Ophélie de pierre

Susanne Derève

Je ne convoque pas les images     

 je les laisse

insensiblement m'envahir                                                                                                

dériver lentement

comme les voiles gris  d'une Ophélie  

de pierre                                                                              

 

et son visage  est celui des murs

de ma maison 

d'un pot de grès

des fleurs séchées que j'y dépose

de la nappe usée sous le doigt

 

de la lumière que verse à flots par la  fenêtre           

un trop rare soleil

 -  les arbres du jardin  en ployant sous le vent

 y   jettent de grands papillons d'ombre :

l'érable,  ses samares  blondes,

et le charme, obstinément adossé aux embruns -

 

Son visage est pareil aux murs de ma maison

emplie de rires d'enfants et de  nuits

sans sommeil,

de bonheurs et de larmes,

de rêves adolescents,

de veilles inquiètes dans l'ombre mauve des  matins ,

- à  l'horizon luisent encore les phares

dans le  jour incertain  -

 

 Alors je laisse doucement refluer  les images

Je referme les murs de ma maison

 

Ophélie grise,

elle vogue vêtue des voiles du silence

au gré du hasard et du temps  

et  j'en suis longtemps le sillage

jusqu'à perdre sa trace  

insensiblement

 

 

 Peinture : Wassily Kandinsky - Paysage d'hiver

 

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