Oulan-Bator-sur-Altier ou Quand lapin dixit, les tigres s'excitent

koss-ultane

              Oulan-Bator-sur-altier ou Quand Lapin dixit, les tigres s’excitent

     _ Vous savez la médecine fait des progrès tous les jours.

     _ J’aurai adoré avoir leurs longs cils bruns, leurs grands yeux noirs, leur art du caprice en milieu pentu et leurs attributs virils, mais, vous confondez, ce sont les ânes que l’ont fait avancer avec une carotte, docteur.

     Le brigadier-chef ne pouvait être que perplexe devant ce corps, à moitié dévoré par les loups, et le petit attirail hétéroclite qui le jouxtait en besace. Sur la lèvre d’une obscure crevasse, la dépouille, allongée sur le flanc, jambes repliées, semblait tenir un couteau effilé entre ses mains jointes, sa lame immaculée tournée vers elle. Le brigadier-chef battait des cils, la moue lippue, comme s’il voulait faire disparaître cette vision qui dépassait son entendement pourtant vaste. Il se rappelait avoir eu un premier prix de lecture en huitième avec madame Rebli mais ne voyait pas ce que cela venait faire dans ses pensées actuelles qui auraient dû être purement professionnelles. Peut-être s’était-il trompé de carrière ? Aurait-il dû faire liseuse ? Avaient-elles un bel uniforme à bouton dorés ? Tant de questions qui assaillaient sa pauvre tête encore embrumée par l’apéro de la veille qui s’était enchaîné par enchantement avec le pot de départ de Riton, en disponibilité pour soigner sa cirrhose, et la mise à pied de Nénesse-lès-Gonesses pour avoir sodomisé, par mégarde !, la femme du préfet. Après deux trois anis à une garden-party, l’Ernest, dans son bel uniforme d’apparat, avait vu un feu vert là où madame la préfète ne faisait que rendre un hommage discret aux sans-culottes en ramassant au vent fripon quelques serviettes égarées par la bise loin des tablées achalandées et proche du petit bois, de ses champignons turgescents et de sa marée-chaussée déboutonnée, avant d’être dégradée, et dont le sang ne tapait pas qu’aux tempes en ces heures chaudes.

     Je m’étais toujours promis d’avoir assez de courage pour ne pas sous vivre au milieu des valides. Finalement il n’y avait pas une once de bravoure là-dedans et c’était tant mieux. Je perds la vue avant la quarantaine et la vie à tâtons ne m’intéresse pas. J’élaborai donc avec minutie mon ultime voyage, prétendument en Mongolie postérieure ou antérieure, je ne sais plus trop, en tout cas suffisamment mal placée pour ne pas être dérangé par d’éventuels appels longue distance de la famille. J’avais soldé ce qu’il y avait à solder sans que cela n’eut en rien l’air définitif ayant laissé suffisamment de brouillaminis en plans pour faire croire à une hypothétique suite.

     Le brigadier-chef avait déjà dépassé le stade de la perplexité et explorait les confins de la galaxie extatique devant l’inventaire à la Prévert de la-dite besace : une bombe de répulsif usagée, une bobine de fil de nylon entamée, un ciseau très fin et long de dessinateur, une paire de tenailles ensanglantées et, enroulée autour de la fosse nasale du macchab’, un petit carton plastifié sous lequel avait été glissé un petit texte inintelligible :

“Sue ici, demain t’époussettera.

D’exclamation parfois, d’interrogation souvent,

ce que j’apprécie dans ce “…-cide”

c’est de trouver assassin et victime au même point.

Comme tous les épris de justesse,

j’aime cette réciprocité rare et parfaite.

Parité pourtant nommée “Impair”

puisque fréquemment le commanditaire

manque à l’étiquette du gros orteil.

Appelé “nature” ou “société”,

tous les alias lui sont alliés,

celui-ci nous échappe.

Essayez la mort par vous-même,

vous n’en reviendrez pas”.

Le mort.

     Bien décidé à en finir à ma manière, le coup de couteau ne pourrait être porté au cœur avec une efficacité totale que si je m’étais assuré à l’avance d’être non identifiable. Excepté pour quelques affoleurs de guéridons, être mort c’est être injoignable, ainsi avais-je décidé de cultiver cette carence. J’ai écrit trente cartes postales avant de partir de Paris décrivant par le menu la Mongolie et, son super héros de capitale, Oulan-Bator et laissé des consignes à un camarade. Afin de ne pas peiner inutilement mes géniteurs, il lui suffirait d’envoyer un premier pli au bout de trois mois puis tous les plus ou moins six mois pour entretenir à peu de frais l’illusion de ma survivance manifestée en terre supposée sauvage. Anciens fumeurs et actuels alcoolos, on pouvait légitimement penser qu’ils calancheraient avant la pénurie postale ou bien qu’Alzheimer leur ferait oublier leur unique et anecdotique descendance.

