Parc Montsouris
Vincent Vigneron
J'ai sur ma gauche un cèdre du Liban. Une vie d'écorce qui était déjà là avant les premiers essais en noir et blanc. Il en a vu d'autres. D'autres qui se croyaient rugueux comme lui, pas faciles à bouger quand ça souffle.
J'ai sur ma droite une apparition. Une vie de figurante, brune souvent timide, se cachant derrière la foule des divas. Des nattes cours élémentaire comme on n'en fait plus. Je la regarde un instant, je n'en vois pas d'autres. Et comme je suis timide moi aussi, je regarde l'écran comme si de rien n'était.
Comme si rien n'avait existé avant l'aube, six heures et des poussières, le tête-bêche parfait des aiguilles, rien, ni passage à l'heure d'été ni aucune mémoire, passage à tabac de mes antiquités.
Le matin me surprend comme le premier guetteur du donjon, ma mission est de l'apercevoir avant les frondaisons elles-mêmes, ce soleil, et de crier l'équivalent de Terre ! dans le langage des caravelles.
Sous mon toit de la rue Nansouty.
Si les parcs de Paris dessinent la croix un matin de Pâques, je suis sur les pieds du Christ et à la place des stigmates des massifs et verdures.
Le parc Montsouris.
En vertu d'une très vieille loi de la nature, le reptile prend la couleur de la branche où il passe un matin. Ils se communiquent leurs histoires et l'on ne sait plus très bien qui fut premier, de la sève ou du sang froid.
Une nécropole dormait sous le parc, puis les os ensevelis regagnèrent la surface, la nuit se fit jour. Le méridien de Paris traverse le parc, c'est un filigrane qu'on ne voit pas à la différence de celui du billet qu'on défroisse bras tendus devant la fenêtre. Un tunnel court sous le parc, départ immédiat pour la gare de Petite Ceinture, c'est un nom de constellation ou presque, je dirais péage d'Andromède, station Voie Lactée, si j'étais romantique et voyageais dans le ciel.
Ce qui est vrai pour le parc, l'est-il pour moi aussi ? Suis-je tour à tour enseveli, traversé, creusé ? Si un arc-en-ciel enjambe son lac un matin d'averse, je sors de chez moi comme Arlequin.
Je pense à la magie du matin et pourtant ma vie a lieu en ce moment même et c'est une soirée d'août. C'est un rituel aussi pour les papillons de nuit. Ils descendent en grappe d'orage vers les spectateurs. Comme pour le chien qui salive au tintement de la cloche, ils sont sur zone alors que les projectionnistes n'en sont qu'aux premiers réglages. Bien avant toute lumière.
A cette heure de la nuit, tandis que les cygnes du lac ont replié leur demi-cœur, cette nuque tout en arabesque, nous autres humains sommes rassemblés, épaules contre épaules, attendant que d'une bâche bricolée au format panoramique surgisse la beauté.
On ne se connaît pas, on gagne à être connus. Voisins par alliance, cousins de palier ou d'arrondissement, famille nombreuse à qui la terre fut donnée. Vu sous cet angle on ne fait pas plus proche.
Et que dire de la compagnie sur ma droite, que je connais sans connaître, profil subliminal dans les films que je me fais, elle n'occupe en tout en pour tout qu'une seconde de l'histoire... pourtant entre deux plans, furtive, elle est là : après que Charlot ait fait danser les petits pains, au balcon d'une maison victorienne promise à l'incendie, sur l'arête d'un pont parmi d'autres qu'un photographe s'est mis en tête d'inventorier. Surtout ne cligne pas des yeux.
Les Américains disent en parlant d'elle « la fille de la porte d'à côté ». Déjà absorbée par les premières images de la version restaurée du Mépris.
Moi je n'ai pas de Villa Malaparte, pas de vue imprenable sur la baie de Capri... ça me va. Des draps de soie bien inutiles... laisse respirer. A toutes les questions que tu poseras, ma réponse : un oui définitif. Des projets pour toute une vie. Une distance qui se réduit entre l'île et le continent.
Une voiture klaxonne dans un silence de cathédrale. A cet instant je sors de ma transe, je la regarde.
Il n'y a pas de fatalité à vivre dans un film. Je lui parlerai tout à l'heure. Je lui dirai Brigitte était brune aussi avant que Dieu ne crée la femme.
Avant que le parc ne ferme, marchons.
p'tin ...fort...bourrasque, ça décoiffe
· Il y a presque 13 ans ·ecriteuse