On the road (Chap. 1)

ju1139

Chapitre I

 

Je l'ai rencontré pour la première un vendredi glacé de Janvier, c'était quelques jours avant mon anniversaire je crois. Il faisait froid quand on me l'a présenté. Je me souviens avoir eu des frissons au contact de sa main gelée. C'était la première fois qu'on se serrait la main. C'était aussi la dernière. Entre nous, tout de suite, il y a eu ce petit quelque chose, cette petit étincelle qui a fait que ça fonctionnait. Qui il était ? D'où il venait ? Je m'en foutais. Ce n'était pas son passé que je voulais mais son présent. Et plus que ça, c'était son futur que je voulais vivre avec lui. Dès le début, je savais qu'on allait vivre de grandes choses ensemble.

C'était à une soirée d'un ami de faculté qu'on s'était rencontrés. C'était un ami commun. Chacun lui rappelait l'autre. Mais nous venions de deux univers parallèles alors il voulait absolument qu'on se rencontre ce soir-là. C'était l'occasion disait-il. Ce qu'il ne savait pas, en revanche, c'était que ce jour, que cette rencontre, que cette poignée de main de moins d'une demi seconde allait considérablement changer toute notre vie à tous les deux. Après coup, c'était peut-être le plus moment de ma vie, son virage, son tournant même. Avec Jay c'était carrément un demi-tour : repartir à zéro pour tout recommencer. Cette glaciale soirée de Janvier dans cette immense demeure restera gravée à jamais dans ma mémoire.

Cette soirée fut mémorable. Whisky, vodka, marijuana et cocaïne y étaient passés l'un après l'autre. Ou en même temps par moment. C'était très étriqué, la musique planante, dansante comme si elle nous faisait perdre e contrôle de notre être, comme si dans un total relâchement de soi-même nous devenions cet être intellectuel et sensé capable du meilleur… comme du pire ! Le lendemain matin la fine et perfide lumière du soleil me réveillait. J'étais là, allongé au milieu du chaos. Autour de moi tout n'était que mégots de cigarettes, verres d'alcools à moitié pleins, plaques de vomis décorant le sol et corps nus lacés et entrelacés sur des matelas pourris. La douce odeur de la matinée était balayée par les relents de fumée, d'alcool et de vomi. Et Jay était parti.

La journée démarrait mal. Celui que je voulais revoir avait disparu, dans ma tête les chars et les canons avaient lancé l'offensive et dans ma vie, cette nuit avait tout bousillé. Cette nuit avait tout chamboulé. Rien n'était plus pareil à présent. J'avais compris que me complaire dans mes certitudes présentes ne servait à rien, il fallait que j'aille de l'avant, que je grandisse, que je m'épanouisse. Mais mon guide avait lâchement pris la fuite. Alors je décidais de rentrer chez moi et de me terrer dans cette grande chambre qui me donne une vue imprenable sur l'océan.

Cet océan qui chaque jour me fait vagabonder au gré de mes pensées. Cet océan qui chaque jour me rappelle à quel point je ne suis qu'un grain de sable à l'échelle de notre monde. Cet océan qui chaque jour me dit combien je dois découvrir ce monde inexploré. Cet océan qui chaque jour m'enlève tout espoir pour m'en redonner à nouveau. Cet océan qui chaque jour m'éloigne de ma page blanche et de ce téléphone au bout duquel mon éditeur menace de me faire un procès. Cet océan qui chaque jour me fait dire que je suis au point mort dans ma vie.

Mais j'avais en tête ma rencontre du soir dernier. La rencontre de Jay était pour moi comme une illumination dans la nuit, comme un phare au milieu de cet océan si vaste. Je voulais revoir Jay, je devais même revoir Jay. Je le devais si je voulais avancer. Mais il était parti ce matin et je ne savais pas comment le retrouvé. Car même notre ami commun ne savait ni comment le joindre ni où il habitait. En fait, on ne contactait pas Jay, il nous croisait par hasard dans la rue. Jay était en quelque sorte le fantôme de notre ville.

Durant toute cette journée ensoleillée et bruyante j'essayais d'écrire. J'étais devant ma feuille, le crayon dans la main, mais rien ne venait. Je n'arrivais pas à trouver l'inspiration. Ma page restait blanche. Plus le temps passait, plus sa couleur me sautait aux yeux et me répugnait. Il fallait que je souille cette feuille. Bien plus que pour l'argent, il fallait que je trouve quelque chose pour mettre fin à ce bain bouillonnant qui remuait dans ma tête. Mais c'était impossible. Car une seule idée m'obsédait : revoir Jay.

C'était trop pour moi, il fallait que je prenne l'air, que je quitte cette chambre et que je m'éloigne de cette page trop blanche à mon goût. Je décidais de me rouler un joint et de le fumer en me baladant le long de la mer. L'air était bon, le vent léger et les gens bruyants. Les enfants criaient et les adultes discutaient. Les familles, les amis, les collègues, tout le monde était de sortie en cette si belle journée, étonnamment belle pour un mois de Janvier. Aidé de la marijuana que je fumais, mon esprit divaguait un peu. Mais c'était lui là-bas au loin, c'était lui qui avançait lent et tranquille avec son vieux sweat gris. C'était Jay. Je me mis à courir pour le rattraper. J'étais à bout de souffle, les gens me regardaient bizarrement. Mais je criais « Jay… Jay… Jay attends-moi ! ». Quand il s'est retourné, j'ai enfin pu apercevoir de nouveau son visage, ce visage. Il semblait étonné. Nous étions face à face. Nous marchions chacun en direction de l'autre. Les gens autour de nous n'existaient plus. Le bruit s'était comme évanoui. Nous étions que tous les deux. Simplement deux êtres au milieu de nulle part, simplement deux esprits connectés. J'avais retrouvé Jay.

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