Paisible balade

Lucy Nuange

Texte écrit suite au thème d'un concours : "voyage". Ici, un voyage interne finissant funestement. Un voyage vers la mort. En somme, un double voyage.

Le vent caresse mon visage. L'air de cet hiver est glacial, insultant. Je sens les passants me frôler, j'ai perdu encore un peu de mon âme cette année. Invisible, comme cette brise, je parcoure la ville à la recherche d'un refuge quelconque, afin de m'isoler. J'ai du mal à respirer.
Je m'assois enfin, à l'abris des regards je peux souffler. Cette soirée m'étouffe de ses deux mains. Un des poignards dans mon cœur a fait le travail. Un de plus.
Les étoiles n'en sont pas moins amicales. Elles trônent des nuits entières dans le ciel, dressant avec majesté leur lumière aveuglante. Ce que je les envie. La Terre est toujours plus belle vu de haut. C'est sûrement pour ça que les astronautes se réfugient dans l'espace.
Il va bientôt falloir que je me lève, je ne veux pas geler sur place, mais j'ai peur. Je ne me reconnais plus dans mes gestes, dans le miroir, dans mes mots et cela fait déjà plusieurs mois.
Détruit, endormi par la société et ses ravages. Je n'ai pas une assez grande armure pour supporter ces insatiables chocs.
Convoiter, consommer, jeter. On m'a souvent pris pour un produit, un achat capricieux.
Alors, je dois me forcer depuis toutes ces années. À passer à côté des gens, les entendre sourire, les voir parler. Je ne veux pas, je ne peux plus. Le fantôme que je suis à fait le deuil de son humanité.
J'ai mal. C'est une douleur sourde qui s'étend du haut de mon âme au bas de mon esprit, en passant par mon corps meurtri. Ce dernier avance mécaniquement, sans plus que je lui ordonne.
Marcher droit sans toutefois lever les yeux, monter dans un bus, descendre d'un train, se lever, se coucher. Répéter.
À cela s'ajoute l'angoisse de s'endormir : le lendemain est pire. Le réveil est insupportable. Je ne savais pas que la réalité pouvait être aussi difficile à encaisser.
Qui suis-je ?
Je me suis perdu sans plan, sans chemin tracé. Je me suis trompé de route et c'est à ce moment précis qu'on m'a lynché, qu'on m'a tué.
Je ne suis ni en vie, ni dans un caveau. Je ne suis juste pas matériel. Là sans l'être, las d'errer.

Je déambule désormais dans les rues, incapable de soutenir un regard. Si c'est ça ma nouvelle vie, je n'en veux pas. Je ne voudrais être là pour rien au monde. Cette population d'humains me dégoûte, mais ma colère est retombée depuis bien longtemps.
Mes nouveaux symptômes sont mes amis. Je me sens toxique, invisible. Y aura-t-il un jour sans pluie ?
Mon attention se porte sur cette fille, me frôlant du regard. Elle ne devrait pas.
Je suis incapable de m'aimer, comment quelqu'un d'autre pourrait tenter l'expérience à ma place ?
J'ai tout donné, tout de moi et je suis vide. Vide de sens, vide d'humanité, vide de toutes les belles choses que les autres m'enviaient.
Chaque pas est plus lourd que le précédent, mon allure ralentit. Le sol est humide, terne. Je le contemple avec attention : il est toujours plus beau que l'intérieur de mon âme.
D'ailleurs, si mon esprit avait une quelconque apparence, je pense qu'il serait noir, flasque, dégoulinant, dégoûtant.
Les heures passent et mes paupières ne se ferment plus, d'où cette marche interminable vers la paix intérieure. Quelle belle utopie.
Je suis terrassé par la méchanceté des autres de mon espèce. Sont-ils tous pareils ?
Quelques rires fusent au loin, mais je suis bien incapable de les imiter. Le feu dans mes yeux s'est fait engloutir par un maelström d'ignorance sans fond.
J'avais le choix : la solitude ou l'amour. J'ai choisi égoïstement et depuis, chaque respiration que j'émets me fait regretter ma décision.
Traînant des pieds, il est minuit passé. Un nuage d'étoiles sort de mes entrailles, il réchauffe une fraction de seconde le monde. C'est une illusion, je n'ai plus rien à donner.
On m'a tout prit, même mon passé. On ne peut plus me sauver. Une voiture passe. À bout de souffle et d'un bond, je me jette enfin vers la vie.


  • Merci pour cette appréciation sur mes textes et ainsi d’être mon premier lecteur qui se manifeste ici. Je suis tout à fait d’accord, mais la poésie accuse la réalité d’être elle-même une abjection.

    · Il y a environ 2 ans ·
    Img 1996

    Lucy Nuange

  • La poésie guérit de tous ces maux que chacun ressent, sauf les créatures abjectes qui ne devraient pas être de ce monde.

    · Il y a environ 2 ans ·
    Lwlavatar

    Christophe Hulé

Signaler ce texte