     J’aurais dû être fébrile à l’approche de la mort mais il était trop bon de ne plus en avoir rien à foutre de rien. Prendre un billet de train pour un endroit où l’on n’a jamais mis les pieds et dont on avait rien à fiche sans souci du logement, du transport et de rien d’autre était  simplement jouissif. Plus l’espérance de vie décroissait plus on avait le sentiment d’avoir une vie de milliardaire. Plus rien ne pouvait vous préoccuper ni post-occuper non plus d’ailleurs. La Lozère aux loosers ! Evidemment, comme à tous les suicidaires débonnaires, les falaises normandes avaient été en tête de liste mais j’avais eu peur de tomber sur quelqu’un de ma connaissance.

     Cabotinage d’écrivaillon vaguement cérébral, j’avais l’intention de laisser un petit message. Mais afin d’être certain qu’il restât avec mon squelette, il me faudrait l’attacher à mon crâne avec un fil de nylon, solide mais fin, en le passant par le nez et le sortant par la bouche. Et surtout il fallait m’assurer que les charognards ne s’en prendraient pas trop vigoureusement à mon crâne afin qu’il ne l’en détachât point. Une copieuse vaporisation de répulsif sur mon visage, mon scalp et mon épitaphe pendentif devrait m’en garantir la pérennité.

     La marée-chaussée repartit avec un ADN inconnu sous le bras et le compara sans résultat avec ceux des personnes signalées disparues. Allégée de ses parties molles, visage excepté, la dépouille ne révéla rien non plus de la cause de la mort. Le répulsif avait autant dissuadé les loups de s’en faire un casse-croûte que rongé le crâne. Néanmoins, entre autre, un portrait-robot fut élaboré qui ne ressembla étrangement à rien.

     Voyager les mains dans les poches affublé seulement d’une petite besace en matériau biodégradable me donnait l’impression d’avoir un dressing-room m’attendant dans tous les palaces du monde. Je ne savais pas si c’était l’interminable trajet vers le département métropolitain le moins densément peuplé de France ou la position dans le train mais j’avais des élancements dans le bide. L’approche de la fin devait-elle me travailler un peu la peau quand même. La petite gare perdue ralliée, je détonnais sans le vouloir en étant le seul à prendre à gauche en sortant du bâtiment pendant que les trois autres glaiseux glissaient sur la droite vers le micro village uniquement pourvu d’un arrêt parce que lieu de naissance de l’actuel président de région. Je m’enfonçais dans une végétation disparate et tristounette qui me faisait regretter la Bourgogne de mes vacances d’enfant. Cela montait et m’arrangeait car plié en avant je souffrais moins de ces douleurs intestinales apparemment compagnes et maîtresses de mes dernières heures. Je devais m’isoler au maximum et surtout éviter les chemins de ronde des quelques rares touristes en goguette afin de garantir un pourrissement suffisant à mon anonyme carcasse. Perché sur un piton, j’observais les alentours immédiats et lointains autant que ma triste vue portait et compris que les trois heures de marche n’avaient pas été vaines. Une boule de bowling roulait maintenant dans ma bedaine. M’asseoir me fit du bien, j’en perdis connaissance d’aise. A mon réveil, il faisait nuit claire. La troisième guerre mondiale thermonucléaire avait commencé dans mon ventre. Je souriais. Ce n’était plus de la peur mais bel et bien une maladie à la con qui se déclarait de façon fulgurante. Pas de bol pour elle ! Elle avait choisit le mauvais gus. Je farfouillais avec force grimace dans ma besace et en sortis la section de fil de nylon que j’avais coupé à l’avance. Je la glissais en rigolant par mon nez et la récupérais de l’index et du majeur au fond de ma gorge. Le haut-le-cœur déclenché me fit repartir dans les goldens. A mon second réveil, je constatais que la contraction réflexe de mon abdomen avait incendiée la boule de bowling qui carambolait un intestin saupoudré de Tabasco désormais. J’avais l’impression, certainement erronée, que mon ventre gonflait et durcissait. La douleur aurait été intolérable pour un vivant. Je solidarisais mon petit texte sous plastique au fil de nylon à l’aide de la pince qui servirait à m’arracher une dent. J’avais désormais l’apparence d’un bœuf de compétition du salon de l’agriculture avec ma carte qui me pendouillait du mufle. Je m’extrayais la quenotte sans douleur aucune puisque le cerveau était incapable de gérer deux douleurs en même temps et vous laissait toujours jouir de la plus aiguë dans sa grande mansuétude. Je jetais ma ratiche, potentielle traîtresse de mon identité car prototype paternel en prothèse dentaire, et me saisissais enfin de mon patient couteau. Il luisait sous la lune mais ne me ferait rien rater d’important j’en étais certain. J’avais rampé jusque dans une anfractuosité afin que la gravité fît choir mon corps au fond d’un prometteur trou bistré que je souhaitais abyssal. J’avais décidé de prononcer quelques paroles mais le faible échos de ma voix attisait le feu de mes entrailles. J’entendais mon cœur battre moins vite à l’unisson de mes desseins. Adieu… veau… fache… chocon… puissiez-vous…

