leur fenêtre et qui ne parlaient que de ça. Ils parlaient d'incendie et se demandaient ce qui pouvait bien brûler comme ça. Ils disaient aussi des gros mots. Ils avaient l'air inquiets. Moi, non, parce que j’avais pas fait de bêtise.

   Je suis rentré à la maison, et Papa n’était pas là. C’était bizarre. D’habitude, il ne bougeait pas de la maison, jamais. Alors j'ai cherché ma sœur, Rose, et elle était pas là non plus. J'ai même collé mon oreille à la porte de sa chambre pour écouter si elle était avec des garçons, mais non, elle était pas là du tout.

   Alors je suis allé dans la cuisine et je me suis fait un sandwich avec du pain blanc et de la moutarde. J'ai pas le droit, mais personne le saura. Et je me suis assis devant la maison, sur la terrasse en bois, pour regarder la fumée noire. Ça faisait des grands rouleaux dans le ciel. Il y avait une odeur, comme quand on craque une allumette. Je crois que ça s'appelle du soufre.

   Et c’était lourd, ça faisait comme un poids sur mes épaules. Comme quand je porte mon cartable. Comme s'il y avait quelque chose d'important. Mais, je savais pas pourquoi, ça avait pas l’air grave...    

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