Otto

Pascal Mess

Otto, malade mentalement depuis longtemps, est soigné par le Docteur Raiche, psychiatre. Entre eux, le climat n'est pas au mieux.


Otto regarde, malgré lui, le plafond blanc écarlate de la pièce. Si Otto est sur le dos, c'est qu'il est punit.

Otto, depuis toujours, aime les vélos, pas les autos. Dés qu'il a su marcher, c'est vers le vélo que ce sont tendus ses bras. Progressivement mais rapidement, le vélo s'est conçu comme un prolongement de lui-même, comme une composante inéluctable de son corps et de son psychisme.

Madame Raiche est entrée dans la pièce. Il ne faut pas lui en conter, elle a l'oeil à tout, pro, pas garce. Le chignon serré, mais pas les fesses, pas maquillée, belle au naturel. Son pas claque comme un coup de fouet, un signe de faiblesse et elle serait bouffée. Otto la regarde à la dérobée, baisse ses yeux lorsqu'il rencontre les siens, du mépris immense pour elle, elle le paiera, c'est sûr.

S'il est ainsi, sur le dos, c'est qu'il a désobéi. Pourtant, ils avaient un accord, et Madame Raiche, rage. Otto, aussi, mais pas pour la même raison. Elle est lui sont en conflit, elle pour son bien à lui, en tout cas elle en est persuadée, lui, pour son bien propre, il a raison, c'est sûr. Et il gagnera, pour sa perte.

Elle prépare une seringue, Otto piaffe, ondule, cherche à se soustraire, hurle, insulte entre ses dents, pas trop fort, pas qu'elle entende. Elle ne peut viser le bras, il bouge trop. Alors, elle se fait aider, c'est elle qui décide, et ils n'ont qu' à bien obéir. Et pendant que le produit s'écoule dans ses veines, Otto se répète encore, qu'il est le plus fort, oh! Oui, Otto aime les vélos, pas les autos, oh! non. 

Madame Raiche et ses assistants quittent la pièce, la sensation du devoir accompli avec eux. 

Le lendemain Otto est calme mais fixe intensément le Docteur Raiche dans les yeux, ce qu'elle n'admet pas, se permet de le gifler, les infirmiers le tenant, lui jure plus de piqures. Il promet de se tenir, la maudit de tout son être, elle n'aura toujours que son paraître, son enveloppe, pas ce qu'il y a l'intérieur, ça, jamais. 

Depuis tout petit, il aime à se le répéter, infernale et éternelle ritournelle, il n'aime pas les autos, il n'aime que les vélos.

Otto a aujourd'hui cinquante ans. Un jour, il avait à peine quatre ans, il s'est mis à faire du vélo, partout, tout le temps. La tête en avant, les épaules ramassées, les bras en forme de parenthèses, déjà les jambes qui patalent. Toujours du vélo, jamais d'auto, c'est juré, toujours du vélo, même sans vélo, juré craché. Sur le lit aussi, coucher sur le ventre, pédaler, pédaler encore, toujours. Ses parents, déconcertés et déprimés, l'ont amené, en auto, à l'hosto. Et depuis, il est toujours là, à pataler, à pédaler, sans vouloir s'arrêter.

La psychiatre rentre dans la pièce, suivie de ses deux acolytes, lui demande comment il va. Il assure que ça va bien. Il manquerai plus qu'il l'aide, cette pute, cette salope qui veut lui enlever son vélo, vélo dans sa tête, vélo dans son corps.

Ils sont sortis de la pièce et déjà Otto se félicite, s'applaudit, se conforte, s'aime, s'encourage, ils ne l'auront pas, c'est sûr, il en mourrait. A l'intérieur de sa seconde peau, sa camisole de force, il rit, rit encore, satisfait de sa force et de sa détermination. 

Mais ce qu'il n'écoute pas et n'écoutera jamais, c'est la détresse, immense et éternelle, qui l'habite et le dévore, l'envahit de tristesse, aussi intense et volumineuse qu'un océan. 

Son vélo, de tête et de corps, n'est pas sa sortie, c'est au contraire sa fin, le non retour, définitif. Et Otto rit, et son être pleure, Otto aime les vélos mais son être préfère les autos. Ainsi soit-il.

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