     Il paraît que l’on voit sa vie défiler devant ses yeux à la mort certaine. J’ai rien vu mais repensé en souriant à ces journées d’écriture d’anticipation mensongère adressée à mes parents :

Chers deux,

Oulan-Bator n’est pas décevante. Les gens y sont très différents de par chez nous mais tendent à nous rejoindre sur plein de points. La vie en steppe est devenue si rude et aléatoire que de nombreux éleveurs sont venus grossir les bidonvilles exponentiels des faubourgs. Ils ont très vite su à qui ils avaient à faire lorsqu’ils m’ont offert un verre de lait de je ne sais quel animal improbable et que j’ai tout vomi sur la table après deux gorgées. Mon hôte était très vexé et ses amis très distraits par ma stomacale performance. On ne peut ici expédier de courrier depuis notre camp de base perdu dans la plaine immense. Nous ne confions des sacs de lettres qu’à nos rentrants tous les six mois à peu près. Ne vous frap- pez pas à comprendre pourquoi ces mots mongols voyages à dos de tour Eiffel ou d’arc de triomphe et portent le sceau de notre parisienne cité. Par crainte de ne pas trouver de cartes postales bon marché du coin, je suis parti avec un lot de chez nous.

                                                                       Lapin

Dix-septième courrier :

Chers vous,

les tigres aux dents de sabres ont encore mangé un bout de John hier. C’est pas malin d’avoir mis un type qui avait déjà perdu une jambe en sentinelle. Je l’avais dit au chef qui n’a pas voulu m’écouter. Heureu- sement cette fois-ci c’est le bras. Ils ont attaqué le campement hier au soir tombant. Les chevaux étaient agités mais le chef a pensé que c’était à cause de ce que le vétérinaire sodomite leur avait administré à bout de bras toute la journée. Il est un peu bizarre ce vétérinaire. A chaque fois qu’il fait claquer son gant en latex sur son épaule nue et velue, j’ai beau savoir que c’est pour les chevaux, j’ai un frisson qui me hérisse. Je suis à peu près certain qu’un mal de dents, fut-il chevalin, est plus accessible par la bouche de l’animal mais bon. Il a le regard éprouvant, l’hygiène dissuasive et l’haleine isolationniste. Il s’occupe de notre cheptel et moi de mes arrières. A une prochaine lettre. Bisous tout doux tout deux.

                                                                       Lapin

Vingt-huitième courrier :

Cher binôme ad hoc,

les avions japonais ont encore mitraillé le campement hier soir. John y a laissé deux doigts sinon personne n’a été blessé. Les chevaux n’ont rien. Le vétérinaire a des préservatifs gradués avec lesquels il dit prendre la température des juments. Bon.

                                                                       Lapin

Vingt-neuvième courrier :

Chers lointains,

comprenant d’un coup qu’il rentrait chez lui petit à petit, on a tué John nous-mêmes et fait un méchoui. Le vétérinaire a accouché une ju- ment. A peine soulagé de constater que c’était un poulain qui en sortait et pas un centaurillon ressemblant à notre praticien on est resté perplexe lorsqu’il s’est fixé une lampe frontale à la colle forte entre les sourcils et qu’il a glissé sa tête dans le derrière de la jeune maman. Je suis à peu près sûr de n’avoir jamais entendu parler de cette technique. Sinon tout le monde va bien. Jim a juste perdu une oreille lors du dernier mitraillage de l’aviation ennemie qui serait chinoise finalement.

                                                                       Lapin

Trentième courrier :

Chers insensés,

nous avançons en terre inconnue. J’espère pas trop loin quand même. Jim, notre prêtre, qui s’était arrêté pour refaire son lacet, a sauté sur une mine anti-cléricale. Il a perdu ses deux jambes à ras et ses deux avant-bras. Désormais nomades à plein temps, on s’est regardé et on a refait un méchoui. Les tigres aux dents de sabres nous suivent de loin mais n’en pensent pas moins. Afin de les semer pour le compte, le chef a proposé de sacrifier un cheval. Le vétérinaire a pleuré toutes les larmes de son corps. A cours de préservatifs gradués, je suis à peu près certain qu’il m’a emprunté mon feutre noir fin afin de s’échelonner le sexe en lousdé et ainsi continuer à prendre la température aux chevaux. Hier, un des derniers arrivants nous a fait une projection sur son ordinateur d’un film intitulé “Délivrance”. Toute cette humanité nous a ému aux larmes et bien fait rire. Le septième art n’est décidément pas le dernier.

                                                                       Lapin

     Devient-on éternel quand personne n’a la certitude que vous êtes mort ?

     _ Vous savez la médecine fait des progrès tous les jours.

     Mais fait-elle reculer la nuit pour autant ?

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